American Gorbatchev” était dans sa tombe et remuait encore

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American Gorbatchev” était dans sa tombe et remuait encore

19 avril 2010 — Barack Obama existe-t-il encore? BHO a-t-il laissé au vestiaire toutes ses velléités, perceptibles dans les 8-9 premiers mois de son mandat, de tenter de réformer l’irréformable système de l’américanisme dont nous dépendons tous, lui-même avec nous? Ou bien, non, existe-t-il encore quelque possibilité d’une évolution radicale?

Mentionnons quelques signes montrant que la seconde question n’est pas inutile.

• D’abord, l’on dit, – certes, de suspectes origines, l’information, mais qui a été prise au sérieux du côté US, – que Sarkozy juge Obama comme un “aliéné”. Ce n’est pas que la différence de taille qui lui ferait dire cela, mais bien la position jugée par Sarko extrêmement modérée d’Obama vis-à-vis du mouvement islamiste et de l’Iran. Si Sarko pense qu’Obama est un “aliéné”, alors c’est qu’Obama reste un homme très intéressant, par la simple évidence de la logique antagoniste.

• L’on entend aussi BHO dire des choses pendables, qui font éructer de rage plus d’un ex-neocon de service. Nous dire, comme s’il s’agissait d’un fardeau, que les USA sont prisonniers d’un système de puissance militaire qui semble, dans sa pensée, leur coûter plus qu’il ne leur rapporte, n’est pas du type habituel de la pensée conforme.

• Voilà que la SEC, le “gendarme” habituellement bon enfant de la bourse US, entend se payer Goldman Sachs à hauteur d’$1 milliard au moins (c’est l’amende coquette qu’il réclame, qui pourrait même monter à $4 milliards, selon certaines évaluations). Exclamation d’un mauvais esprit, cité par un édito du Guardian du 17 avril 2010 : «How can the [US] government sue Goldman Sachs? I thought Goldman Sachs ran the government.» Effectivement, si la SEC entend aligner Goldman Sachs, qui a perdu sur les marchés 13% de sa valeur à la nanoseconde où l’on a appris l’intention du digne organisme gouvernemental, c’est que Washington-Obama a mis le feu vert. Ainsi court le bruit que Goldman Sachs ne dirige pas le gouvernement des Etats-Unis. Singulier.

• Dans des déclarations ce week-end, Obama a sonné le signal d’alarme. Il veut une réforme du système bancaire de Wall Street, sans quoi il craint une nouvelle crise. Sur la route de cette réforme, il trouvera le Congrès et les républicains, qui s’y opposent. Associated Press et ABC.News présentaient la chose le 17 avril 2010, selon le reportage de Jake Tapper. La “réforme financière” sera la deuxième grande bataille intérieure à Washington cette année, après la bataille des soins de santé.

«The U.S. is destined to endure a new economic crisis that sticks taxpayers with the bill unless Congress tightens oversight of the financial industry, President Barack Obama said Saturday. The overhaul is the next major piece of legislation that Obama wants to sign into law this year, but solid GOP opposition in the Senate is jeopardizing that goal.

“Every day we don't act, the same system that led to bailouts remains in place, with the exact same loopholes and the exact same liabilities,” Obama said in his weekly radio and Internet address. “And if we don't change what led to the crisis, we'll doom ourselves to repeat it.” […] “Opposing reform will leave taxpayers on the hook if a crisis like this ever happens again,” the president said.»

• …Et dans ce même ordre d’idée, il ne surprendra personne d’apprendre que Goldman Sachs est persuadé d’être victime d’un “complot”, cette banque qu’on accuse en général d’être “comploteuse-en-chef” pour ce qui concerne la manipulation du gouvernement de Washington. The Independent du 18 avril 2010 écrit : «The blue-chip bank, which traces its history back to 1869, intends to fight the action and vigorously defend its reputation. Executives believe the bank is being victimised as part of a political move by Barack Obama to gain support for his financial reform policies. President Obama's weekly video address was yesterday entitled “Holding Wall Street accountable”, and promised shareholders additional powers in a more heavily regulated financial system.»

