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6 octobre 2006 — L’Iran est absent du débat électoral US mais rôde comme une ombre en arrière-plan de ce débat. (Quel débat d’ailleurs ? Peut-on nommer cette chose, ce qui se passe à Washington : “débat” ? Bien sûr que non.) L’ombre de l’Iran rôde, si vous voulez, comme une sorte d’“arme de l’ultime recours” (pour ne pas perdre les élections).
D’où un certain retour en grâce de l’option dite «October Surprise». Pourquoi pas, d’ailleurs? Il s’agit de proposer une voie acceptable pour taper sur l’Iran, très vite, avant le 7 novembre, et tenter d’assurer la sauvegarde du soutien législatif au régime Bush.
Il y a peu, nous avons mentionné Arnaud de Borchgrave, cet excellent citoyen belge devenu américaniste, cold warrior, favori du révérend Moon pour le Washington Times puis revenu de tout et faisant aujourd’hui profession de quelque scepticisme. D’autres textes paraissent, qui redonnent de la vigueur à l’hypothèse d’une attaque. Ils se regroupent tous autour de l’idée d’une attaque avant le 7 novembre. La chose est résumée par cette remarque, dans un texte de Frida Berrigan publié ce matin sur Antiwar.com : « On Sept. 17, speaking to a group of peace activists, former CIA official Ray McGovern offered a dire warning: “We have about seven weeks to try and stop this next war from happening.”»
• Effectivement , Berrigan détaille quelques faits récents et cite d’autres articles publiés sur le sujet, pour faire état de l’incertitude régnant à propos de la possibilité d’une attaque. Elle détaille notamment des ordres de déploiement de l’U.S. Navy de groupes de guerre dans la région (les ordres sont connus depuis quelques semaines, et ils avaient déjà été publiés comme arguments de la possibilité d’une attaque). Elle termine en détaillant l’incertitude qui existe même à l’intérieur de l’“option de force”, entre un déploiement de force pour faire pression ou un déploiement de force pour une attaque réelle.
«Fred Kaplan, writing at Slate, argues that Iran policy may be moving along parallel tracks — one involving force as a form of pressure and the other involving plans for an actual military attack. He imagines the current situation as a dangerous game of highway chicken in which two drivers speed toward each other, head on. The winner is the one who doesn't veer off the road, and it's a tie if both drivers steer off the road. “If they both keep driving straight on, pedal to the metal, certain of victory, opposed on moral principle to backing down, the outcome is mutual catastrophe,” Kaplan writes. “And in this case, we're all sitting in those cars.”
»The flaw in Kaplan's metaphor is that it implies two equal adversaries. Even with a nuclear weapon, Iran couldn't subject the United States to the kind of damage that Washington could inflict on it. But as we see every day in Iraq, the car that “veers off the road” can come back to fight another day, by other means that are just as deadly.»
• Voici maintenant un scénario plus fourni, plus détaillé : celui de Thomas Gale Moore, également sur Antiwar.com, hier. L’argument est évident («When an administration is in trouble right before an election, it sometimes resorts to an ‘October surprise’ designed to build support.»). La spéculation est détaillée.
«My scenario starts with James Baker, who with Lee Hamilton heads a bipartisan study group on Iraq, telling the president that he is in a hole and had better stop digging. Baker may suggest that the U.S. force the Iraqi government to step up to the plate by announcing that we will pull our troops out by a date certain. The president will make this recommendation public. He will promise that most of our soldiers will be gone by the end of 2007 or, at the latest, by mid-2008. For Republicans, this has the advantage of removing the issue before the next presidential election and, in all probability, from this midterm poll.
»To maintain his macho image, however, the president will also announce that the U.S. will bomb Iran's nuclear facilities if that country refuses to stop enriching uranium within a week. He is currently laying the political groundwork for this by asserting that the Democrats would be unwilling to militarily preempt an aggressive state. The Democrats, he says, will “wait until we're attacked again,” implying that he will strike before we are assailed. Bombing Iran will be couched in terms of eliminating that country's ability to attack us with nuclear weapons.»
Moore semble envisager un scénario d’une attaque assez limitée, certainement sans recours au nucléaire, qui pourrait éviter à Washington une riposte de Téhéran à cause de la menace d’une deuxième attaque de Washington (nucléaire celle-là). Citant Time, Berrigan mentionne rapidement l’énormité de la tâche opérationnelle à accomplir si les USA décidaient d’une frappe massive. («Bombing Iran, however, is not an easy proposition. According to estimates quoted in Time, there are 1,500 different “aim points” (or viable targets) in Iran related to their nuclear development complex. Air strikes would require almost everything the Air Force has, and even then, a White House official admits, “we don't know where it all is … so we can't get it all.”»)
La question de l’ampleur de l’attaque est importante. La concentration de l’essentiel des forces de frappe de l’USAF, sans parler des mouvements de concentration des groupes de porte-avions de la Navy, suppose un considérable effort de logistique de sa part. Si l’on se réfère aux habitudes américaines dans ce domaine, il est assez difficile de concevoir cet effort en un laps de temps si court (d’ici le 7 novembre). La concentration est-elle déjà en cours ? Il serait surprenant que de tels mouvements n’aient pas été repérés. On peut également envisager des frappes “intermédiaires”, comme Moore a l’air de le faire sans le dire. On peut aussi envisager des “frappes régionales” comme à partir d’un incident — nécessairement provoqué — à la frontière avec l’Irak. (Washington se trouverait alors en contradiction avec les Britanniques, mais il n’est pas sûr que Washington s’en inquiète. Moore : «I doubt seriously that Tony Blair will be able to support him in such a bombing campaign, but then the president has shown that he doesn't care what other nations think.»)
