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343419 octobre 2017 – Nous reprenons ce texte d’il y a sept ans, le 9 août 2010, parce qu’il présente pour la première fois en détails pour notre compte l’idée que la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES) a d’ores et déjà commencé. PhG dans le Journal.dde-crisis de ce jour, 19 octobre 2017, explique longuement les raisons du choix de rééditer ce texte. Parmi divers événements d’époque, certains gardent une surprenante actualité : par exemple cette “tentation”, existant en 2010, d’attaquer l’Iran, se retrouve aujourd’hui en très bonne forme. PhG expose la grande force du lien direct entre phase crisique US de 2010 et celle d’aujourd’hui (“D.C.-la-folle”) : le texte se place « peu avant le début du “printemps arabe” (décembre 2010), enchaînant sur [les crises Syrie, Ukraine, etc.] tentant de contenir [...] la perception de la progression de la crise de l’effondrement US et du Système. Cette tentative de déflection a pris fin d’une façon sensationnelle [...] par le biais de la crise [...] complètement crise d’effondrement (Trump, USA-2016, “D.C.-la-folle”, etc.). » Enfin, il expose comment la crise d’effondrement des USA entraîne nécessairement celle du Système. (N.B. le “système” n’avait pas encore reçu son titre de gloire d’être majusculé. Nous ne sommes intervenus qu’en ajoutant des soulignés de gras de certaines phrases qui méritent de solliciter l’attention de lecteur d’aujourd’hui.)
9 août 2010 — Certains ont vu dans la nouvelle (voir par exemple RAW Story du 7 août 2010) selon laquelle le FMI avait travaillé, et travaille toujours et de plus en plus sans doute, sur une “devise mondiale” baptisée bancor pour remplacer le dollar, le signe du déclin décisif des USA. Les nouvelles de la situation économique des USA, surtout la situation du chômage, sont exécrables et ridiculisent les assurances ronflantes des Bernanke, Geithner et Summers, du printemps 2009. (Voir le texte de WSWS.org du 7 août 2010, une excellente présentation de cette situation.)
Peut-être l’article de Glenn Greenwald, du 6 août 2010, dans Salon.com, avec le titre “A quoi ressemble un empire en train de s’effondrer”, est-il encore plus significatif (avec référence à un article du Wall Street Journal du 17 juillet 2010, décrivant l’évolution de l’infrastructure des USA, avec ce sous-titre : «Return to the stone Age», – ce Stone Age où le général LeMay voulait renvoyer, plutôt par les bombes, le Vietnam récalcitrant). Ce n’est pas le “signe du déclin décisif des USA”, c’est le spectacle de l’effondrement en cours des USA.
…Il y a aussi les bruits de guerre. Les USA vont-ils se lancer dans une nouvelle guerre (contre l’Iran), ou bien y être entrainés par leurs amis israéliens, – dès ce mois d’août, selon un groupe désormais fameux d’anciens officiers du renseignement ? La folie de la chose serait bien définie par la notion de “somnambulisme”. («Will the summer of 2010 be remembered as the time when we turned into a nation of sleepwalkers?», interroge le professeur de littérature de Yale, David Bromwich, le 7 août 2010 sur Huffington.post.) On verra. En attendant, Michelle Obama est en “vacances privées” mais en bonne grosse partie aux frais du contribuable, à Marbella, sur la Costa del Sol. L’escapade conduit la presse conservatrice US à une attaque en règle qui nous ferait penser que le couple BHO-Michelle commence à prendre des allures de Sarko-Carla. Michelle est comparée à Marie-Antoinette; quant à BHO, ce serait plutôt Néron, la lyre en moins. Appréciez la signification historique des références.
