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29 mars 2003 — Observons un moment ce spectacle, comme s’il s’agissait d’un “spectacle”, comme si nous n’y étions pas partie prenante. Ce détachement d’un instant est nécessaire.
Ce qui se passe depuis un petite semaine, c’est la confrontation d’une affirmation virtualiste qui nous tient sous son empire, — la puissance américaine, militaire d’abord, comme quelque chose d’extra-atmosphérique, hors de la possibilité que quiconque, non seulement la conteste, mais seulement s’y mesure, — c’est la confrontation de cela avec la réalité. Cet événement se passe dans les sables de l’Irak et dans les tempêtes qui soulèvent ce sable, et avec, par-dessus, l’acharnement des fedayins de Saddam qui, cela est manifeste, n’ont pas été instruits du scénario de la guerre planifié au Pentagone (défaut de communication à l’époque des communications globales, — grave problème, qui devrait encore plus justifier l’invasion selon les stratèges brillants de Washington).
Les Américains du système de l’américanisme sont désormais divisés en deux.
• D’une part, ceux qui sont sur le terrain, qui observent, ahuris, sans rien y comprendre, la manifestation de la réalité. C’est le brigadier général William S. Wallace, commandant du V Corps (l’infanterie US dans le conflit), qui nous fait part de sa surprise douloureuse. Elle concerne essentiellement ce phénomène que nous avons déjà noté, qui est que les Irakiens ne semblent pas suivre les règles du jeu, ni tenir leur rôle, — bref, à la fois fort mauvais acteurs, peu professionnels, et des gens au fair play douteux.
« ''The enemy we're fighting is different from the one we'd war-gamed against,'' Wallace, commander of V Corps, said during a visit to the 101st Airborne Division headquarters here in central Iraq.
(...)
» Wallace described an opponent willing to make suicide attacks against superior U.S. forces while also using threats against fellow Iraqis to generate opposition to the U.S. and British invaders. ''I'm appalled by the inhumanity of it all,'' he said, noting that intelligence reports indicate those loyal to President Saddam Hussein are giving out weapons and forcing others to fight, sometimes by threatening their families.
» ''The attacks we're seeing are bizarre -- technical vehicles [pickups] with .50 calibers and every kind of weapon charging tanks and Bradleys,'' Wallace added, referring to the M1 Abrams tanks and M2 Bradley Fighting Vehicles used by the Army. ''It's disturbing to think that someone can be that brutal.'' »
• Devant ces débordements (les déclarations du général Wallace dans ce cas), à Washington on s’impatiente. Si Wallace n’est pas satisfait de la façon qu’ont les fedayins de tenir leur rôle, Washington n’est pas content de la façon qu’a le général de tenir son rôle. L’on nous dit également que le président est frustré, ce qui est préoccupant.
« ``The plan is to be decisive, rapid, lethal and to give our adversary no edge he can take advantage of,'' Wallace, commander of the ground battle in Iraq, was quoted as saying earlier this month.
» After a week of war, Wallace upset the White House Thursday by saying publicly that Pentagon strategists had misunderstood the combativeness of Iraqi fighters. The miscalculation, he said, had stalled the coalition's drive toward Baghdad.
» ``The enemy we're fighting against is different from the one we'd war-gamed against,'' Wallace, commander of V Corps, told The New York Times and The Washington Post. ``We knew they were here, but we did not know how they would fight.''
» Wallace's comments fed into the frustration the Bush administration already was expressing over media coverage of the pace of the war effort. The war, the White House says daily, is going well and at a good speed. »
Ne nous attardons pas à ce que disent ces gens (sauf le général, dans un moment de détresse, qui nous dit la vérité sur la situation réelle). Les uns ne peuvent faire autrement que poursuivre et renforcer les mensonges qui les tiennent ahuris dans ce qui leur tient lieu de politique ; les autres commentent avec ahurissement cette simple réalité qu’il se trouve que des gens agressés, en général, se défendent. Ce qui doit nous arrêter ici est la distance qui s’établit entre les combattants et leurs chefs civils à Washington, qui devrait ouvrir et renforcer chaque jour une crise grave.
Cette crise est porteuse de bien des risques. Elle rappelle le Viet-nâm en pire, parce que bien pire est l’atmosphère régnant à Washington aujourd’hui. La méconnaissance de la guerre, des Vietnamiens, etc, du temps du président Johnson a été remplacée par une ignorance beaucoup plus systématique et camouflée en un système de certitude, un système complexe où l’ignorance est structurée en une vertu impérative, pour cela appuyée sur une vision complètement faussaire du monde alimentée par le mensonge systématique, — ce système que nous avons pris coutume de dénommer virtualisme. Cela implique une absence grandissante de confiance entre Washingtoniens et combattants sur le terrain, des instructions de plus en plus contradictoires avec la situation sur le terrain.
Pour Washington, le virtualisme implique un refus absolu de la réalité. Pour les chefs de guerre sur le terrain, la réalité est devenue pressante et va les presser de plus en plus, entre leur ahurissement devant un adversaire qui résiste et se bat et leur désarroi devant les problèmes opérationnels que cette résistance leur pose chaque jour davantage. La guerre de l’armée américaine se déroule désormais sur deux fronts : le front irakien et le front washingtonien. Chacun recèle ses dangers. L’une des issues à cette crise pourrait être un désastre aux multiples facettes.