• Jim Lobe, commentateur sérieux et mesuré pas précisément ami des neocons, mais qui fait son métier avec conscience, pond un assez long article pour nous confirmer que la crise entre les USA et Israël est diablement sérieuse et que, littéralement, BHO en a vraiment assez de Netanyahou. Lobe écrit cela le 17 avril 2010, sur son blog. Après avoir explicité son propos, Lobe conclut : «It’s pretty clear that the right-wing leadership of the organized Jewish community believes that a major crisis in U.S.-Israeli relations — perhaps the most important in 35 years, as Amb. Oren himself reportedly warned (and then unconvincingly denied) last month — is really upon us.» L’affaire dure maintenant depuis cinq semaines et l’on dit BHO déterminé.

Notre commentaire

@PAYANT Le fait est que dans des temps où l’on serait tenté d’abandonner les derniers espoirs que Barack Obama puisse être l’“American Gorbatchev” qu’on espérait qu’il soit, voilà que divers signes font penser qu’il pourrait être poussé à l’être tout de même. Plutôt, et pour être plus explicite, observons que divers fronts sont en train de s’ouvrir simultanément, dans le cours de la bataille desquels existent de sérieuses potentialités de déstabilisation, notamment venant du président qui déciderait, ou serait conduit à décider certaines mesures conduisant à des situations de rupture. On peut admettre que l’actuelle phase s’est esquissée avec l’affaire israélienne, dont le début remonte au 9-10 mars et au voyage du vice-président Joe Biden en Israël, tout cela suivi d’un enchaînement de circonstances fâcheuses où la situation qui, selon le scénario classique, aurait dû s’arranger, n’a fait qu’empirer.

Nous n’avons nullement l’impression d’un Barack Obama qui aurait le vent en poupe, notamment après ses “victoires” des soins de santé, de SALT-II et du sommet anti-prolifération nucléaires vers le terrorisme, – qui sont autant de “victoires à la Pyrrhus”, qui n’ont apaisé personne, qui n’ont nullement renforcé la stature d’Obama contre ses adversaires ou face à ses partenaires, qui ont souvent marqué surtout le genre de “victoires” que le système permet entre les bornes étroites qu’il place dans le parcours des créatures qui évoluent dans les schémas qu’il autorise. (Quant au sommet de Washington des 12-13 avril, l’événement le plus unanimement salué comme une “victoire”, la phrase désormais fameuse qu’il a glissée dans son discours de clôture marque bien, non seulement la conscience qu’il a des limites de l’exercice, mais plus encore la réalité objective de ces limites.)

…Nous avons plutôt l’impression d’un Barack Obama qui se trouve, après plus de quatorze mois de tentatives diverses suivies ou accompagnées de capitulations diverses dans le cadre du système, acculé à envisager de devoir se battre réellement. Il ne s’agit pas d’une bataille normale, ici contre Israël, ou bien là contre Wall Street, mais contre le système en général, alors que le même Obama est pressé par ailleurs par une situation intérieure de plus en plus volatile et insaisissable.

Obama le dos au mur? Si l’on veut, malgré les applaudissements indécents de satisfaction de circonstance de ses soutiens “libéraux” (s’intitulant politiquement progressistes), qui ne parviennent pas à prendre pour du comptant la faiblesse de l’action réformiste de celui qu’ils avaient soutenu comme un réformiste radical. Ce soutien-là, des “libéraux”, du centre-gauche politique qui se satisfait si aisément d’aménagements de façade et de discours sonnant et trompétant, sont finalement les pires alliés d’Obama, et les pires parmi les divers centres politiques en activité. Ils n’ont pas protesté et ont même applaudi lorsqu’on leur a annoncé l’intensification de la guerre en Afghanistan, montrant ainsi qu’ils ne valaient guère mieux, et même qu’ils valaient pire puisqu’ils ont l’hypocrisie en plus, que la droite radicale qui a soutenu Bush du temps de l’Irak.

…D’ailleurs, sont-ils encore les alliés d’Obama? Depuis la brouille avec Israël, leurs rangs sont secoués d’incertitudes à cet égard. Pour eux, l’alliance avec Israël est une Sainte Alliance qui est le fondement même de leurs conceptions politiques. Autant ces “libéraux” peuvent assurer leur soutien à Obama lorsque celui-ci parle d’une réforme financière de Wall Street, autant ils le lui retirent de plus en plus lorsqu’il s’agit de la question israélienne. Cet exemple, qui se répète pour divers autres groupes, mesure la difficulté du problème pour le président US.