Aujourd’hui, les USA semblent accepter comme une situation chronique, quasiment structurelle, une situation de l’emploi semblable à celle qui existait durant la Grande Dépression. Ils sembleraient prêts à accepter comme une situation logique de se lancer dans une troisième guerre, comme ça, peut-être pour le fun, ou bien pour avoir trois guerres “à la fois”. (Bromwich, cité plus haut, estime qu’il faut trois guerres “à la fois” aujourd’hui, pour que les USA puissent supporter leur angoisse concernant la nécessité pour eux de se trouver continuellement en guerre, ou serait-ce pour continuer sans être interrompus leur marche somnambulique : une guerre pour en sortir, une pour y être embourbés, une pour la commencer, – dans l’ordre mais en même temps, l’Irak, l’Afghanistan et l’Iran.)
Le président Obama est à mi-mandat, toujours aussi calme, aussi distancié, et toujours aussi Africain-Américain nous assure-t-on... Ce président qui semblerait imperturbable bien qu’il sourit beaucoup, parle beaucoup, bouge beaucoup, et fait beaucoup son métier de président, semble également accepter comme probable une défaite de son parti en novembre prochain, qui lui donnerait un Congrès ingouvernable. Curieuse remarque lorsqu’on y pense, qui laisserait croire que le Congrès actuel à majorité démocrate, lui, est “gouvernable”, ce qui est l’exact contraire de la réalité chaotique. Au reste, la défaite démocrate n’est pas acquise, puisque les républicains sont, par moment, aussi mal vus du peuple américain que les démocrates. Il leur reste Ron Paul, Tea Party et ainsi de suite, ou bien les “néo-sécessionnistes” si vous avez quelque fraîcheur d’esprit, – ou bien tout cela ensemble puisque l’état d’esprit commence à s’équivaloir.
Le Pentagone est en cessation de paiement ou tout comme. Même les chroniqueurs les plus favorables au monstre (on pense à Daniel Goure) ne voient d’autre solution qu’une formule proche de celle qui a permis de sauver tant bien que mal l’industrie automobile US, et pour finir une tentative de démantèlement du monstrueux Moby Dick qui reçoit autour de $1.200 milliards par an pour conquérir le monde. Les chroniqueurs les plus géopoliticiens, pour l’occasion indifférents à la conquête du monde par les USA, constatent, eux, que la reconquête des USA, ou de la partie des USA qui lui revient, par le Mexique, a d’ores et déjà commencé. La réaction, à Washington, est de s’exclamer à propos des dispositions “xénophobes” de la loi SB 1070 de l’Arizona. Effectivement, le débat passionne les foules commentatrices et bienpensantes de l’establishment. Voilà le niveau de la philosophie de l’action politique dans la capitale, où la paille et la poutre tiennent respectivement leurs rôles traditionnels.
Les USA sont-ils en déclin ? Vont-ils s’effondrer ? A ceux qui font ces prévisions, il est temps de dire qu’ils retardent. L’empire s’effondre sous notre regard, en général aveugle puisque gavé de virtualisme hollywoodien et incapable de voir les formes et les mouvements devant nos yeux. L’effondrement s’effectue par dissolution, peut-être avec une certaine discrétion qui ne manque pas de grâce mais dans tous les cas avec une efficacité rarement atteinte. Un jour certes pas très lointain, nous nous retrouverons avec une coquille vide, marquée “Made in USA”, avec un gouverneur de l’Arizona directement issu des cartels mexicains de la drogue. La description de la situation par le Wall Street Journal vaut une lecture attentive, où les routes anciennement bitumées sont retapées avec du gravier répandu à la volée («Return to the stone Age») parce que le bitume coûte trop cher, ou bien laissées à l’abandon parce qu’on n’a plus d’argent, plus de personnel, plus de moyens, – plus rien… L’essence, c’est-à-dire la forme organisée, de cette structure sublime que prétendaient être les USA est en train de retourner à la substance informe originelle de l’entropie, dans un mouvement naturel de déstructuration. Le pauvre Glenn Greenwald se lamente : « The real question is whether the American public is too apathetic and trained into submission for that to ever happen… »
L’Amérique est paralysée par ce qu’elle semble percevoir désormais comme une fatalité, déjà soumise, déjà consentante à ce qui est le destin inéluctable de sa chute dans une extraordinaire dissolution. Tout se découvre pour ce qu’il est : une civilisation en carton-pâte, un empire en toc, en plaqué-machin, tout de même avec la prétention d’être dans une couleur à l’imitation de l’or, ou bien en plaqué or qui se fait croire que c’est de l’or pur... (“The Gilded Empire”, pourquoi pas, – de l’expression “Gilded Age”, ou l’âge du “plaqué or”, ou encore “l'âge du toc”, pour désigner la période 1865-1890 des USA, que les Européens ont souvent compris, d’une façon présomptueuse qui traduit bien leur fascination pour l’artefact américaniste, comme le “Golden Age”.)
