“American” fluidité

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American fluidité


19 octobre 2007 — Nous nous sommes attachés à un texte de Bernard Weiner, éditeur du site Crisis Papers. Bernard Weiner, poète et auteur de théâtre, a été le critique théâtral du San Francisco Chronicle pendant 16 ans. Il est aussi, autre facette remarquable, professeur de relations internationales, enseignant dans plusieurs universités. Le texte date du 16 octobre, basé sur une conférence de Weiner à Munich (le 10 octobre) devant un rassemblement de citoyens US à l’étranger, membres militants du parti démocrate. Démocrate lui-même, Weiner donne un bon aperçu du désarroi peu ordinaire qui parcourt l’électorat US (en général, républicain compris) et, plus particulièrement dans ce cas, l’électorat démocrate, — d’un parti qui sort d’une victoire exceptionnelle (novembre 2006) et se dirige, dit-on, vers une victoire non moins exceptionnelle (novembre 2008).

Nous avons beaucoup abordé des questions ponctuelles concernant telle ou telle candidature ou non-candidature, des plus assurées aux plus inattendues, aux plus étonnantes. Cette fois, nous voulons aborder d’une façon plus générale l’état d’esprit des électeurs. Découvrir un tel désarroi chez des représentants du parti de la victoire quasi-assurée, voilà qui ne laisse pas d’être un constat intéressant.

Ci-dessous, un extrait (la fin) du texte de Wesner, analysant ce qu’il perçoit de la situation de l’électorat démocrate, à partir de son expérience US autant que de sa conférence en Allemagne. Effectivement, le terme nous paraît adéquat: la situation est “fluide”…

«THE FLUIDITY OF POLITICS

»Things are fairly fluid politically right now. As I've written previously, there is a potential opening for a third-party run, drawing from the disenchanted wings of both the Republican and Democratic parties. Is there a charismatic crossover candidate willing to take advantage of that momentary opening to help mount a viable run for the White House in 2008? If a strong third party candidacy emerged, which major party would be most helped, the Republicans or the Democrats? Could the Republican candidate slide by into the White House if too many Democrats deserted their party to vote for this third-party candidate? Might the chances for popular approval soar if that third-party were to create a bi-partisan “Unity” ticket, made up of a leading Democrat and a leading, anti-war Republican. (Gore/Hagel?)

»Finally, a longer-range thought. Even if a viable third party doesn't get born this time out, the Democrats are ripe, as are the Republicans, for a good, long, soul-searching debate about the future of the party. Redefining the mission. Coming up with some philosophies of governance, and foreign policies, we all can agree on. Developing policy statements in various areas that are not just reactions to what the Republicans are doing. Etc. Etc.

»In short, the 2008 election may well turn out to be a watershed in modern American politics, re-aligning the electorate in ways they feel more comfortable with. We shall see.

»THE Q&A SESSION

»What followed those prepared remarks was a wide-ranging discussion of U.S. domestic and foreign politics, everything from: whether Gore (now Nobel Laureate Gore) will jump into the presidential ring — there was much enthusiasm among the DA crowd for the idea; the intricacies of vote-tabulation and the likelihood of electoral fraud again; the insanity of attacking Iran and why CheneyBush would take that route; the possible genesis of Democratic wimpiness these days; the punishment the Party leadership is preparing for several state Dem organizations such as in Florida and Michigan for pushing their primaries way forward, etc. But a good share of the conversation involved the frustration and puzzlement they feel toward their wimpy Party leadership. And about the Democratic contenders, especially whether anyone can stop Hillary.

»And, of course, these DA members wanted to know my preferred candidate(s). I told them that, for a wide variety of pragmatic and policy reasons, I would prefer the Dem nominee not be Hillary Clinton; of the potentially electable candidates, I am more favorably inclined to John Edwards, with much to admire also about Bill Richardson and Barack Obama. Despite their elitist ties and tendencies, any of these three would be somewhat more progressive, anti-war, civil libertarian and more sympatico than is Hillary.

»But, if Hillary Clinton turns out to be the Dem standard-bearer in 2008, then all we progressive, anti-imperialist Democrats will face the usual moral dilemma next November. Clearly, there are significant differences between the two parties. The question is: Will there be enough of a difference between our candidates and those put forward by the Republicans to justify yet again holding our noses and voting for the lesser of two evils? I suspect the answer is yes, but we shall see how the political drama plays out in the next six months.»

