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5197La Direction Générale de la Santé avait émis une recommandation urgente le 14 mars 2020. Fondée sur l’observation d’évènements graves survenue chez des patients atteints de COVID-19 ayant utilisé de l’ibuprofène, elle a lancé un message d’alerte proscrivant l’usage des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en cas de suspicion d’infection par le SARS-CoV-2. En cas de fièvre, seul le paracétamol devait être prescrit avec une posologie encadrée. Le Ministre a ensuite élargi la diffusion de cette interdiction par tweet.
La décision des autorités sanitaires de restreindre l’emploi de médicaments très souvent pris en cas de fièvre et de mal de gorge semble provenir de la communication d’un infectiologue de Toulouse. 4 jeunes patients sans comorbidité ont développé une forme grave de la maladie, tous avaient pris de l’ibuprofène à l’apparition de leurs symptômes.
Cette observation venait faire écho à un papier publié dans le journal médical britannique Lancet quelques jours plus tôt, où était émise l’hypothèse que les médicaments qui concourent à faire sur-exprimer le récepteur ACE2 seraient néfastes en cas de COVID-2. Cette enzyme dont une part émerge à la surface de nombreuses cellules de l’organisme permet la phase de fixation du virus. Toute une gamme de médicaments, certains antihypertenseurs et le fameux ibuprofène, ont cette capacité théorique d’augmenter le nombre des ACE2.
Dès lors, trois experts ont enfourché l’hypothèse et émis la même recommandation. Il s’agit d’un professeur en soins primaires de l’Université de Southampton, d’un professeur de virologie de l’Université de Reading, et d’un professeur d’épidémiologie de la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Deux autres ont réagi dans un sens opposé, l’un en mettant en garde sur l’arrêt intempestif de corticoïdes pris pour une autre pathologie, l’autre en avançant au contraire le bénéfice à tirer des anti-inflammatoires pour traiter l’orage des cytokines en bloquant en particulier l’Interleukine 6.
A la suite de cette exaltation autour des AINS, un travail remarquable assez exhaustif de compilation a voulu répondre à deux questions. Les traitements immunosuppresseurs donnés aux patients cancéreux ou pour combattre les maladies auto-immunes et parmi eux les corticostéroïdes et les AINS à faibles doses ont-ils un effet néfaste ou bénéfique en cas de COVID-19 ? La réponse est que les stéroïdes ont un très léger effet positif sur l’évolution de la maladie. Pour les AINS, un travail sur le chien avait montré que l’indométacine pouvait avoir un petit effet positif, ce qui fut confirmé chez l’homme dans le cas du SARS-CoV donné à une posologie de 1mk/kg.
L’emballement autour des anti-inflammatoires est ensuite vite retombé et la question enterrée.
L’OMS a fait des communiqués dans lesquels elle ne préconisait pas la contre-indication des AINS dans le COVID-19. Les fameux quatre patients à l’occasion desquels le problème des AINS a été soulevé n’ont pas fait l’objet d’une publication.
Dans la situation du stress social généré par la pandémie actuelle, le bon dosage entre la nécessité de communiquer rapidement pour éviter l’aggravation de l’état les patients ou pour les soigner et le recul nécessaire pour juger de la solidité de simples hypothèses de travail est délicat. De très nombreuses publications ou pré-publications paraissent chaque jour, d’intérêt inégal. Une véritable fièvre s’est emparée des chercheurs, nourrie d’un sentiment d’urgence légitime. Néanmoins, l’urgence impose la rigueur, un exposé honnête des données brutes et une définition stricte de l’objectif des études. Une étude se construit avec un critère de jugement clair établi dès le début. Sans un minimum de sécurité et de construction cohérente des essais, le risque est grand de ne déboucher que sur des incertitudes.
Certaines pathologies se définissent par des critères purement biologiques. Le diabète en est un bon exemple, la glycémie au-delà d’un certain taux établit le diagnostic.
Dans le cas du COVID-19, la présence du virus dans la sphère oro-pharyngée n’est pas synonyme de maladie. 80% des personnes infectées ne feront pas de maladie du tout ou alors présenteront des signes sans gravité. Elles guériront de toutes les façons, traitement spécifique ou pas, traitement symptomatique ou pas. Lorsque l’on mène des essais cliniques, va-t-on admettre comme critère de jugement la clearance virale ou des paramètres cliniques ? Si l’on se contente de la disparition du virus dans la gorge au sixième jour de l’observation comme le fait l’équipe de Marseille, cela implique que l’on admet la ‘non détection’ de virus comme équivalent à une guérison. Or il n’en est rien et c’est cette étude qui en apporte la preuve.
