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129027 mai 2009 — Les Américains se précipitent en Chine. On parle des divers canaux, réseaux, officiels ou moins officiels, c’est-à-dire tout l’appareil d’influence et de représentation politique, lorsque Washington monte une offensive d’accommodement, voire de séduction vers une autre puissance. Comme avec toute initiative US de ce genre, celle-ci est cousue de fil blanc. Il s’agit d’amadouer la Chine pour empêcher que les rapports de puissance entre la Chine et les USA évoluent plus ou moins rapidement en faveur de la première. La visite (25 au 31 mai) d’une puissante délégation parlementaire en Chine, menée par l’élégante Nancy Pelosi (Speaker de la Chambre), qui avale pour cette occasion une couleuvre de dimension, est le signe le plus spectaculaire de l’offensive d’amadouement.
Pelosi, farouche gardienne standard des droits de l’homme (et de la femme puisque nous y sommes), a pris plus d’une fois position contre les pratiques chinoises à cet égard, qu’elle juge déplorables; de même s’est-elle insurgée contre les affaires tibétaines, autre standard du genre. Qu’importe, elle est partie en Chine en mettant une sourdine à ses angoisses, les remplaçant en général par des appréciations très élogieuses sur les réalisations économiques chinoises. Elle suit le même chemin qu’Hillary Clinton, avec pour but général d’assurer les Chinois de la bonne volonté US et d'obtenir d’eux qu’ils ne cessent pas leur soutien aux USA, notamment via l’achat de bons du trésor. La mission Palosi a été suggérée par le député Kirk, qui a été un de ceux qui ont sonné l'alarme concernant l’évolution du comportement de la Chine.
Tout cela se déroule sur le fond des inquiétudes extrêmes des USA pour la position du dollar comme monnaie de référence, et les menaces que la puissance chinoise fait indirectement peser sur cette position. De nombreux commentaires sur cette question sont régulièrement publiés (voir notamment celui de Nouriel Roubini, du 14 mai 2009 dans le New York Times, dont il est question plus loin: «Le yuan pourrait-t-il contester la suprématie du dollar?»).
Pelosi et les autres parlementaires US doivent rencontrer les dirigeants chinois. Catholique pratiquante, Pelosi a aussi rencontré l’archevêque Aloysius Jin Luxian, l’un des dignitaires catholiques chinois les plus influents, qui fut emprisonné à l’ère maoïste. AFP donne quelques indications sur cette visite, le 25 mai 2009.
«Pelosi discussed religious freedom with [Bishop Aloysius Jin Luxian, 93], who was imprisoned for 27 years for activities related to his faith as well as his relationship with Catholic leaders outside China, she said in a statement issued late Monday. “Our visit with the bishop yesterday was so remarkable,” Pelosi told Shanghai Mayor Han Zheng. “He gave us words of wisdom for us to come and see for ourselves what is happening here. What changes have taken place, and what the prospects are for the future,” she said.
»Pelosi's visit comes a week before the 20th anniversary of the government crackdown that crushed pro-democracy demonstrations in Tiananmen Square. Like US Secretary of State Hillary Clinton, who visited China in February, Pelosi refrained from publicly criticising China's human rights record, choosing instead to focus on strengthening relations between the two countries. “We've seen Shanghai by land and by sea and cyberspace. In every way, it's a joy. Congratulations to you on your success,” she told Han.
»Pelosi chose tackling climate change as a theme for the first full day of her visit, the statement said. “I will continue to speak out for human rights in China and around the world. Indeed, protecting the environment is a human rights issue,” she told the Shanghai American Chamber of Commerce according to the statement.
Tout cela, on s’en doute, poursuit également, ou dans tous les cas va dans le même sens que l’idée du G2 de Brzezinski, que nous présentions le 26 avril 2009. Mais les conceptions américanistes, comme dans le cas de Brzezinski, se heurtent à un comportement qui leur est étranger, qui est celui d’une puissance qui n’a pas de désir fondamental d’hégémonie. C’est ce que Steve Chapman découvre, à sa grande surprise, lors d’une visite en Chine dont il fait rapport dans Reason.com du 25 mai 2009.
