Appui-feu et appui tout court

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Malgré des mesures restrictives pour le domaine de l’appui aérien extraordinaires par leurs complexités et leur pression, les forces US et de l’OTAN restent inextricablement enchaînées aux erreurs opérationnelles et à leurs effets politiques et médiatiques démesurément amplifiés. Le court billet de Patrick Cockburn, ce 23 février 2010 dans The Independent montre bien comment la guerre en Afghanistan, en pleine et grandiose opération du général McChrystal, reste dépendante de sa dimension politique. Le Pentagone voudrait bien régler cette guerre militairement, ne doutant pas une seconde qu’il en ait les moyens et, surtout, bien entendu, la méthode adéquate. Version post-moderniste de l’American Dream.

«The attention given to the killing of at least 27 Afghan civilians in a Nato airstrike shows a significant political and military change in the Afghan war. Political support for the war is so fragile in the US and other states contributing troops that every misdirected bombing has to be apologised for. The Dutch government has already fallen because of disagreement over the Dutch military contribution of 2,000 troops to the Nato force.

»This limitation on airstrikes removes one of the Nato powers' main advantages against Taliban guerrillas: the ability to call in air power whenever fighters were located. The Nato planes fired yesterday at a convoy of three vehicles; among the dead were four women and a child, and 12 more were wounded. The group were believed to be Taliban fighters. The outcome of the bombing confirms that when air power is inaccurate the blame lies not with inadequate technology but with the failures of the intelligence on which targeting is based.»

Remarquant la rapidité avec laquelle McChrystal s’est abondamment excusé auprès du président Karzaï, qui ne peut manquer une occasion de dénoncer ces pratiques, Cockburn note justement ceci qui marque bien l’évolution très rapide de la position américaniste dans la guerre de type G4G, avec les dimensions médiatiques, humanitaires, etc.: «This is in sharp contrast with Iraq where, at the height of the fighting between 2004 and 2007, the Iraqi government would happily confirm that civilian dead were insurgent fighters.»…

Tout cela nous conduira à de nouvelles mesures de restriction de l’utilisation de l’appui aérien, avec la conséquence que se réduira encore l’appui tout court des divers pays engagés dans cette étrange aventure dont nul ne peut dire à quoi elle correspond ni où elle mène: «Meanwhile the curtailment in the use of air power by Nato will mean that more foreign troops will be needed to make up the loss in firepower just as support for the Afghan venture is waning in the countries which supply them.»

Notre commentaire

@PAYANT Nul n’a vraiment mis en évidence avec quelle placidité, voire quelle fatalisme, la communauté atlantiste (OTAN, Pentagone et compagnie) a accueilli la nouvelle de la mésaventure hollandaise. La chute du gouvernement, de nouvelles élections, un long délai pour former le nouveau gouvernement, et déjà le départ des forces hollandaises (plutôt 1.600 hommes que les 2.000 dont parle Cockburn) qui commence à s’organiser et qui devrait effectivement débuter en août. (Les Hollandais iront-ils jusqu’au bout ? Là n’est pas la question car ce n’est pas une question militaire; là où est la question est qu’il s’agit d’un nouveau domaine d’incertitude, de démoralisation, de “fatigue” politique qui s’installe.) Le Canada va lui-même bientôt affronter cette épreuve, – rester contre le vœu majoritaire de sa population et de sa représentation parlementaire ou partir conformément aux engagements démocratiques. (Par bonheur, Saakachvili de Géorgie nous promet 640 hommes de plus, ce qui aura au moins la vertu de soulager les angoisses russes.)

Pendant ce temps, sur le terrain, au milieu des exploits sans nombre des Marines, le carnaval continue. Ce sont les Special Forces US qui ont ordonné l’attaque aérienne, sur la foi de renseignement qui s’avèrent donc erronés. Il y a plusieurs remarques à faire sur cette attaque: dans la G4G, comme dans toute guerre “asymétrique” et peut-être plus que dans toute guerre de cette sorte, ce n’est pas la précision des missiles qui compte mais la précision du renseignement. Cela signifie l’intégration des forces dans la population, et surtout de ces unités type Special Forces, qui évoluent hors des normes militaires courantes. L’attaque contre les bus chargés de civils est un verdict de plus sur l’échec psychologique et culturel des forces américanistes et atlantistes tel qu’il nous est répercuté par les réseaux de communication ultra-sensibles au fait, dans ce cas avec la circonstance assez fortuite mais qu’on suppose constante de l’incapacité d’apprécier exactement les renseignements dont disposent ces forces. Qui plus est, les conditions ayant conduit à l’ordre d’attaquer sont suspectes et il se pourrait que McChrystal, l’homme qui a formé et dirigé ces “forces parallèles” qu’affectionnait Rumsfeld, commence à s’apercevoir aujourd’hui des problèmes de contrôle que pose cette sorte de forces.

Ainsi la guerre d’Afghanistan apparaît effectivement, comme le note Cockburn à propos du comportement US vis-à-vis de Karzaï, complètement différente de la guerre d’Irak. La dimension politique, avec ses incertitudes, ses soupçons, etc., étend son ombre sur chaque geste de la guerre, sans que les erreurs irakiennes pour l’aspect opérationnel aient été corrigées en quoi que ce soit, sinon par simple restriction. (Effectivement, quand toutes les sorties d’appui feu seront interdites, il n’y aura plus de pertes civiles dues à des missions d’appui feu…) La dimension politique est extraordinairement déstructurante en Afghanistan, par excès contraire du cas irakien; la guerre en Irak était déstructurante par absence complète de la dimension politique, la guerre en Afghanistan l’est pour la raison inverse. Le caractère inédit de la chose est que ce caractère politique ligote les Américains à tous leurs divers supplétifs, que ce soit la “marionnette” Karzaï, ci-devant corrompue jusqu’à la moelle, devant laquelle les quatre étoiles du général McChrystal vont aussitôt faire amende honorable dès qu’un civil afghan est touché; que ce soit les pays de l’OTAN, dont on craint à chaque instant la défection, et laquelle a lieu, effectivement, dans le cas d’un des plus fermes et fidèles, la Hollande elle-même, parfaitement démocratique en la circonstance.

Ainsi la “reprise en main” du conflit afghan par la nouveau chef s’avère-t-elle un piège à multiples tiroirs, une valse continuelle entre la dimension militaire et la dimension politique, une bataille épuisante qui se déroule à l’intérieur de la mosaïque d’alliances diverses constituée par Washington pour l’occasion. La grande idée de McChrystal-Petraeus, effectivement, était de faire de ce conflit pourri une véritable guerre, uniquement pour les militaires, armés bien entendu de conceptions nouvelles qui permettraient de réduire les mauvaises surprises de ces maudits conflits type-G4G. Mais c’est la caractéristique des conflits G4G de ne pas se laisser enfermer, ni même identifier dans une dimension où on peut les contrôler. (Même en Irak, où la dimension politique avait été radicalement supprimée, les dimensions tribales et ethniques se chargèrent de suppléer à cette tentative de simplification.) McChrystal est entré dans l’enfer des mauvaises surprises que réserve la G4G. La question est de savoir si ses nerfs tiendront jusqu’à l’entrée en fonction du président Ron Paul, qui viendra décharger heureusement le général de ses propres fonctions.


Mis en ligne le 23 février 2010 à 17H11