Le patient décédé dans l’étude de Marseille était négatif au jour deux de son inclusion.
Réciproquement, la persistance du virus n’indique pas que la maladie est évolutive. Il peut être trouvé dans le nasopharynx et dans les fèces des patients guéris plusieurs semaines après la guérison. Dans l’étude de Marseille, un patient traité par hydroxychloroquine et azythromycine après avoir été trouvé négatif à J6 a de nouveau du virus dans son oropharynx à J8. La persistance du virus dans l’organisme des patients guéris a été questionnée car il était important de déterminer pendant combien de temps ils étaient encore porteurs. Deux semaines après la guérison, a répondu une étude chinoise, mais à des taux pour lesquels ils ne se ‘réinfectent’ pas eux-mêmes et où ils ne sont probablement pas contagieux pour leur entourage. Il semble même que la persistance à bas bruit du virus permet l’acquisition d’une immunité solide.
Ainsi indépendamment de toutes les objections que l’on peut faire légitimement à l’essai, groupe témoin nettement plus petit, moyenne d’âge très différente, pour cinq patients sur seize, la recherche du virus au jour 6 n’avait pas été réalisée, légitimement les critères cliniques devraient primer et l’on devrait considérer la présence et la clearance virale comme non pertinentes.
Ainsi, la disparition du virus du site principal (*) par lequel il fait son entrée dans l’organisme ne peut pas être interprétée comme une guérison puisque sa présence n’équivaut pas à la maladie et que dans certains cas, sa disparition est contemporaine d’une issue défavorable voire fatale.
Autrement dit, prendre pour critère de guérison ce qui ne définit pas la maladie, c’est se placer hors du champ de la thérapeutique. Ce n’est pas non plus donner un appui au domaine de la prophylaxie. Pour rendre un porteur du SARS-CoV-2 non contagieux, on sait qu’il faut lui faire porter un masque, comme dans le cas du SIDA la meilleure prévention est le port du préservatif.
L’agitation médiatique risque de se poursuivre car jusqu’ici aucune molécule ou association de molécules n’a encore émergé de manière décisive. Les essais entrepris font du recyclage, du ‘repositionnement’. Les firmes pharmaceutiques privées auxquelles fut confiée la mise au point de médicaments paient mieux leurs commerciaux que leurs chercheurs. Elles ne sont plus innovantes depuis longtemps.
Malgré une létalité évaluée entre 3 à 5% selon les études, la très forte contagiosité du virus rend illusoire voire délirant le traitement de tous les porteurs asymptomatiques et pauci-symptomatiques comme le fait l’étude de Marseille au prétexte qu’un traitement raccourcit la durée de portage. Il ne viendrait à l’idée de personne de considérer les porteurs sains ou peu symptomatiques du virus de la grippe comme devant mériter un traitement pour faire disparaître au plus vite le virus de leur nez. S’il faut simplement éviter qu’ils soient contagieux, le port d’un masque est une manière rapide, sûre et moins onéreuse pour cette prévention.
Ainsi, nous sommes confrontés à une difficulté initiale non résolue. Au début de l’infection, comment repérer les malades qui vont mal évoluer et qu’il faut donc prendre en charge et les distinguer de la majorité des autres ? C’est au prix de cette différenciation que peut s’évaluer l’efficacité d’un traitement.
Une démonstration élégante de l’intérêt d’un portage court du virus consisterait à surveiller par prélèvement les personnes contact d’un malade qui présentent des facteurs de comorbidité péjoratifs dans le cadre du COVID-19 et de les traiter ‘préventivement’, à savoir les obèses, les hypertendus, les diabétiques et les sujets âgés.
Cette analyse pourrait être même faite rétrospectivement puisque l’Institut de Marseille dispose maintenant de milliers de cas traités.
Or c’est bien dans cette catégorie de patients à évolution potentiellement péjorative que l’association anti-malarique et antibiotique de la famille des macrolides est le plus souvent soit contre-indiquée d’emblée soit abandonnée en cours de traitement sur la surveillance de l’ECG. On tombe alors sur une contradiction de type insoluble.
Une nouvelle tempête s’est profilée dans les réseaux sociaux. Elle a toute chance d’être de courte durée.
L’hypoxémie chez les patients atteints du COVID-19 serait liée à l’infection des globules rouges par le virus et à l’incapacité de l’hémoglobine d’assurer le transport de l’oxygène.
L’apport de l’oxygène avec ou sans ventilation assistée serait dès lors inutile.