Une “frappe intermédiaire” peut être un choix jugé suffisant si l’argument principal retenu pour une attaque est l’argument électoral. Le choc initial de l’attaque pourrait être considéré comme suffisant par les tacticiens électoraux de GW Bush pour faire basculer un électorat jugé incertain.
Ce qui est remarquable, c’est qu’il ne paraît y avoir aucun effort de réflexion ou de planification sérieux pour la situation d’“après-l’attaque”. On retrouve l’habitude américaniste désormais ancrée de considérer qu’une frappe aérienne massive est per se suffisante. D’autre part, un argument supplémentaire est certainement que Washington ne semble rien planifier d’essentiel parce qu’il n’en a pas vraiment les moyens. Tout le monde à Washington pense que si une attaque est jugée nécessaire — et c’est quasiment le cas — elle doit avoir lieu sans se préoccuper de la suite, et l’on ne se préoccupe pas de la suite parce qu’on ne voit pas ce que cela pourrait être, du point de vue US, à cause de la crise des moyens.
Il y a une inconnue de taille: la position de Rumsfeld. Diverses indications nous disent que Rumsfeld ne serait pas particulièrement à l’aise en cas d’attaque de l’Iran, à cause des répercussions sur la situation du corps expéditionnaire en Irak. La chose a été développée lors de la seconde guerre du Liban, où l’on a écrit l’état angoissé de Rumsfeld. A la réunion des ministres de la défense de l’OTAN en Slovénie, des sources ont, pour la première fois, observé à propos de Rumsfeld: «Il a paru vraiment très vieux.»
D’autre part, on reparle de la possibilité de son remplacement. (George Stephanopoulos, le 1er octobre sur ABC: «Newsweek is reporting this morning that the president is actually sounding out people, including Henry Kissinger and James Baker, about whether he should replace Rumsfeld. And it quotes a senior White House official saying, “So far, the advice has been Rumsfeld should stay, but I can't predict the future.” Is his job secure throughout this term?») Si toutes ces observations sont fondées, peut-on imaginer de lancer une opération de l’importance de l’attaque contre l'Iran dans une telle situation d’incertitude au Pentagone?
Mais poser cette question, c’est accepter le règne de la raison à Washington. C’est la dernière hypothèse acceptable aujourd’hui. En fait, deux seuls arguments soutiennent l’idée de lancer une attaque contre l’Iran :
• L’hystérie belliciste, toujours très présente chez certains dans l’administration (Cheney) et autour (les néo-conservateurs). Si les circonstances permettent à cette hystérie de s’exprimer, rien ne l’arrêtera, le reste étant paralysé par le conformisme patriotique.
• Le calcul électoral, dont on a vu qu’il sous-tend la plupart des analyses envisageant une attaque dans le court terme.
D’une façon générale, on dirait presque “objectivement”, l’idée d’une attaque de l’Iran reste aujourd’hui une constante de l’inconscient américaniste en guerre. On irait jusqu’à dire que cette question de la possibilité de l’attaque est secondaire, que le principe de cette attaque est une donnée de base, non du jugement ni même de la décision, mais de la psychologie américaniste reformatée par le virtualisme post-9/11.
A notre sens, ce qui serait déterminant dans une décision d’attaque si une telle action était envisagée, ce serait le degré de contrôle de la situation intérieure washingtonienne, au niveau de la communication. Si le scandale Foley, qui est aujourd’hui un cas extrêmement sensible, continuait à faire sentir ses effets, il mobiliserait l’essentiel de l’infrastructure de la communication et constituerait un obstacle presque impraticable à la “mise en scène” nécessaire pour une attaque de l’Iran.
Il faut moins attendre une décision selon le fond de la question qu’une décision selon sa forme, sa présentation. Il ne faut même pas établir un rapport de logique politique Foley-Iran (si Foley devient dévastateur, il faut attaquer pour détourner l’attention), même si ce rapport existe implicitement ; dans la mécanique de l’action conduisant à la décision, c’est vraiment le contrôle de la situation virtualiste (de communication) qui importe. Actuellement, l’administration est sur la défensive dans la question du scandale Foley, même pas encore en situation de “damage control” (tout le damage n’étant pas étalé). Il nous semble difficile que la lourdeur de l’infrastructure du système de communication puisse passer à une affaire aussi grave que l’attaque, ou même déléguer une partie de lui-même à cette tâche.
Paradoxe : l’attaque sur l’Iran, si l’hypothèse est considérée, dépendant du scandale Foley, mais d’un point de vue technique plus que politique. A notre sens, c’est ainsi que fonctionne cette Grande République bananière construite désormais sur une structure de communication alimentant le virtualisme indispensable, — et qui règle tout, absolument tout, et reste l’argument ultime de la décision.
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