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116618 décembre 2007 — En février 2007, le Pentagone a décidé la création d’un nouveau commandement régional, pour l’Afrique, AFRICOM (African Command). On a déjà parlé, le 11 octobre 2007, de ce nouveau commandement, dans le contexte des nouveaux conflits engendrés par la crise climatique. Nous nous attachons aujourd’hui aux aspects plus spécifiques de ce commandement, tant d’un point bureaucratique que politique, tant d’un point de vue interne au Pentagone que du point de vue politique des relations des USA avec l’Europe.
L’excellent auteur, dit “Dr. Werther”, a publié, il y a trois jours, sur Antiwar.com, un commentaire acide sur la création d’AFRICOM. Il critique les conditions de création de cet organisme, ses buts, la latitude qui est ainsi donnée au Pentagone de créer une ramification bureaucratique de plus à rajouter au formidable appareil bureaucratique du complexe militaro-industriel.
«Amid such a blur of perfidy, major events that portend disaster in the future can slip by with barely a notice by the media, by Congress, or by the public at large. For example, does one voter in a hundred know that the Department of Defense has quietly activated a new regional military command? Just type in the acronym “AFRICOM” into a search box, and the reader will find a DOD website that presents the new United States Africa Command, in the same boosterish manner that Microsoft rolls out a new operating platform.
»According to the site, “U.S. Africa Command will better enable the Department of Defense and other elements of the U.S. government to work in concert and with partners to achieve a more stable environment in which political and economic growth can take place. U.S. Africa Command is consolidating the efforts of three existing headquarters commands into one that is focused solely on Africa and helping to coordinate US government contributions on the continent.”
»In other words, more meddling, more fishing in troubled waters, more displacement of traditional diplomacy with militarized “shaping of the environment,” more armed, buzz-cut boy scouts playing roughly the same role Graham Greene's “Quiet American” played in Southeast Asia. Oh, yes, and oil in the Gulf of Guinea. […]
»All government bureaucracies, if allowed to fester, metastasize like a malignant cancer cell. DOD, having been given extraordinarily indulgent latitude by a somnolent Congress, has metastasized more than the norm. AFRICOM is yet another venue for general officer billets, staff jobs, and proconsular pretensions. Once created, the bureaucratic imperative becomes paramount. The collapse of the Warsaw Pact nearly two decades ago did not lead to the dissolution of NATO. AFRICOM, once created, will be immortal.
»AFRICOM also represents a God-sent opportunity for both our major political parties to find new worlds to conquer. The GOP, being a subsidiary of Big Oil, is fairly licking its chops at West African oil, although how a bunch of armed social workers would “stabilize” a basket case like Nigeria is not clear, given the unfortunate precedent of Somalia.»
Un aspect plus mystérieux de AFRICOM concerne sa structure bureaucratique, sa localisation géographique et les influences dominantes qui s’y exercent (s’y exerceront), alors que le commandement est en formation entre la date officielle du début de son existence (1er octobre 2007) et la date officielle de son activation (1er octobre 2008). L’intérêt pour nous est que ce commandement US pour l’Afrique est pour l’instant installé au coeur de l’Europe, en Allemagne. Dans le même texte déjà signalé du 11 octobre 2007, nous notions qu’il n’y avait quasiment aucun pays africain intéressé pour accueillir ce commandement US et qu’il existait donc la possibilité sérieuse qu’il reste localisé en Europe. De récentes indications publiées d’une façon anodines permettent de mieux préciser cet aspect du problème.
Hier, la lettre d’information en ligne de l’Air Force Association, AFA Daily, publiait une nouvelle intéressante à ce propos. Elle indiquait que l’U.S. Air Force en Europe (USAFE) allait réactiver une de ses anciennes composantes, la 17th Air Force dissoute en 1996, pour en faire la “structure d’accueil”, – temporaire ou pas? – de AFRICOM. Le caractère anodin du texte, strictement du point de vue bureaucratique de l’USAF, est d’autant plus indicatif, – plus c’est innocent, moins c’est innocent.. C’est de cette manière que s’effectuent les grands mouvements bureaucratiques du Pentagone qui conduisent à des faits accomplis.
«USAFE to Resurrect 17th AF: US Air Forces in Europe plans to reactivate 17th Air Force to serve as the headquarters for the new Africa Command. USAFE already has a 17th AF transition team working the development of the air component for AFRICOM, which stood up initially on Oct. 1. USAFE spokesman Capt. Greg Hignite said in an e-mail response to questions that the team is still working on much of the NAF structure, but it probably will comprise some 300 airmen, including about 150 at the NAF headquarters itself and 130 to form a ''tailored'' air operations center. Plans call for a two-star general officer to lead the NAF, seconded by a one-star vice commander. USAFE expects to have initial operational capability for 17th AF by Oct. 1, 2008 and could name its location as early as this spring. This past summer, USAFE hosted African air chiefs in Germany to talk specifically about the type of air assets most needed for the Africa mission. Just this past year, says Hignite, USAFE conducted more than 200 humanitarian outreach and military-to-military exchanges in Africa. The command this fall provided airlift for some 400 Rwandan peacekeeping soldiers into the Darfur region. (The Air Force first activated 17th AF in 1953 at French Morocco and inactivated it in 1996 at its last location, Sembach Air Base.)»