Le globule rouge est une cellule sans noyau, à durée de vie limitée, qui peut être considéré comme un sac déformable d’hémoglobine. Son équipement enzymatique assure sa stabilité structurelle et la protection de l’hémoglobine. S’il a des déterminants antigéniques sucrés à sa surface qui participent à ce qu’on appelle le groupe sanguin, il ne joue pas de rôle dans la régulation de la pression artérielle. Il est dépourvu des fameux récepteurs ACE2, enzyme qui intervient dans le métabolisme de l’angiotensine et l’homéostasie de la pression artérielle, par lesquels pénètre le virus dans les cellules qu’il parasite.
Les récepteurs ACE2 sont ubiquitaires dans l’organisme, présents dans les alvéoles pulmonaires mais particulièrement abondants dans le rein et le cœur, deux organes qui jouent un rôle primordial dans la régulation complexe de la tension artérielle. Très grossièrement, activés, ils favorisent une baisse de la tension artérielle et facilitent une certaine perméabilité vasculaire. Le coronavirus parasite et endommage les cellules de l’alvéole pulmonaire, la rendant inapte à assurer les échanges gazeux. C’est le mécanisme de la désaturation en oxygène au cours de l’infection modérée à sévère, selon l’extension des lésions, avec manifestations respiratoires basses.
Autre chose est l’orage des cytokines qui peut survenir dans un certain nombre de cas de COVID-19, déjà constaté dans le SARS-CoV et le MERS-CoV. Il apparaît au moment où l’organisme a commencé à produire une réaction immunitaire spécifique de l’antigène. Une production sans rétrocontrôle de molécules inflammatoires endommage les tissus, le poumon mais aussi d’autres organes sont atteints massivement. Les désordres sont alors massifs, on observe la présence d’un certain type d’anticorps responsables d’une coagulation disséminée. Ici, les anti-inflammatoires, les immunosuppresseurs et des anti-cytokines sont utilisés, leur succès dépendant surtout de l’ampleur et de la rapidité de l’emballement du système devenu hyper-immun. Mais dans l’ensemble, réanimateurs et immunologistes sont assez désarmés face à cette situation.
La ‘science médicale’, embarquée dans la pure expérimentation, est dépourvue de l’appareillage théorique capable de prendre en charge cette irrégularité qu’est l’auto-immunité. La genèse du système immunitaire est toute entière consacrée à l’apprentissage du ‘Soi’ versus le ‘non-Soi’. Dans l’accident aigu de l’orage des cytokines comme dans les maladies chroniques auto-immunes, le système n’est plus capable de ce discernement. Le retournement de la prédation du sujet contre lui-même est l’une des énigmes posées par ce virus. L’HIV avait posé la question des parasites capables d’entraver la réponse immunitaire qui devrait les détruire en s’attaquant spécifiquement aux cellules chargées de la défense du soi. Ici, le virus finit par faire produire une réaction qui détruira l’agent pathogène en détruisant l’hôte.
La description (ou la découverte) de micro-organismes appartient à un registre d’activité particulier, celle du catalogue ou de la classification. L’art de collectionner des spécimens et de composer un herbier est une forme de compilation, un moyen terme entre la science et l’art.
On attend d’une activité scientifique en biologie qu’elle mette à jour de nouvelles manières de comprendre le vivant, pas seulement d’appliquer des technologies mise à sa disposition par d’autres sciences, comme par exemple la microscopie électronique ou l’emploi du marquage par fluorescence ou radioactivité. Rares ont été les découvreurs dans la seconde moitié du vingtième siècle. Watson et Crick ont percé la structure de la structure de l’ADN, Dausset a mis en évidence le système HLA à l’origine des rejets de greffe. On peut compter parmi les avancées majeures la compréhension de l’épigénétique, c’est-à-dire l’intégration du milieu extérieur dans le matériel génétique transmissible. Pour cela, il faut s’attacher aux irrégularités des lois déjà dégagées par les théories empiriques déjà existantes. Se soumettre à leur observation et élaborer à partir d’une théorie des expérimentations et non l’inverse.
L’auto-immunité si préjudiciable dans le cas du COVID-19, c’est la précipitation de la fonction de prédation, à la base du vivant, vers une réflexivité aberrante qui la transforme en auto-prédation. Comment certaines stimulations de l’hôte par un parasite trompent-ils la vigilance immunitaire et conduisent à lui faire reconnaître le ‘Soi’ comme étranger ? Il y a sans doute beaucoup de voies qui aboutissent à ces erreurs.
Le ‘Soi’ a pu être altéré pour avoir intégré une partie du ‘non-Soi’. Le ‘non-Soi’ est suffisamment proche du ‘Soi’ pour induire une réponse inappropriée. Cela met en jeu la question de la définition de la frontière, cette nécessaire, fragile et bien poreuse interface. Celle qui à la base de l’Ontologie.
(*) Une contamination par voie oculaire est possible.
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