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441Il est vrai que, ces derniers mois, la guerre en Afghanistan et la crise qui va avec sont un peu passées au second plan dans nos préoccupations, remplacées par les crises syrienne et iranienne. Parfois, certes, affleure l’une ou l’autre nouvelle pour nous rassurer et nous confirmer que tout va de plus en plus mal, y compris le travail constant de transformation de la réalité. (Il importe alors de signaler également l’immense “fierté” du général US Allen, commandant de cette affaire qui marche, devant la façon dont l’offensive taliban contre Kaboul de ces derniers jours a montré combien les choses marchent bien du côté des coalisés du bloc BAO, – regroupées sous le sigle d’ISAF, – et de l’armée régulière afghane.)
…Mais comment tout cela fonctionne-t-il ? En d’autres termes, qu’en est-il de la situation du ravitaillement et du soutien logistique extérieurs des forces de l’ISAF depuis la fermeture des voies de communication terrestre par le Pakistan ? Car il se trouve que ces routes, fermées fin novembre 2011 à la suite d’une attaque d’un drone US qui tua 25 soldats pakistanais, en signe du très grand mécontentement du gouvernement pakistanais, n’ont toujours pas été rouvertes. Très peu de nouvelles nous sont communiquées sur cette situation.
Tom Engelhardt, éditeur de TomDispatch.com a invité Dilip Hiro, et a lui-même pris sa plume pour une introduction, et les deux nouds exposent l’état de la question. (Le 17 avril 2012.)
Tom Engelhardt, d’abord, avec cet extrait de son introduction : «Up until last November, more than 30% of the basic supplies for the war came by ship to the Pakistani port of Karachi and were offloaded onto trucks to begin the long journey to and across the Pakistani border into Afghanistan. Late last November, however, angry Pakistani officials -- as Dilip Hiro describes below -- slammed that country’s border crossings shut on American and NATO war supplies. Those crossings have yet to reopen and whether they will any time soon, despite optimistic U.S. press reports, remains to be seen.
»The result has undoubtedly been a resupply disaster for the American military, but you would never know it from the startling lack of coverage in the mainstream media here. All supplies now have to be flown in at staggering cost or shipped, also at great expense, via the Northern Distribution Network from the Baltic or the Caspian seas through some portion of the old Soviet Union.
»Soon after this happened, there were brief reports indicating that the costs of shipping some items had gone up by a factor of six, depending on the route chosen. Back in 2009, it was estimated that a gallon of fuel cost $400 or more by the time it reached the U.S. military in Afghanistan, and that was by the cheaper Pakistani route. How much is it now? $600, $800, $2,400? We don’t know, largely because coverage of the Afghan war has been so patchy and evidently no reporter bothered to check for months. Only in the last week have we gotten a Pentagon estimate: a rise in shipping costs of about 2½ times the Pakistani price. (And even such estimates are buried in wire service stories on other topics.) In other words, for months no reporter considered the border-closing story important enough to make it a feature piece or to follow it seriously…»
Plus loin, dans son texte qui fait un historique des relations agitées entre les USA et le Pakistan depuis 2001, Dilip Hiro donne à son tour quelques détails supplmentaires sur la même situation… «Meanwhile, the loss of the daily traffic of 500 trucks worth of food, fuel, and weapons from the Pakistani port of Karachi through the Torkham and Chaman border crossings into Afghanistan, though little publicized in U.S. media, has undermined the fighting capability of U.S. and NATO forces.
»“If we can’t negotiate or successfully renegotiate the reopening of ground lines of communication with Pakistan, we have to default and rely on India and the Northern Distribution Network (NDN),” said a worried Lieutenant General Frank Panter to the Readiness Subcommittee of the Armed Services Committee of the U.S. House of Representatives on March 30th. “Both are expensive propositions and it increases the deployment or redeployment.”