«Zhang Xiaoming, a professor at Peking University's School of International Studies, told me and other visiting journalists, “China wants to be a status quo power, not a revolutionary power.” The country's rulers say the same thing. A white paper published last year declared, “China pursues a national defense policy which is purely defensive in nature.”
»Prudent people will not take such declarations on faith no matter what government makes them. But in this case, there is no visible gap between Beijing's rhetoric and its conduct. So maybe they mean what they say.
»For the most part—not always, but usually—the Chinese have behaved as though they think a country can best assure its prosperity and security through caution, restraint, multilateral cooperation, and a sense of the limits of military might.»
Les Américains (américanistes éventuellement) savent ce qu’ils veulent, l’affichent mais ne sont pas plus habiles pour cela; d’abord parce qu’ils ne sont pas historiens dans l’âme, au sens qui compte. Lorsque le brillant Nouriel Roubini, économiste original en marge du système devenu original adoubé par le système, analyse la possibilité très sérieuse que le dollar s’efface et que ce pourrait être au profit du yuan, il fait une belle description d’économie monétaire mais montre qu’il est un piètre historien. Quoi qu’il en soit de ses origines, Roubini est américanisé puisqu’il commence son texte du 14 mai 2009 par ces mots:
«19th century was dominated by the British Empire, the 20th century by the United States. We may now be entering the Asian century, dominated by a rising China and its currency.» (Traduction sur Contreinfo.info le 19 mai 2009: «Le 19ème siècle a été dominé par l’Empire britannique, le 20ème siècle par les États-Unis. Nous pourrions maintenant entrer dans un siècle asiatique, dominé par la Chine et sa devise.»)
Donner le XIXème siècle à l’empire britannique est bien une réaction d’économiste et d’Anglo-Saxon (of course, quelle que soit l’origine de Roubini). Le XIXIème est plutôt le siècle du “splendid isolation” de l’Angleterre, – c’est-à-dire du soi-disant “empire”, en fait cette puissance marquée par l’irresponsabilité et la préparation de la catastrophe finale. L’empire britannique fut développé là où les autres n’étaient pas, ce qui mit pour l’essentiel l’Angleterre hors des vraies affaires du monde (en Europe), lui permit de s’enrichir pour voir cette richesse commencer à s’effondrer dans le conflit que son égoïsme et son inconséquence avaient empêché de prévenir. (La Grande Guerre suivant la montée de la puissance de l’Allemagne contre laquelle l’Angleterre ne fit rien, – notamment lors de la guerre de 1870, – qui supplanta l’Angleterre elle-même comme modèle moderniste, économique, technologique et industriel au tournant du XXème siècle ; la Grande Guerre qui permit aux USA d’entrer en scène et de liquider le prépondérance financière britannique.) Cela nous fait penser qu’en nous annonçant la possible fin de la suprématie du dollar, Roubini ne nous donne pas pour autant la clef de l’énigme, – sinon par un de ces lieux communs qui permet de faire l’une ou l’autre manchette d’hebdomadaire (le XXIème siècle, «un siècle asiatique»).
Ces gens, les Anglo-Saxons transformés en une communauté économique seulement capable d’apprécier l’histoire de ce point de vue économique, ne peuvent donc exister par eux-mêmes. Toutes leurs conceptions politiques sont fondées sur le paradigme économique, donc fondées sur la concurrence, l’affrontement, l’hégémonie, etc., c’est-à-dire la confrontation nécessaire avec l’autre (avec les autres). D’une certaine façon, ils ne peuvent exister que dans la mesure de cette concurrence, l’existence de l’autre, même et surtout par la confrontation, étant garante de leur propre existence. Leur incompréhension de l’Histoire leur fait ignorer ce que le terme d’“empire” selon leur interprétation a d’abusif et d’excessif; que ce terme désigne moins une notion de puissance qu’une notion administrative interne de pseudo-multipolarité, ou une notion de multipolarité rassemblée sous un pouvoir fédérateur. (Rien qu’au XIXème siècle et rien que pour l’Europe, à côté de l’empire britannique, nous avions l’empire russe, l’empire austro-hongrois, l’Empire français en plusieurs numéros avant d’arriver à l’“empire colonial français”, l’empire allemand comme prometteur dessert de la deuxième moitié du siècle…) Les américanistes sont incapables de séparer la notion d’“empire” de la notion du besoin absolu d’hégémonie, par conséquent d’une situation de constant affrontement pour affirmer cette hégémonie.