Des indications avaient également été données le 26 juillet 2007, sur AFA Daily également, concernant le témoignage au Congrès du commandant d’USAFE à propos de la réception de chefs de forces aériennes africaines à Ramstein AFB, en Allemagne, où se trouve le QG de USAFE. (USAFE à Ramstein était également l’élément moteur et dominant de AAFCE, ou forces aériennes alliées Centre-Europe ; cette structure permettait un contrôle des forces aériennes européennes intégrées de l’OTAN par USAFE ; AAFCE a été dissoute en tant que telle mais des structures de contrôle des forces aériennes alliées intégrées par l’USAF subsistent.) Cette visite est de la sorte qui fait penser que les liens entre USAFE/AFRICOM en Europe et les militaires africains sont déjà en voie d'établissement.
Si l’on connaît les arcanes bureaucratiques des forces armées US et du complexe militaro-industriel US, on comprend que ces diverses indications nous permettent d’explorer diverses hypothèses concernant AFRICOM.
Il est évidemment important d’apprendre que la préparation du quartier-général d’AFRICOM a été confiée à USAFE, c’est-à-dire à l’USAF, – et à l’USAF en Europe précisément. Ce commandement reste l’un des plus “classiques” des USA en Europe, l’un des plus liés à la conception classique et orthodoxe de l’OTAN, autant qu’à une implantation géographique propre à cette zone. USAFE n’a pas suivi le mouvement général US vers l’est (vers le Caucase, le Moyen-Orient, etc.) au sein de l’OTAN. Le commandement reste fixé en Allemagne, autour de son énorme base de Ramstein, comme principale force US subsistant sur l’ancien territoire OTAN de la Guerre froide. C’est un commandement qui reste ouest-européen et atlantiste en substance comme dans l’état d’esprit.
Le fait qu’une “Air Force” (subdivision majeure de l’USAF, équivalent à une “Armée” ou un “Corps d’Armée” pour les forces terrestres) ait été réactivée est une indication de l’investissement bureaucratique et structurel que l’USAF (USAFE) met et va développer dans sa tâche de préparation d’AFRICOM. Il pourrait aussi bien s’agir d’une sorte d’OPA bureaucratique de l’USAF sur AFRICOM et, plus encore significatif, d’une OPA d’USAFE. On sait comment évolue la bureaucratie à cet égard, par la technique du fait (silencieux) accompli ou du fait accompli silencieusement c’est selon. Le jour où l’on découvrira que AFRICOM et la 17th Air Force s’équivalent ou presque, il sera difficile d’éviter l’argument qu’AFRICOM doit devenir un commandement sous influence USAF.
Cela est d’autant plus concevable qu’opérationnellement les arguments existent. Les USA, avec leur angélisme coutumier et si émouvant (ah, toujours ces “hearts & minds” qu’il faut gagner), avancent que le rôle essentiel d’AFRICOM sera humanitaire. Pour cela, l’USAF est toute désignée : transport de vivres, de médicaments, de petits drapeaux US, etc. (On pourra ajouter : transport de Special Forces et d’unités de l’Army, et l’on n’aurait pas tort… Le cadre d’activité est aussi large que l’univers et que les structures des forces armées US.) Enfin, ce qui fait l’avantage décisif de l’USAF (USAFE), c’est la quasi-impossibilité d’AFRICOM de trouver une base-accueil en Afrique pour y fourrer son quartier-général. Du coup, c’est l’Allemagne, au cœur de l’UE qui deviendrait la localisation géographique de ce quartier-général, et c'est l'USAF qui est “en charge”. Du coup, c'est à partir d'Allemagne que partiraient les expéditions d'AFRICOM, y compris certaines aux objectifs douteux. Cela plairait-il aux Allemands? D’ailleurs, se sont-ils avisés de cette possibilité?
Une telle hypothèse, si elle est rencontrée, va transformer AFRICOM en commandement à qualification africaine en principe mais à prétentions globales en réalité, bien dans la manière de l’USAF, et à partir du cœur de l’Europe classique ; un commandement US au cœur de l’UE classique, en concurrence directe avec ce que veut faire l’UE dans le même genre; tout cela également au cœur de l’OTAN mais sans y être tout à fait (c’est la grâce de la “double casquette” des commandements US européens, qui font à la fois partie de l’OTAN et sont sous complet commandement US). La pieuvre bureaucratique aura fait surgir un problème politique et stratégique de plus. L’hypothèse est-elle tellement absurde? D'ailleurs, les choses fonctionnent de cette façon depuis des années, en Europe particulièrement.