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51323 novembre 2009 — Les USA tirent le bilan du voyage d’Obama en Asie, encore plus que de sa visite en Chine, espérant ainsi noyer l’échec évident de cette dernière visite dans une sorte d’aura optimiste et encourageante pour le reste.
Le plus caractéristique dans cette attitude, qu’on retrouve dans nombre d’autres commentaires proches de l’administration démocrate et des intérêts US de politique extérieure, on le trouve dans le Progress Report, du site ThinkProgress.org, nettement à gauche et d’habitude très critique de la politique expansionniste de Washington. Ce rapport présente un résumé du voyage d’Obama en Asie, en citant divers articles qui renforcent la thèse principale, résumée par le sous-titre : “US is back in Asia” …
Un détail suffira à fixer l’impression que nous voulons donner ici. Dans son texte de synthèse, ThinkProgress.org cite une déclaration de Liu Jiangyong, professeur des affaires de sécurité d’Asie de l’Est à l’université Tsinghua, à Pékin, faite à Reuters. Il écrit: «Liu Jiangyong, a professor at Tsinghua University in Beijing, concluded that “just by showing that he'll listen, Obama has won credit that will give the U.S. a boost (in the region).”»
Si l’on consulte l’analyse de Reuters du 19 novembre 2009, on découvre que la déclaration complète de l’éminent expert Liu Jiangyong rend un son tout à fait différent… La phrase citée n’est pas du tout une conclusion mais une concession d’ouverture d’un jugement général qui dit à peu près le contraire, puisque la conclusion est bien que “la visite du président Obama a été un début mais, même s’il en est satisfait, son voyage a montré qu’il reste beaucoup à faire…”
Liu Jiangyong : «The United States is a big power that became used to having it's way. Just by showing that he'll listen, Obama has won credit that will give the U.S. a boost (in the région) […] Especially in the next decade, China and the rest of Asia will be going through huge changes, and the United States will have to adjust. President Obama's visit was a start, but even if he's happy with it, it showed there's a lot to be done.»
On peut alors se reporter au rapport général que WSWS.org fait du voyage de BHO en Asie, le 21 novembre 2009, résumé par le titre “Obama quitte l’Asie les mains vides”. Le texte d’analyse s’attache notamment à la visite en Corée du Sud, dont il résume la situation par rapport aux USA et à la Chine par ces simples constats :
«As elsewhere in the region, China’s rising economic power is having its impact in South Korea. As the Financial Times commented, “the US is no longer the only show in the town”. When President George Bush senior visited Seoul 20 years ago, the US was the country’s main trade partner and there was only one weekly flight from South Korea to China. Today, China has replaced the US as South Korea’s largest trading partner and the number of weekly flights to China has soared to 642.»
Lors de son discours au Japon, Obama s’était désigné lui-même comme le “premier président des USA du Pacifique” (pour faire plus original et ne pas marquer qu’il oubliait Nixon et Reagan dans cette appréciation, il aurait pu se désigner, vu ses liens avec l’Indonésie: “le premier président asiatique des USA”). Quoi qu’il en soit, il y avait un “dessein asiatique” de Barack Obama. Ainsi sommes-nous tentés de diviser notre appréciation de ce grand voyage et de ses résultats en deux volets: la tentative asiatique de BHO et les raisons de la tentative asiatique de BHO.
@PAYANT Il y avait deux choses dans le voyage d’Obama: le voyage en Chine et la grande tournée en Asie. Parlant du “dessein asiatique” de Barack Obama, nous parlons de la seconde. Disant tout cela, nous n’offrons pas une interprétation du voyage du président US mais bien une description de la stratégie de ce voyage telle que l’administration Obama l’avait préparée.
D’une part, il y avait l’Asie d’une façon générale, ce continent baigné dans le Pacifique, ce Pacifique qui baigne également l’Amérique du Nord. Le “dessein asiatique” est là, et il s’agissait pour Obama de rétablir la prépondérance US sur la région, telle qu’elle fut exercée depuis 1945 et telle qu’elle fut, prétendument, fortement érodée sous l’administration Bush, à cause du comportement de l’administration Bush. Croire que cette anomalie a été redressée, comme aurait été redressé l’antagonisme vis-à-vis des musulmans par le discours du Caire, ou l’antagonisme vis-à-vis des pays d’Amérique du Sud par la participation d’Obama à une session des dirigeants des pays des Amériques en avril dernier, voilà qui est un peu court (voir notre Bloc-Notes de ce 23 novembre 2009).
Lors des deux précédents événements, on aurait pu y croire, et on y a cru effectivement, parce qu’il était normal d’y croire dans la mesure où l’on attendait la suite. En considérant ce qu’il est advenu de la politique US vis-à-vis des Amériques ou de la politique US vis-à-vis d’Israël, ce ré-embourbement dans les mêmes pesanteurs bellicistes et unilatéralistes, en concluant qu’on a pu être pris une fois, deux fois, mais pas une troisième avec le discours de Tokyo parce qu’entretemps le temps a fait sortir ses leçons, on se montrera évidemment sceptique. Obama est parfait pour lancer des initiatives qui font croire à des réformes radicales mais il se montre incapable de les concrétiser dans le temps. Peut-être ne le peut-il d’ailleurs pas, et nous sommes là au cœur du drame de la crise de l’américanisme, de son pouvoir et de Barack Obama lui-même.