Les économistes qui découvrent que le FMI est en train de travailler au remplacement du dollar nous avertissent par conséquent que “le déclin” (l’effondrement) des USA provoquera tout de même un certain remous. Le système devra souquer dur pour s’y adapter… Attendez, de quoi parle-t-on exactement ?
La question n’est pas tant de savoir si le système pourra (saura) s’adapter à l’effacement décliniste des USA, que de savoir si le système résistera à l’effondrement des USA. D’abord, il y a cette évidence que les USA c’est le système, – évidence technique, certes, mais aussi symbolique, psychologique, etc. Les USA c’est la modernité, et la modernité c’est le système, – aussi assurément que le signifiait cette phrase terrible du nommé Rouhier, en 1824, qui terrorisa Stendhal et décida l’écrivain à rompre avec le parti moderniste (et proaméricaniste) devenu “parti de l’industrie” : « Les Lumières, c’est désormais l’industrie. » (Voir notamment la Deuxième Partie de La grâce de l’Histoire et, en général, les textes de la rubrique La grâce de l’Histoire.)
Nous ne sommes pas dans le cas historique “banal” du déclin d’un Empire, d’un changement de puissance, d’un bouleversement d’équilibre. Nous sommes dans le cas explosif d’une civilisation qui a été complètement annexée et transmutée en un système de puissance (le système du technologisme), avec la politique de l’“idéal de puissance” qui va avec ; système parvenu au paroxysme de sa crise, ce paroxysme étant la crise des USA eux-mêmes, à la fois identifiés au système et enfants, sinon esclaves du système (ou, si l’on veut, les USA esclaves du système qu’ils crurent avoir créé et crurent dominer à leur avantage).
On connaît également le cas considérable, sinon décisif, que nous faisons de l’impact psychologique des USA, sur le système et par l’intermédiaire du système, au travers de cet artefact du système de la communication, terroriste par fascination de la psychologie, qu’est la notion d’American Dream. Par conséquent, nous dirions que l’effacement ordonné dans une sorte d’“ordre international” des USA (les USA conçus en tant que système) semble extrêmement peu probable parce que proche de l’absurde, parce qu’on ne retire pas d’une façon ordonné son essence même, sa raison d’être, sa dictature d’influence, à ce qui prétend être une structure ordonnée sans la faire s’effondrer ; par conséquent, la seule issue dans la situation présente est la disparition brutale de la prédominance US (l’American Dream) par la disparition de sa source, qui est les USA eux-mêmes, tels qu’ils sont devenus sous la pression du système de l’“idéal de puissance”. Cela conduit à des hypothèses beaucoup plus brutales que le déclin, le retrait ordonné US, le rangement des USA parmi quelques autres puissances, les USA eux-mêmes devenus une “puissance comme les autres”. Cette idée est simplement inconcevable pour une psychologie loyale au système de l’américanisme et formée par ce système.
De même et par un autre biais qui concerne les USA eux-mêmes, nous ne voyons pas que les USA, – en tant que système de l’américanisme, ou encore l’establishment washingtonien, – puissent seulement accepter quelque chose qui ressemble à un déclin, à ne plus être ce qu’on présente comme la “nation exceptionnelle” et la “nation indispensable”. Bien entendu, cela ne suffit pas, ni pour ne pas décliner, ni pour rester “exceptionnel” et “indispensable”. Cela ouvre plutôt la porte à des impasses, des dilemmes, des troubles renouvelés, à des perspectives beaucoup plus radicales.