La nature du système

Toutes ces considérations ne résolvent pas le problème de Barack Obama, qui n’est pas le problème d’une politique, d’un choix, d’une orientation, – mais, plus que jamais, le problème d’une énigme. Quoi qu’on veuille, quoi qu’on fasse, quelque déception qu’on exprime, quelque certitude qu’on avance, Obama reste une énigme. Ce qui nous apparaît peu à peu, c’est que cet homme reste une énigme, nullement pour ce qu’il est lui-même comme nous pouvions le penser d’abord, nullement per se, mais à cause de ses rapports et de sa confrontation larvée avec le système. Etant un homme d’une réelle intelligence, il est nécessairement plus confronté aux inerties et aux obstacles du système et ainsi n’est-il une énigme qu’en fonction de cet affrontement avec le système.

L’énigme est la suivante. Malgré toutes les garanties qu’il a déjà données, malgré les réalignements, les capitulations, Obama, à cause de sa personnalité, continue à rester en situation d’affrontement latent avec le système. L’énigme est de savoir s’il continuera à céder comme il l’a fait jusqu’ici ou si, tout de même, à un moment ou l’autre, il se décidera, comme nous l’écrivions dans notre F&C précédent du 17 avril 2010, «à franchir son Rubicon personnel».

La situation qu’il affronte ne cesse de se compliquer à mesure qu’il avance dans sa présidence, moins tant à cause des difficultés innombrables qu’à cause de la multiplicité des axes que suivent ces difficultés. Il n’y a aucune cohérence, aucune cohésion, dans les attaques venues de Tea Party, l’affrontement qui s’esquisse et qui pourrait être sanglant avec Wall Street, l’opposition sauvage des républicains, la pression montante des courants anti-guerres, etc. Il s’agit réellement d’une situation d’antagonisme général avec les diverses pressions allant dans tous les sens, nées du système et des forces antisystèmes, qui passent nécessairement par le relais de heurts ou de frictions avec lui-même, Obama, qui représente la figure centrale de l’ensemble, au moins symboliquement. Son absence d’orientation nette, son refus jusqu’ici de toute option se rapprochant de l’option “American Gorbatchev”, le place effectivement dans cette position inconfortable où s’accumulent défaites et fausses “victoires”, où rien de décisif ne s’affirme. Obama est une énigme mais il est aussi une sorte de punching ball où tout le monde frappe à son tour, sous la pression de l’exacerbation de la crise. Même ceux qui ont honteusement profité de la crise, comme Goldman Sachs et Wall Street, sont de la partie, car eux-mêmes ressentent la pression de la crise.

Mais ce qu’on a énuméré plus haut montre qu’Obama lui-même est de plus en plus proche d’un point où il ne pourrait plus supporter cette position inconfortable de centre magnétique de toutes les contestations et de toutes les récriminations. Dans un tel climat de compétition et de contestation, aucune de ses “victoires” ne peut être décisive tandis que tous ses revers l’affaiblissent. Il serait ainsi conduit irrémédiablement à s’affaiblir en progressant vers la fin de son terme, – à moins d’une réaction. C’est en cela qu’on peut être tenté, à relever les signes épars mentionnés ci-dessus, de présenter l’hypothèse qu’Obama pourrait très bien considérer, à un moment d’ici 2012, que la seule issue raisonnable serait d’être déraisonnable et de tenter un coup de force, une radicalisation d’ici là. Dans quel sens? De quelle façon? Pas de réponse.

De même, pas de réponse à la question qu’on serait tenté de poser sur les conséquence d’une telle éventuelle initiative, qui reste en plus du domaine de l’hypothèse. Elle s’imposerait comme un facteur de plus de désordre à l’intérieur d’un système lui-même sans cesse secoué par l’accentuation régulière du désordre. Il devient absolument impossible de faire quelque prévision que ce soit sur l’orientation des choses, sinon de proposer le constat que de plus en plus d’actes déstabilisants de l’actuelle situation sont en préparation ou se présentent comme autant d’initiatives tentantes. Le climat est d’une telle lourdeur, la tension d’une telle force… Ainsi peut-on compléter notre F&C du 15 avril 2010 sur “l’extension du domaine de la crise”, avec ce domaine englobant désormais l’énigme Obama elle-même. La crise de ce système anthropotechnique, ou “anthropotechnologique” si l’on veut actualiser sa substance, ne laisse personne indemne. C’est d’ailleurs dans sa nature même.