Quoi qu’il en soit, ce “dessein”-là (l’asiatique) nous paraît bien difficile à atteindre à la lumière de ce qui a précédé. Malgré toutes les bonnes paroles de Barack Obama, c’est bien ainsi que les dirigeants asiatiques ont accueilli les bonnes paroles de Barack Obama. Le professeur Liu Jiangyong le dit exactement, dans la phrase essentielle que s’est gardée de reproduire The Progress Report: «President Obama's visit was a start, but even if he's happy with it, it showed there's a lot to be done.»
Justement, Liu Jiangyong est Chinois et il parle justement pour l’Asie alors que, dans le cas des stratèges US, la visite en Chine sortait du cadre général du “dessein asiatique”. Le “dessein” était tout autre, qui était d’établir un condominium de facto avec la Chine, comme si la Chine était quelque chose hors de l’Asie, avec laquelle les USA allient traiter directement et par ailleurs. Cela revenait à dire, en tenant compte du “dessein asiatique” originel: les USA rétablissent leur tutelle sur l’Asie grâce à la magie dialectique d’Obama, et c’est appuyé sur ce confortable acquis qu’ils vont parler à la Chine pour lui proposer le G2. Cela revenait à séparer la Chine de l’Asie, voire à l’opposer au reste de l’Asie, à l’avantage des USA qui auraient ainsi représenté le reste de l’Asie face à la Chine. Echec complet, là aussi, essentiellement parce que les stratèges US ont oublié que la Chine fait partie de l’Asie. Ils ne pouvaient à la fois rétablir leur tutelle sur l’Asie, dont fait partie la Chine, et parler avec la Chine pour établir un G2, comme si la Chine ne faisait pas partie de l’Asie et que l’Asie faisait partie des avantages des USA face à la Chine.
Echec complet parce qu’on ne peut rétablir une tutelle sur un ensemble dont on admet par ailleurs que l’une des partie vous est au moins égale. L’étrange psychologie américaniste caractérisée par le cloisonnement selon les caprices du jugement a conduit à un échec sur les deux tableaux. Répétons et confirmons que Liu Jiangyong ne parlait pas pour la Chine mais bien pour l’Asie lorsqu’il a émis son jugement.
Ce que nous dit Liu Jiangyong, ce n’est pas que la Chine doit s’adapter au soi-disant “retour” des USA en Asie, mais exactement le contraire: ce sont les USA qui vont devoir s’adapter aux changements en train de se faire en Asie, s’ils veulent encore y occuper une place importante («Especially in the next decade, China and the rest of Asia will be going through huge changes, and the United States will have to adjust….»).
D’où l’ironique argumentation du Premier ministre chinois pour refuser la proposition du G2, pleine d’une modestie papelarde, qui rappelle – eh oui – que la Chine n’est qu’une partie de cette immense Asie en pleine transformation: «M.Jiabao a rappelé que la Chine était un pays émergent avec une population nombreuse et qu'elle devait parcourir une longue voie avant de devenir un Etat industrialisé. “C'est pour cela que nous devons faire appel au bon sens”, a-t-il indiqué» (Novosti, du 18 novembre 2009)… Le “bon sens”, chose dont les psychologies américanistes sont si totalement dépourvues.
En quelque sorte, les deux échecs sont liés : échec du “dessein asiatique” et échec du G2 avec la Chine, le premier entraînant l’autre comme par automatisme de l’enchaînement. Les stratèges US ont abordé l’Asie comme si rien ne s’était passé depuis la mort de Mao (Chine communiste, pestiférée, isolée, etc., donc Asie regroupée sous la tutelle US), et la Chine comme si Mao n’avait jamais existé. L’histoire n’est pas le fort des stratèges américanistes. Ils n’ont pas compris qu’ils sont allés voir une Asie qui est beaucoup plus intégrée qu’ils ne croient, où la Chine est beaucoup plus intégrée dans l’ensemble qu’ils n’en jugent. Il faut méditer ce détail de la vie quotidienne, ou hebdomadaire, rapporté plus haut par WSWS.org, qu’il n’y avait qu’un seul vol commercial hebdomadaire entre la Corée du Sud et la Chine en 1992, lorsque Bush-père était allé à Séoul, dernière visite d’un président US avant celle d’Obama, et qu’il y en a 642 aujourd’hui. Cela vaut toutes les théories géostratégiques du monde.
BHO et son équipe de stratèges sont partis en Asie pour retrouver le “bon vieux temps” de l’Empire bienfaisant et légitime des USA sur le monde – et, notamment, sur l’Asie cela va de soi. L’escale de Pékin faisait, selon eux, partie d’un autre monde – celui des crises américanistes et du déclin accéléré de la puissance US, avec lequel il faut bien faire avec. Ils ramènent de cette erreur de jugement psychopolitique de l’évolution de cette partie du monde le germe d’une anxiété asiatique qui va marquer désormais la vision américaniste du Pacifique. Toutes les détériorations des relations avec les différents partenaires – Japon, Corée du Sud, etc. – s’ensuivront, dans l’enchaînement d’une hostilité à venir à l’encontre de la Chine, qui n’a pas saisi la main tendue du débiteur venu demander un supplément d’aide en arguant indirectement et d’une façon si impudente qu’il restait le tuteur stratégique du continent dont il ne s’est pas avisé que cette même Chine fait partie.