Weiner cite dans son texte une lettre reçue par le San Francisco Chronicle, d'un lecteur qui lui semble représenter l'électeur typique US, dégoûté du parti auquel il adhérait et qui se tournerait vers un candidat indépendant ou un troisième parti. D'autre part, les calculs électoraux que présente cet électeur témoignent de la complexité des blocages des courats de la politique US.

« Editor - ... As of today, I will vote for Sen. Barack Obama or Bill Richardson [in the primary], because in my opinion, Sen. Hillary Clinton is the best chance the Democrats have to lose the 2008 presidential general election.

»If she is their nominee, hatred of her will motivate Republican conservatives to vote and work to elect the Republican candidate, whoever he is.

»At the same time, Clinton is the most likely to drive a third party candidate from her left to enter the race. The growing number of independent voters includes disaffected Republicans and they, too, would be more inclined to vote Republican if Clinton is the Democratic candidate.

»Even though I strongly feel that the U.S. will be best served if a Democrat, not a Republican, is elected President in 2008, I will vote for a third-party candidate, even if it means the Republican candidate is elected. I won't be alone in doing so.

»Jim DiCarlo, San Francisco (23 September, 2007).»

GW est-il l'arbre qui cache la forêt?

Il nous semble que l’élection présidentielle de 2008 aux USA sera très paradoxale et, peut-être, extraordinaire dans son déroulement, dans la perspective d’une période pré-électorale qui a d’ores et déjà commencé. Nous voudrions l'envisager ici sans vraiment nous intéresser aux résultats possibles, à la personnalité des candidats, etc. De ce point de vue, savoir si Hillary fera équipe avec Bill ou si Ron Paul sera candidat indépendant ne nous importe pas. (Par contre, savoir que Hillary fera équipe avec Bill pour les raisons qu’on sait, que Ron Paul a une position de force extraordinaire, qu’il ne faut pas écarter l’hypothèse Gore en cas d’événement dramatique, tout cela nous importe dans le cadre de ce texte pour ce que ces faits et spéculations nous disent de l’état d’esprit US.)

Au reste, – et c’est pourquoi nous considérons le texte de Weiner comme un “indicateur d’ambiance” plutôt qu'un texte de politique à proprement dit, – il nous semble peu ordinaire que dans un tel texte où il apparaît que les différents protagonistes (l’intervenant et auteur du texte et son auditoire) sont extrêmement libres de leurs esprits et de leur parole, le nom de Ron Paul n’apparaisse pas une seule fois alors qu’on évoque l’hypothèse d’une candidature indépendante avec un “ticket unitaire” du type démocrate-républicain dissident Gore-Hagel, – rien que ça ! («Might the chances for popular approval soar if that third-party were to create a bi-partian “Unity” ticket, made up of a leading Democrat and a leading, anti-war Republican. (Gore/Hagel?).») Cela indique pour le moins un certain éclatement de la situation pré-électorale; le refus, volontaire ou pas, ou l’incapacité de prendre en compte tous les faits de cette situation (cela vaut pour les commentateurs comme pour les état-majors politiques); la possibilité d’autant plus ouverte, à partir de cette situation d’autisme sélectif dans l’un ou l’autre sens, d’une surprise dans le cours de la campagne, etc.

C’est de ce point de vue de l’“ambiance psychologique” que nous nous référons à ce texte. Dans ce cas, la “liberté des esprits et de la parole” compte beaucoup (notamment le fait que l’audience est faite de citoyens US expatriés, donc libérés de la pesanteur psychologique considérable du conformisme at home). Il s’agit de psychologies plus libres, même si les opinions sont semblables, que celles de participants à un débat aux USA. A cette lumière, le fait essentiel de notre constat est que l’élection de 2008 s’annonce très différente de celle de 2004. Elle est véritablement désenchantée (nous avons hésité devant le terme “désespérée”) ou déboussolée par rapport à celle de 2004. Le désarroi vaut pour tous les acteurs en présence, y compris pour le système lui-même qui apparaît très impuissant devant certaines potentialités (l’équipée Ron Paul, par exemple).

Observons qu’il n’est nullement incongru de discuter de la chose (l’élection de 2008) un an avant cette élection. Pour l’élection de 2004, le même phénomène d’intérêt actif plus d’un an avant avait eu lieu. Sur notre site, le premier texte référencé envisageant la question de l’élection de novembre 2004 est daté du 2 août 2003. Il ne s’agit pas d’une spéculation qui nous était propre puisque nous présentions un texte extérieur sur le sujet. Justement, ce texte exposait le sujet qui caractérisa les spéculations avant 2004: «Would an Incoming Democratic Administration Be Forced to Maintain the Bush Doctrine?», de la société d’analyse PINR.

(Nous-mêmes, nous évoquions la question de savoir si la politique US depuis 9/11 serait différente sans GW, si elle ne tenait qu’à GW, dans un texte du 8 décembre 2002 présentant une Analyse de notre Lettre d’Analyse de defensa du 25 octobre 2002. Bien entendu, notre réponse était négative, comme elle l’a toujours été.)

En 2004, la spéculation était nette. La proposition dominante était caractérisée par ce slogan très en vogue : “Everybody But Bush” (“N’importe qui mais pas Bush”, – nous ne sommes pas sûrs de la formulation mais c’est l’esprit). En d’autres termes, la politique catastrophique était identifiée à un homme, même pas à un parti (républicain) ; c’est un peu comme 9/11, comme ceux qui font de cet événement un cataclysme, et un cataclysme comploteur éventuellement, selon la logique transparente qu’il y a un “avant-9/11” et un “après-9/11”, impliquant par conséquent que le système dans toute sa durée est moins en cause que le système-déchaîné-depuis-et-par-9/11.

(Pour nous, effectivement, 9/11, – complot ou pas, cela importe peu, – n’a rien changé de fondamental de la nature des choses américanistes, même s'il a bouleversé les psychologies; il a révélé sans doute définitivement la vraie nature du système; le système existait en substance avant 9/11. Le fait du système de l’américanisme, qui remonte à 1787 et qui est l’image exacte et achevée par les circonstances américaines de la modernité née en Europe, est infiniment plus important que 9/11, – complot ou pas. Nous comprenons bien ceci, dans cette thèse: les USA ne sont pas une aberration qui ne nous concerne pas, ils sont une aberration enfantée par l’Europe et sa philosophie du Progrès, – donc nous sommes en cause.)

En 2008 (spéculations de 2007 pour 2008), l’atmosphère est complètement différente, sans rapport avec l’atmosphère de 2003 pour 2004. Ce texte nous montre que, chez des électeurs (les démocrates expatriés) qu’on ne peut juger marginaux ou dissidents, qui sont des démocrates actifs, travaillant à l’intérieur du parti, de tendance plutôt progressiste, l’atmosphère psychologique est désenchantée, désorientée et radicale. C’est un phénomène remarquable car ces gens sont au cœur d’un parti qui a gagné en 2006 et qui va sans doute gagner en 2008.

Le phénomène est donc bien celui-ci, et c’est une forte évolution depuis 2003-2004. On n’attend plus le départ de GW Bush, qui est évidemment acquis, on irait jusqu’à craindre de départ de GW Bush. Lui qui semblait être la cause de tout, la calamité en 2003-2004, il est aujourd’hui, en 2007-2008, le bouc-émissaire, l’arbre qui cache la forêt. Le sentiment sous-jacent serait presque: qu’allons-nous faire lorsqu’il ne sera plus là pour expliquer, par sa seule médiocre et binaire personne, la catastrophe qui frappe les USA?

Mais même cette perspective terrifiante (une situation catastrophique sans l’explication de la présence de GW) ne mobilise plus personne pour tenter de trouver parmi les candidats une issue acceptable. Il y a également, par la force des choses, un rejet massif du système. La méfiance où est explicitement tenue Hillary, le soupçon qui l’accompagne systématiquement sont très significatifs. Il y a une telle hostilité non pour ce qu’elle est (Hillary n’est ni médiocre ni intellectuellemet frustre) mais parce qu’elle est perçue comme totalement représentative du système dans ce qu’il a de plus accaparant. Mais tout cela se termine par l’habituelle question (rejeter le système pour mettre quoi à la place?), l’impasse complète pour des esprits qui n’ont pas encore osé penser jusqu’à son terme l’idée révolutionnaire que le système c’est le désordre contrairement à sa prétention d’affirmer un ordre. Le désarroi des électeurs tient évidemment au fait qu’en tant que citoyens américains, ils continuent à croire aux fondements du système tout en constatant sa perversion et sa décadence dramatique. A la question subsidiaire: qui pourrait restaurer le système de l’américanisme selon ses valeurs originelles?, il n’y pas de réponse acceptable.

(Pourrait-il y avoir Ron Paul dont personne ne parle pour ce cas? Sans lui dénier des qualités bien réelles, nous pensons que sa popularité est d'abord le fait de déceptions sans nombre du système. C'est très significatif mais ce n'est pas suffisant. Pour l'instant, Ron Paul est un point sérieux de résistance. On ne peut rien dire de plus.)