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24 mars 2008 — John McCain a fait une “gaffe”; ou bien non, ce ne serait pas une “gaffe”. Mystère et suspens... L’histoire est désormais connue. Les articles n’ont pas manqué, et la “vidéo” de John McCain liant l’Iran et Al Qaïda, lors d’une conférence de presse à Amman, a longuement encombré les stations de télévision.
Dans son édition du 22 mars, le site The American Progress résume l’incident et certaines de ses plus intéressantes connexions, cela assorti de quelques remarques sur le niveau de culture politique des hommes politiques américanistes.
«This week during a trip to the Middle East, McCain severely undermined his frequent claims to be “the one best to address a national security crisis” by repeatedly stating that Iran was supporting al Qaeda in Iraq. McCain claimed that Iranian operatives were “taking al-Qaeda into Iran, training them and sending them back.” He insisted that it was “common knowledge...that al-Qaeda is going back into Iran and receiving training and coming back into Iraq from Iran.” McCain's confusion over Iran and al Qaeda puts him in lockstep with the rest of the Bush administration. As the Washington Post notes, “The last five years have produced ample evidence that American leaders were woefully ill-informed about the country they came to rescue.” The Post points to a 2002 op-ed by former Secretary of State Henry Kissinger that erroneously pointed to a “Sunni majority” in Iraq, despite the fact that Sunnis make up only 15-20 percent of the population. Iraq war architect Bill Kristol famously insisted in April 2003 that “there's almost no evidence” of a conflict between Sunni and Shiite in Iraq “at all,” claiming “Iraq's always been very secular.” According to author George Packer, Iraqi exiles meeting with President Bush before the war “spent a good portion of the time explaining to the president that there are two kinds of Arabs in Iraq, Sunnis and Shiites.” At first, the McCain campaign claimed the senator simply “misspoke.” Now the campaign is embracing the remarks, leaving voters all the more unsure about McCain's understanding of foreign policy.»
Différentes interprétations de l’incident sont apparues, outre celle qui se réduit au constat sans la moindre surprise de l’inculture des hommes politiques américanistes.
• D’une part, l’interprétation belliciste selon laquelle la “gaffe” de McCain a été délibérée, plus ou moins machinée, pour mettre en condition l’air du temps pour une attaque contre l’Iran (puisque l’Iran est coupable de proximité paradoxale avec Al Qaïda). John Conason écrit dans Salon.com; le 21 mars: «Given McCain's dangerous preference for force over diplomacy, especially in the Mideast, this is not a minor matter. (He wasn't really kidding when he sang “Bomb bomb bomb, bomb bomb Iran ...”) By suggesting that the Iranians are aiding al-Qaida, the Arizona senator and his neoconservative allies are building a case for strikes against Tehran and perhaps even “regime change,” just as similar allegations, since proved false, were deployed to justify the invasion of Iraq.»
• Le site WSWS.org (le LIEN=http://www.wsws.org/articles/2008/mar2008/iran-m22.shtml>22 mars
«In reality, however, McCain’s charge against Iran was hardly a slip of the tongue. It represented the fourth time in just over three weeks that he had made the same assertion.
»Indeed, just a day before the press conference in Jordan, McCain did an interview with the nationally syndicated right-wing radio talk show host Hugh Hewitt in which he declared, “As you know, there are Al Qaeda operatives that are taken back into Iran, given training as leaders, and they’re moving back into Iraq.”
»Not only was the charge not a “misstatement” by McCain, it represented a deliberate and conscious repetition of a false charge that has been made by both the Bush administration and the Pentagon, which have variously accused Tehran of harboring Al Qaeda members in Iran and supplying armor-piercing EFPs (explosively formed penetrators) to both Iraqi Shia and Sunni militias.
»The former accusation flies in the face of the Iranian government’s proven record of arresting Al Qaeda members and extraditing them back to their home countries, while the latter has never been substantiated and, again, is totally at odds with the reality of Sunni-Shia relations inside Iraq.
»What is striking about Bush’s “wrong” assertion on Iranian nuclear ambitions and McCain’s supposed “gaffe” about Tehran-Al Qaeda ties is that they echo precisely the pretexts used by the Bush administration to prepare the US war of aggression against Iraq…»
• Cette interprétation “belliciste” est corroborée par l’activisme habituel des néo-conservateurs, qui saisissent chaque occasion pour réactiver les rumeurs de guerre. Un commentaire rapide de Max Boot (sur le site de Commentary, «McCain Gaffe?», le 19 mars) est un exemple de cette tendance. C’est une circonstance politique d’autant plus significative, observera-t-on, que les néo-conservateurs exercent une influence marquante sur McCain (Boot lui-même est un conseiller de la campagne McCain).
• Une interprétation complètement différente vient de Gareth Porter, le 22 mars sur Antiwar.com. Pour Porter, la “gaffe” de McCain (les “gaffes”) reflète en réalité, au-delà de l’inculture, le conformisme psychologique de la direction belliciste américaniste. C'est le phénomène dit du “group-thinking”, qui est pour nous l’extension bureaucratique du virtualisme, par ailleurs exprimé par l’expression “faith-based”.