Aujourd’hui, après s’être cru l’Empire du monde, ils se découvrent avec effroi comme l’Empire du monde risquant l’effondrement, sinon en cours d’effondrement. Ils sont incapables de prendre la seule mesure de bon sens, qui serait l’abandon des structures “impériales” du Pentagone pour se replier sur la dimension continentale. (Les seuls Américains raisonnables à cet égard sont évidemment les isolationnistes historiques, ou les héritiers de la tradition “localiste” jeffersonienne, et en général les Américains de la tradition anti-belliciste, c’est-à-dire opposée aux folies “impériales”.) Les américanistes tentent donc de négocier un arrangement avec le pays qu’ils voient nécessairement comme leur successeur (voir Roubini), en tenant pour acquis que l’ambition de ce pays sera nécessairement de suivre les mêmes conceptions qui ont présidé à l’établissement de l’Empire US sur le monde et en espérant qu’ils pourront tout de même tirer leur épingle du jeu (voir Brzezinski.)
On dit en général qu’il y a deux issues pour le déclin du dollar et la fin de son hégémonie: une issue négociée, qui permettrait au dollar de garder une certaine place dans un concert de monnaies fournissant le successeur commun à ce même dollar; ou bien la chute du dollar, et son remplacement brutal par quelque chose (par le yuan, suggère Roubini). Un seul aspect de ces suggestions est de quelque intérêt: le sort du dollar, – parce qu’il détermine le sort d’une conception des relations internationales. Qu’il s’agisse du déclin du dollar ou de la chute brutale du dollar, ce qui importe est qu’il s’agit de l’échec de cette sorte de relations internationales basée sur la confrontation, la chose vue d’un point américaniste, ou économiste. Mais les USA ne veulent pas entendre parler de cet échec de ces conceptions, parce qu’ils ne peuvent concevoir une autre sorte de relations.
Leur insistance désormais, parfois jusqu’à l’humiliation, pour s’entendre avec la Chine, constitue effectivement cette manœuvre suggérée par Brzezinski et son G2 pour se placer aux côtés de cette puissance dont ils jugent qu’elle va leur succéder, éventuellement pour retarder cette situation, éventuellement pour la limiter à leur avantage, etc. Le problème est que la Chine ne partage absolument cette conception des relations internationales. La tentative d’entente entre les USA et la Chine (et, dans ce cas, malgré le désir des Chinois, qui n’aiment justement pas la confrontation) va se heurter à un moment ou l’autre à cette différence de conceptions. La tentative US d’“amadouer la Chine”, c’est-à-dire de la convertir à leurs conceptions des relations internationales, est vouée à l’échec. Le résultat, pour en revenir au sujet monétaire qui agite les spéculations des commentateurs, est qu’il n’y aura pas d’adaptation à l’évolution de la situation, pas d’“issue négociée” à la fin de l’hégémonie du dollar. Une telle opération (la fin de l’hégémonie du dollar) ne peut être marquée que par la brutalité, comme le sont toutes les opérations en cours marquant la fin de l’hégémonie US. La fin de l’hégémonie US sera nécessairement une chute, et certainement pas une négociation.
Ce qui viendra après, c’est une autre histoire… La simple logique le suggère et suggère de n’avancer aucune prévision. La brutalité de la chute de l’hégémonie US sera en soi un événement assez déstabilisant pour faire naître de nouvelles données puissantes, que nous ne connaissons pas et ne pouvons connaître actuellement, qui interviendront d’une façon impérative dans la formation de la nouvelle situation.
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