Au contraire d’une politique de plus en plus apaisée, retenue et en recul, comme on aurait pu croire que l’orientation pouvait en être prise au début de l’administration Obama, nous sommes conduits à observer de la part du système de l’américanisme une politique de plus en plus tendue, de plus en plus impulsive et de plus en plus chaotiquement agressive, souvent sans les moyens pour soutenir cette agressivité. En effet, une telle évolution aurait lieu alors que la puissance US est effectivement en cours d’effondrement. Dans ce cadre psychologique dégradé, effectivement l’hypothèse d’une attaque contre l’Iran, plus ou moins par machination israélienne interposée, peut être envisagée. Actuellement, l’hypothèse d’une attaque est largement évoquée, mais de plus en plus comme une sorte de fatalité, sans aucune justification construite et raisonnée (même s’il y a place pour une telle justification, même sophistique), sinon, peut-être, l’espérance superstitieuse qu’un tel spasme d’affirmation de puissance causerait une sorte de Big Bang stoppant l’actuel effondrement de la puissance.
Mais ce n’est qu’une possibilité, qui se heurte à divers obstacles systémiques, comme la paralysie de la toute-puissante bureaucratie, l’éventuelle action contradictoire de différents pouvoirs, etc. Surtout, il existe un autre cadre général qui agit dans un autre sens, qui est la situation intérieure en cours de déstructuration, parallèlement à l’effondrement du système général. Cette situation peut agir comme un frein décisif si les dirigeants pensent au contraire qu’une action extérieure peut causer des tensions insupportables. Enfin, les dirigeants peuvent penser exactement le contraire et croire qu’une attaque rétablirait la cohésion des USA et, dans ce cas, les deux hypothèses peuvent s’ajouter. Il s’agirait du cas où une initiative militaire précipiterait effectivement des tensions internes aboutissant à l’hypothèse de la possibilité de l’éclatement devenant probabilité. C’est retrouver l’hypothèse du “néo-sécessionniste” Thomas Naylor, du Vermont : «There are three or four possible scenarios that will bring down the empire. One possibility is a war with Iran…»
Dans tous les cas qu’on peut envisager, notre appréciation est qu’une perte du statut de puissance dominatrice des USA ne pourra mener qu’à une issue brutale, quelle que soit les modalités de cette brutalité. (La définition de cette “brutalité” doit évidemment être radicalement pondérée selon les conditions du fonctionnement psychopolitique actuel. Cela ne signifie pas nécessairement une “brutalité” au sens de troubles révolutionnaires ou autres, mais bien une “brutalité” dans la signification et la rapidité des événements.) Cette “issue brutale” ne peut être que l’effondrement du “centre”, qui ne résistera pas à cette perte de puissance puisque seule la puissance lui donne sa prétendue légitimité. Par conséquent, le “déclin” ne peut être envisagé sous sa forme courante. Il devra y avoir effondrement, et ce sera celui de la structure centrale. A partir de là, l’entièreté du système général de notre civilisation perd sa légitimité et se trouve sur la voie de l’effondrement. On ne peut simplement pas envisager un transfert de puissance d’une puissance à l’autre, puisque les USA sont effectivement l’essence même (sa forme, sa signification, sa légitimité psychologique encore plus que son poids) de la puissance du système.
Répétons-le, cela ne signifie pas nécessairement un effondrement “physique” assorti d’une brutalité révolutionnaire ou anarchique, menant à un chaos de la même sorte. Il s’agit d’abord de l’effondrement d’une légitimité, précédé de la libération de notre psychologie de l’enfermement dans la vision américaniste du monde (American Dream, pour faire bref). A partir de telles formes de références sortant si complètement de notre référentiel ordinaire et conformiste, et de notre référence historique tout aussi ordinaire et conformiste, nul ne peut dire quels événements en résulteraient pour le système général de notre civilisation en phase terminale.
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