»The main part of the NDN is a 3,220-mile rail network for transporting supplies between the Latvian port of Riga and the Uzbek town of Termez (connected by a bridge over the Oxus River to the Afghan settlement of Hairatan). According to the Pentagon, it costs nearly $17,000 per container to go through the NDN compared to $7,000 through the Pakistani border crossings. Moreover, U.S. and NATO are allowed to transport only “non-lethal goods” through the NDN…»
D’une façon générale, cette situation est devenue un sujet de préoccupation qu’on peut qualifier de stratégique, dans la mesure où il affecte gravement, même la capacité des forces, particulièrement US, à se retirer d’Afghanistan, comme il est prévu qu’elle fasse. Le 6 mars 2012 (dans Army Times), le général Mattis, commandant Central Command dont dépend pour les USA l’Afghanistan, signalait au Congrès que le retrait de 23.000 hommes prévu d’ici la fin 2012 serait compromis si les routes de transit par le Pakistan n’était pas rouvertes. La même chose, en plus grave, menace selon les mêmes conditions le plan général de retrait qui s’étend jusqu’en 2014.
En général, la situation imposée par le Pakistan a ralenti le rythme du ravitaillement et du soutien logistique, les 30% de ce soutien général perdus par la filière pakistanaise n’ayant pas été compensés entièrement par l’utilisation extensive des autres axes utilisés (il manque un tiers à la moitié de cette réduction). Cette situation pèse sur les opérations d’une façon peu visible, mais en profondeur, en touchant d’abord les capacités offensives des forces de l’ISAF, puisque la priorité est de plus en plus la protection de ces forces pour éviter des pertes fâcheuses pour la popularité de ce conflit, cela impliquant que la priorité du ravitaillement et de la logistique est affectée à cette tâche. Tout cela, on s’en doute, ne fait pas avancer la guerre (ou bien pourrait-on faire remarquer que cela limite les erreurs, les bavures et le reste), et certainement pas reculer l’emprise des talibans dans la situation générale.
Bien entendu, la situation financière et budgétaire de la guerre, essentiellement par rapport aux USA, s’aggrave considérablement à cause des surcoûts importants impliqués par les nouvelles contraintes. Cela s’inscrit évidemment dans un contexte général de crise budgétaire US (dette, restrictions pour le Pentagone, etc.), tout cela dans un mécanisme habituel d’enchaînement de l’aggravation des conditions d’un domaine à l’autre, d’une crise à l’autre. L’originalité de la chose, là aussi sans surprise, est que cet ensemble de situations enchaînées les unes aux autres se développe dans l’indifférence générale et dans une situation de sous-information, sinon de “mésinformation” chroniques, comme le signalent Engelhardt et Dilip Hiro. Comme on le lit, la presse-Système, en général, ne s’intéresse plus à l’Afghanistan dans la séquence présente, non pas par machiavélisme ou par consigne, mais simplement parce que l’Afghanistan est, comme l’on dit, “sorti de son écran radar” et ne fait plus recette dans le système de la communication.
C’est un processus auquel on commence à s’habituer, qui caractérisent l’effondrement en cours (effondrement général et non pas de la seule crise en Afghanistan). Il s’agit du processus selon lequel les catastrophes ne se produisent pas dans les éclairs et le tonnerre de situations devenues explosives et “explosant” effectivement d’une façon spectaculaire, mais plutôt selon une dynamique cachée, accordée à la “philosophie” de ce que nous nommions à un tout autre propos, mais concernant le Système bien entendu, “la fable des termites et des conduites pourries”. Effectivement, les fondations (opérationnelles, budgétaires, conceptuelles) déjà bien vermoulues de la guerre en Afghanistan subissent désormais une pression supplémentaire importante dans un processus de dissolution qui avait déjà une bonne vitesse de croisière. A un moment ou à un autre, le phénomène donnera des effets catastrophiques, selon une logique et dans un domaine qu’on ne peut encore prévoir, et qui apparaîtront alors comme une surprise considérable et comme l’injustice d’un destin qui aurait oublié de prendre en compte la vertu de la cause défendue en Afghanistan par le bloc BAO.
Mis en ligne le 18 avril 2012 à 09H43
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