«Sen. John McCain's confusion in recent allegations of Iranian training of al-Qaeda fighters in Iraq is the result of a drumbeat of official propaganda about close Iran-al-Qaeda ties that the George W. Bush administration and neoconservatives have promoted ever since early 2002.
[…]
»McCain's confusion has been widely characterized as demonstrating his inability to distinguish Sunni al-Qaeda from Shi'ite Mahdi Army. But more fundamentally, McCain's gaffes were a reflection of how thoroughly he had internalized a favorite theme of the Bush administration and neoconservatives – that Iran has tolerated and even covertly assisted al-Qaeda agents operating inside Iran.»
Les “gaffes” de McCain et les commentaires qu’elles ont amené sont un mélange typique du naturel américaniste des politiciens US et de l’obsession des manipulations et des machinations caractérisant par ailleurs ce même monde. Ils témoignent bien entendu du climat politique de la super-puissance notablement épuisée, partagé entre une futilité extraordinaire qui force le commentaire jusqu’à de telles extrémités d’une égale futilité, et une banalisation grotesque et obscène des idées les plus radicales, à cause de quoi l’on parvient à distinguer, sans être pour autant ridicule, des intentions guerrières d’une attaque catastrophique et sans fondement dans de telles interventions si anodines.
Sur le fond, puisqu’il est question de fond, il nous paraît difficile de trancher entre les deux interprétations générales, en plus du constat qui va de soi de l’inculture. On peut observer par ailleurs, et c’est le moins inintéressant de l’affaire, que les deux interprétations peuvent s’ajouter, voire se compléter.
Il nous apparaît évident:
• Que toute démarche abordant les problèmes évoqués, quelles que soient ses causes initiales et ses circonstances originelles, sera quasi automatiquement exploité dans un sens belliciste par le commentaire d’un système aussi complètement déréglé. On peut presque parler d’un réflexe de Pavlov, qui peut conduire d’ailleurs, sans la moindre pudeur, sans la plus petite gêne, à se contredire à trois jours d’intervalle. (McCain fait la “gaffe”, s’excuse aussitôt, ce qui implique une reconnaissance pleine et entière de l’erreur; trois jours plus tard, ligne officielle de la campagne McCain: mais non, la “gaffe” n’en est pas une, elle dit le vrai, et là où il y a erreur il n’y a pas d’erreur). L’absence complète de pudeur dans l’irresponsabilité des commentaires est absolument remarquable. L’esprit de l’administration Bush a de beaux jours devant elle, même après sa belle mort.
• … Pour cela, pour cette attitude de réflexion automatique, il faut une sorte d’habillage, de conditionnement, de comportement de “group-thinking”. L’interprétation renvoie au virtualisme, également inspirateur du facteur déjà cité, dit “faith-based. Du coup, il n’est même plus question d’inculture. Où peut-il y avoir inculture, là où l’idée de culture est bannie au profit du conformisme automatique de l’idéologie mécaniste du système? Nous sommes dans un univers absolument constitué de conformisme, animé par de simples automatismes de langages qui ne nécessitent aucune intervention particulière de la pensée.
Dans ce cadre général, un commentaire politique a-t-il sa place? On en doute grandement. L’absence de substance rend inutile une telle tentative. Il est évident qu’il y a un automatisme inculte et conformiste, rendant compte du sentiment général de la direction américaniste qui se résume au schéma initial de l’automatisme belliciste, enfanté monstrueusement par un croisement entre 9/11 et la soi-disant pensée des neocons. (Quand on se rappelle des tonnes d’encre utilisées pour gravement commenter la philosophie de ce groupe, comme s’il s’agissait d’une révolution intellectuelle fondamentale, on mesure le poids de la chape de conformisme qui nous enveloppe.)
A Washington et à l’entour, Il y a nécessairement et dans tous les cas un complot pour attaquer l’Iran, également par automatisme de non-pensée, complot à la fois sans importance et sans conséquence, et qui pourrait aussi bien déboucher sur un “accident” qui s’avérerait être une attaque, qui serait aussitôt présentée comme un vaste dessein stratégique, tracé par une main ferme pour expliquer l’attaque après qu’elle ait eu lieu. C’est ce que nous nommons “la guerre de Pavlov”, comme par une sorte de réflexe conditionné.
Dans Pierrot le fou, de Godard, une scène montre Anna Karina tournant en rond sur une plage de l’île de Porquerolles en chantonnant «J’sais pas quoi faire, j’sais pas quoi faire, j’sais pas quoi faire…». L’esprit du temps, l’esprit du système américaniste américaniste, McCain ou un autre, s’exclame, comme une réponse aussi mécanique à la remarque plaintive de Karina: “la guerre, la guerre, la guerre”…
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