Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
296115 juillet 2004 — Le Guardian vient d’annoncer que les Américains envisagent de déployer des sites anti-missiles en Europe centrale, en Pologne et en Tchéquie.
Voici quelques éléments d’information sortis de l’article :
« The US administration is negotiating with Poland and the Czech Republic over its controversial missile defence programme, with a view to positioning the biggest missile defence site outside the US in central Europe.
» Polish government officials confirmed to the Guardian that talks have been going on with Washington for eight months and made clear that Poland was keen to take part in the project, which is supposed to shield the US and its allies from long-range ballistic missile attacks. Senior officials in Prague also confirmed that talks were under way over the establishment of American advanced radar stations in the Czech Republic as part of the missile shield project.
» “We're very interested in becoming a concrete part of the arrangement,” said Boguslaw Majewski, the Polish foreign ministry spokesman. “We have been debating this with the Americans since the end of last year.”
» Other sources in Warsaw said Pentagon officers have been scouting the mountain territory of southern Poland, pinpointing suitable sites for two or three radar stations connected to the so-called Son of Star Wars programme. As well as radar sites, the Poles say they want to host a missile interceptor site, a large reinforced underground silo from where long-range missiles would be launched to intercept and destroy incoming rockets.
» Under Bush administration plans, two missile interceptor sites are being built in the US — one in California, the other in Alaska. Such a site in Poland would be the first outside America and the only one in Europe. »
Tel que le journal britannique présente l’affaire, il apparaît manifeste que les Polonais sont particulièrement enthousiastes pour cette perspective d’avoir sur leur territoire ce qui sera la base la plus importante du réseau anti-missiles américain, hors des États-Unis. Selon nos sources, l’initiative serait venue autant sinon plus des Polonais que des Américains, même si des contacts informels des Américains vers les Européens existent depuis plusieurs années sur cette question du réseau anti-missiles.
Divers problèmes existent d’ores et déjà, qui sont signalés par l’article et qui peuvent prendre des dimensions explosives.
• Le premier est celui des rapports entre la Pologne et la Russie. Les Russes peuvent considérer cette initiative comme particulièrement déstabilisante et inquiétante pour eux. L’article semble dire que les Américains sont très avertis de cet aspect du problème et comptent bien vouloir le traiter de manière spécifique. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères polonais a déclaré au Guardian : « The Americans are working quite hard on this. They need to clear the path with the Russians and reach a consensus before we will move ahead. » Cette affirmation suppose que les Américains sont prudents et diplomates, ce qui est une hypothèse bien audacieuse par les temps qui courent.
• Un autre aspect, beaucoup plus étrange, est que les négociations ont été menées secrètement, du côté américain, par John Bolton, du département d’État, un ultra-dur mis au département d’État par les néo-conservateurs pour “marquer” Powell.
« The talks are at the exploratory stage and no decisions have been taken, officials stressed. US officials played down talk of central European participation in the missile shield. But the confidential nature of the negotiations, being led on the US side by John Bolton, the hardline under-secretary of state for arms control, has angered senior defence officials in the region, who have been kept in the dark. »
Cet aspect de l’information laisse à penser que nous sommes en présence d’une affaire particulièrement explosive et déstabilisante, dans la mesure où elle implique des tensions, en général considérables, entre le département d’État et le Pentagone, entre Bolton et les modérés du département d’État, etc. On peut même faire l’hypothèse que les négociations du côté US pourraient avoir été lancées pour l’essentiel sur des initiatives personnelles (celles de Bolton ?), sans refléter complètement une politique officielle US, — s’il y a véritablement “une politique officielle US”.
Dans tous les cas, il s’agit d’une affaire hautement déstabilisatrice, pour l’Europe également. Alors que l’engagement britannique et danois pour soutenir le réseau anti-missiles US par des stations de radar se situe dans une norme classique ouest-occidentale (entre atlantistes, favorables au réseau et “européanistes”, plus méfiants à cet égard), l’affaire polonaise est complètement nouvelle et différente. Il y a la perspective du déploiement de missiles, de l’installation d’un énorme complexe américain. Au niveau européen, une telle affaire ne pourra qu’accroître les tensions, voire conduire à des menaces de rupture, dans la mesure où un pays de l’UE s’engage dans une politique militaire complètement dépendante des USA, à un point de tension maximale avec la Russie, sur une matière militaire complètement fondamentale et déstabilisatrice (des anti-missiles contre quoi sinon les missiles russes?). Plus encore, l’affaire est révélée au moment où le courant général, en Pologne, à cause de l’Irak, est de plus en plus méfiant vis-à-vis des Américains. Le contexte général, avec une Europe à 25 dont on ne sait ce qu’elle va donner, des référendums sur la Constitution européenne à l’horizon qui vont engendrer de très durs débats nationaux sur l’Europe, est lui aussi très défavorable.
Conclusion : un nouveau point de tension transatlantique et intra-européen, à propos d’un système dont l’utilité est totalement contestable et l’inefficacité quasiment prouvée par des ratages successifs dans les essais réalisés. Était-ce tellement nécessaire? Mais poser cette question, c’est s’adresser à des gens raisonnables, c’est-à-dire crier dans le désert.
Forum — Charger les commentaires