Afrique-Hongrie: deux nouveaux défis pour l'Europe

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Afrique-Hongrie : deux nouveaux défis pour l'Europe

Nous ne nous lassons pas ici, comme beaucoup de commentateurs, de signaler les défis que devraient relever les Européens s'ils voulaient – n'hésitons pas à employer le mot – survivre en tant que civilisation dans le monde d'aujourd'hui. Il s'agit par exemple des défis économiques, que produire et comment produire? des défis diplomatiques, comment se comporter face aux superpuissances ? des défis politiques et sociaux, comment réduire les différences entre les riches et les pauvre? des défis philosophiques, comment ne pas se laisser entraîner dans de nouvelles guerres religieuses? des défis institutionnels, comment sortir par le haut de l'état de paralysie généré par l'actuel non-constitution européenne?

Face à tous ces défis, c'est plutôt un constat d'impuissance qui vient à l'esprit. Les remèdes que l'on peut envisager supposeraient une telle mobilisation des citoyens, une telle volonté d'agir ensemble en vue d'objectifs communément approuvés, que l'on ne voit pas d'où et de qui pourraient venir les décisions salvatrices. Les divisions et dans une large mesure l'indifférence des citoyens européens ne laissent pas espérer de solutions rapides. Nous sommes certes pour notre part persuadés que si l'Union européenne par une sorte de miracle se dotait d'un statut d'Etat fédéral fort, les débats politiques que susciteraient les politiques fédérales à mettre en oeuvre permettraient aux Européens de sortir de leur atonie. Mais pour le moment nous n'en sommes pas là.

Voici pourtant en ce début d'année 2011 deux autres défis d'importance, deux immenses défis, que devraient relever les Européens. Ils sont très différents mais ne peuvent être traités par des haussements d'épaule. Le premier concerne le désordre grandissant dans lequel semble s'enfoncer l'Afrique, trop voisine de l'Europe pour que nous puissions nous en désintéresser. Le second vient de la montée d'extrêmes-droites très proches des anciens fascismes qui avaient fait le malheur de l'Europe. Elles émanent de partis qui comme celui du premier Ministre hongrois, ne supportent pas le minimum de liberté et de contre-pouvoirs étant ces dernières années apparus (fragilement d'ailleurs) dans les grandes démocraties européennes.

Dans les deux cas, nous pensons que l'indifférence des citoyens confrontés à ces deux défis (à ces deux considérables risques pour parler clairement), sera mortelle pour l'Europe et les Européens. Les risques sont très différents. L'un peut paraître extérieur, l'Afrique n'est pas l'Europe. L'autre est tout à fait interne, comme l'est le ver dans le fruit. Faut-il les mettre au même niveau et envisager que les Européens envisagent à leur égard des solutions communes?

Il est certain que le drame de l'Afrique, de plus en plus mal partie contrairement à ce que prétendent les défenseurs du néolibéralisme, intéresse d'abord les Africains. Mais l'Afrique est à quelques kilomètres de l'Europe. Des échanges notamment démographiques se sont établis depuis longtemps entre les deux continents. Pouvons nous rester indifférents à ce qui se passe actuellement, dont la liste complète serait trop longue à établir ici: révolte croissante des populations au Maghreb, terrorisme et banditisme gangrénant les pays du Sahel, risques de guerres civiles en Côte d'Ivoire et peut-être dans les Etats voisins, néocolonialisme qui ne se cache même pas provenant des Américains et des Chinois autour des richesses minières et énergétiques dont sont dotés certains pays, montée d'un islamisme radical qui se répand partout – y compris en Europe évidemment. Prendre argument de la relative bonne santé de l'Afrique du Sud pour penser que les quelques 1.200.000 Africains sont en voie de décollage serait une illusion.

La situation de l'Afrique, autant d'ailleurs que l'on puisse bien la décrire faute de toutes les informations suffisantes, paraît si inextricable que la tentation pour les Européens de s'en tenir écartés en s'enfermant à l'intérieur de leurs frontières sera plus grande que jamais. Mais nous l'avons dit, l'Afrique et l'Europe sont étroitement liées pour des raisons géopolitiques et humaines. Impossible de n'en pas tenir compte. Mais que faire? Un premier réflexe serait précisément de se poser la question d'une façon plus qu'insistante: que faire, étant entendu que l'on ne peut pas ne rien faire? Que faire? Il serait temps d'y réfléchir ensemble.

Vis-à-vis de ce qu'il faut bien nommer les résurgences de type fascisme se répandant dans la plupart sinon tous les pays européens, on pourrait aussi être tentés par la fuite dans l'indifférence, découlant elle-même de l'impuissance. On ne peut évidemment en revenir au communisme, non plus qu'à l'atlantisme béat, non plus qu'à un devoir d'indignation à la Stéphane Hessel qui peut cacher une grande démission collective.

Les optimistes diront que le problème actuellement soulevé par la Hongrie est mineur. Il suffira de remontrances des institutions pour faire revenir dans la norme communautaire les quelques excités provenant de ce vieux coeur de l'Europe impériale. Nous pensons qu'il n'en serait rien. La tentation du pire est vivante en chacun d'entre nous. Après tout, commencent à penser les plus raisonnables d'entre nous, Viktor Orban ou ses pareils en Europe, dont le FN en France, ont raison. Il faut régresser volontairement, vers les anciens nationalismes, les anciennes querelles de territoires et de frontières, l'abandon de tout effort d'approche scientifique des difficultés. Des milices en uniforme feront très bien l'affaire pour cela. Confrontés par exemple à l'offensive de l'intégrisme musulman qui verrait cette radicalisation d'un bon oeil, les braves gens que nous sommes finiront par applaudir.

La tentation de ne rien faire face aux drames de l'Afrique, de laisser opérer des milices nationalistes en Europe, d'attendre plus généralement que le Système (?) ne s'écroule de lui-même, devrait constituer, nous y revenons ici pour notre part, un risque si mortel que la refonte immédiate du statut constitutionnel de l'Europe, afin d'en faire un Etat fédéral puissant et non comme aujourd'hui un paquet de chiffes, devrait devenir la priorité de tous en ce début de 2011. Sans un tel outil au plus tôt, rien ne sera possible.

Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin