Airbus jusqu’à l’os

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Airbus jusqu’à l’os


26 avril 2005 — La guerre entre Boeing et Airbus sera terrible, elle sera sans merci. Née, pour la phase actuelle, à l’automne 2004, elle entre dans le cadre de ce que nous nommons “la guerre technologique”, dont un autre volet est l’affrontement USA-Europe à l’occasion de la crise de la levée de l’embargo européen (armements) vers la Chine, dont l’un des prolongements est les restrictions de transfert de technologies US vers l’Europe.

Il existe aujourd’hui un courant très puissant au Congrès pour s’opposer à l’Europe dans tous les domaines touchant aux questions technologiques, avec les dimensions complémentaires du militaire, du commercial, etc., et dans une mesure où l’ensemble est devenu intensément politique et stratégique. Des parlementaires se spécialisent dans certaines actions, dans certains domaines, ce qui a l’avantage de leur procurer une notoriété durable. Le spécialiste de la lutte anti-Airbus est désormais le député démocrate de l’État de Washington Norm Dicks. Sa position est évidemment compréhensible, son État étant celui des usines Boeing, qui s’oppose à Airbus, — Dicks est donc le “député de Boeing”, comme le sénateur démocrate Scoop Jackson, parrain des néo-conservateurs (on reste dans la famille), était in illo tempore (dans les années 1960-70) le “sénateur de Boeing”. L’action actuelle de Dicks, au niveau législatif, semble indiquer que Boeing, qui se trouve complètement et de manière sonnante et trébuchante derrière le sénateur, estime qu’on peut obtenir des avancées décisives anti-Airbus au niveau législatif américain.

La dernière initiative de Dicks est son intention confirmée de déposer un projet de loi anti-Airbus, qui empêcherait le constructeur européen de participer à la compétition pour les ravitailleurs en vol de l’USAF. Defense News rapporte, le 25 avril, les intentions de Dicks.


« With the European Union refusing to halt subsidies to its giant aircraft company, Airbus, Rep. Norm Dicks, D-Wash., said he may propose a law that would prevent the company from building airborne refueling tankers for the U.S. Air Force. Dicks said he is considering legislation that would bar companies that violate World Trade Organization (WTO) regulations from receiving U.S. defense contracts. European government subsidies to Airbus are “a per se violation of the WTO,” he said. “I don’t think somebody should be able to compete, or at least win a competition, if they’re in violation of the WTO,” Dicks said during a meeting with reporters April 20.

(...)

» In January, the U.S. and the European Union agreed to suspend the WTO case and try to negotiate a resolution. Three months of talks produced no results, and in March the U.S. Trade Representative’s Office announced it would pursue the WTO case. That hasn’t happened yet. U.S. negotiators “are still hoping that they can work out something,” Dicks said. “They’re still giving the EU a chance to come back and say they’re willing to seriously negotiate.” But that seems unlikely, Dicks said. “We’re headed for the WTO — the sooner the better.”

» Dicks’ legislation would be a tougher House follow-up to a nonbinding resolution passed in mid-April by the Senate, urging the European Union to halt the Airbus subsidies and President George W. Bush to pursue WTO action. Although the Senate voted 96-0, the European Union has ignored the resolution, Dicks said. »


Il est certain, comme on a pu le voir avec la brutalité des derniers échanges lorsqu’on est arrivé au bout du délai du 10 avril, que le climat est dégradé (doux euphémisme) entre les deux négociateurs. Il est dégradé parce que, aux USA, progresse l’idée que les subsides à Airbus sont inacceptables dans l’absolu, donc qu’il ne peut être logiquement question d’échange, de réciprocité, de négociations, etc., avec dans la balance la mise en cause des mesures US que dénonce l’UE. Pour les Américains et dans le climat exalté qu’on connaît aujourd’hui sur ces questions, l’idée même d’un “subside gouvernemental” est monstrueuse, un anathème qui ne peut être discuté.

(Peu importe que les USA fassent de même de leur côté. Ils le font d’une façon dissimulée qui n’engage pas l’apparence de vertu qui fait aujourd’hui l’essentiel de l’argument US. La minceur de la cause et la force du sentiment garantissent l’extrémisme de la position américaine. Il s’agit d’une “faith-based argumentation”, qui est du domaine quasiment religieux. Ce genre de choses est, à Washington, irrésistible.)

Pour toutes ces raisons, les intentions de Dicks semblent répondre à l’air du temps et ont de bonnes chances de faire leur chemin et d’aboutir à une législation de facto anti-Airbus qui pervertira par avance l'esprit de toute négociation. Il est également probable que la démarche de Dicks, si elle est couronnée de succès, ouvrira la voie à d'autres législations du même “esprit” (c'est-çà-dire interdisant de facto le choix d'Airbus au nom d'un jugement de valeur soi-disant objectif: « ...subsidies to Airbus are “a per se violation of the WTO” »). Une telle législation placerait l’UE, toujours selon l' “esprit de la loi”, dans la redoutable position de devoir riposter par des mesures unilatérales de son côté, ou de perdre tout crédit vis-à-vis du monde industriel européen et des États-membres.