Après Erdogan, Morsi ? Autant en emporte le vent

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Après Erdogan, Morsi ? Autant en emporte le vent

Il y a une semaine, nous constations la chute accélérée de la position du Turc Erdogan, qui n’avait pu réussir, au long de la crise de Gaza (Gaza-II), à se rétablir dans la perception de l’opinion musulmane et de celle du reste du monde. Gaza-II n’avait démontré qu’une chose : la toute-puissance de la position de Morsi, l’homme-clef de la crise, montrant de la fermeté vis-à-vis d’Israël tout en contrôlant le Hamas et en s’attirant le soutien enthousiaste de Washington. C’était effectivement le 23 novembre 2012 que tout cela était rapportét.

«D’un côté, il y a une appréciation générale selon laquelle Erdogan s’est trouvé dans cette crise à la remorque de Morsi, tandis que son attitude durant ces quelques jours est perçue plutôt comme de la gesticulation sans beaucoup de substance. […][S]elon un article du New York Times [… :] “The analysts stressed that while Turkey became a vocal defender of Palestinians and a critic of the Israeli regime, ‘it had to take a back seat to Egypt on the stage of high diplomacy.” […] “While most of the region’s leaders rushed to the nearest microphone to condemn Israel, the normally loquacious prime minister was atypically mute,” said Aaron Stein from a research center based in Istanbul. Stein added that while Erdogan was touring a factory that makes tanks, Egypt President Mohamed Morsi had “put his stamp on world réaction…»

• L’impression est immanquable : Erdogan est “perdu corps et bien”, Morsi est le grand homme d’une époque nouvelle… Combien de temps, cette “époque nouvelle” ? Eh bien, disons, une semaine, dix jours, deux semaines ? Aujourd’hui, Morsi est à la dérive ; l’on dirait presque, bientôt, qu’il est “perdu corps et bien”… Le constat semble aussi rapide que le temps qui passe et que l’Histoire se fait.

• Ces trois-quatre derniers jours, Morsi s’est trouvé entraîné dans le tourbillon d’une contestation qui prend des allures, une fois de plus, révolutionnaires, ou plutôt déstructurantes ; destructrices de structures encore si fragiles mises en place peu à peu depuis le départ de Moubarak, et dont Morsi avait pensé qu’elles suffiraient à canaliser les passions et les fureurs. Le schéma est assez simple : deux ou trois jours après sa “victoire” dans Gaza-II, au pinacle de sa puissance nouvelle, Morsi s’est jugé en position de force pour assurer son pouvoir intérieur en relançant sa querelle avec le pouvoir législatif, contre lequel il avait lancé jusqu’ici des assauts contenus et même retournés contre lui, et cette fois lui-même pour placer un coup décisif. Il semble que Morsi se soit trop appuyé sur ses conseillers juridiques, selon le journaliste Rana Mamdouh, du quotidien Al-Akhbar English, ce 27 novembre 2012 : «As Egyptian President Mohammed Mursi faces yet another showdown with the judiciary, this time over his recent decree placing himself beyond the power of the courts, sources tell Al-Akhbar that the real masterminds behind these disastrous decisions are Mursi’s advisors.»

Rana Mamdouh semble, d’après ses sources, assez pessimiste sur l’issue de la crise pour Morsi, qu’il voit dans une nouvelle capitulation du même Morsi face au pouvoir législatif : «The president, on the other hand, met with the Higher Judicial Council on Monday in an attempt to close the rift caused by the declaration. The meeting was widely seen as an attempt to find a way out while allowing Mursi to save face – this would be the fourth reversal of a presidential decision in relation to the judiciary.»

• …Pourtant, serait-on tentés d’écrire, Morsi semblait avoir assuré sa position, notamment auprès des USA. Justement : à quoi servent les USA aujourd’hui et qui s’en soucie vraiment, au Caire, dans la rue par où doit passer toute décision politique ? La caution des USA, n’est-ce pas la caution de l’incendiaire donnée à l’apprenti-pompier ? Le même Al-Akhbar English, du 27 novembre 2012, publie une rapide et savoureuse mise en situation sur son Live Blog, le 27 novembre au matin ; laquelle nous montre 1) que le côté américaniste est affolé et ne comprend plus rien à une situation qu’il n’a jamais comprise, avec l’ambassade tweetant que, finalement, elle serait plutôt contre Morsi et aux côtés des révolutionnaires, du peuple et des droits de l’homme ; 2) que les contestataires anti-Morsi n’ont rien à faire des manifestations diverses de l’américanisme affolé, sinon à leur faire passer texto le message qu’ils ne veulent plus des accords de Camp David (accord de paix Israélo-Égyptien)…

«Who cares what the US says anyways?

»Are the Americans back peddling on Mursi? Under Mubarak, the US maintained its opposition to the Brotherhood. When Mursi won the presidential election and made clear his intentions to maintain ties with Israel and keep providing them with fuel, the US backed him. It was just a few days ago that US Secretary of State Hillary Clinton praised Mursi's “leadership” on Gaza. Now today, the US Embassy in Cairo basically called Mursi a dictator or Twitter:

»“@USEmbassyCairo : The Egyptian people made clear in the January 25th revolution that they have had enough of dictatorship #tahrir”.

»Conveniently, the embassy failed to address the incident just outside its doors earlier today when an activist was killed by riot police. Those protesters aren't just sending a message to Mursi, they are also rallying against US meddling in their internal affairs, and in particular, Camp David.»

• Première conclusion (sous forme de question) : Morsi est-il en train de prendre une direction semblable à celle d’Erdogan, par d’autres voies ? Seconde conclusion : il semblait bien que ces deux dirigeants musulmans, supposés habiles, certainement réformistes et un poil révolutionnaire, populiste sans aucun doute, charismatiques, étaient du genre “qui a compris que la rue pèse d’un poids terrible” après le “printemps arabe” ; eh bien, sans doute ne l’ont-ils pas assez bien compris.

… Mais est-ce bien une question de “bien comprendre”, finalement ? L’impression générale, dans la région, est véritablement celle d’un tourbillon évoluant en spirale vers un trou noir, que plus personne ne peut espérer contrôler. La tension générale ne rend pas compte de lignes de force tendant à imposer leurs lois, mais au contraire d’un désordre grandissant, d’un chaos où s’accumulent toutes les composantes de la crise terminale du Système, de type postmoderniste. Tous les pays autour de la Syrie sont en train de se transformer en une sorte de Pakistan circulaire, encerclant la Syrie-Afghanistan. La Turquie attend la réponse la plus stupide possible de l’OTAN (un “oui”) à la requête la plus stupide possible qu’elle ait faite, de déployer des Patriot de pays de l’OTAN (on connaît leur redoutable et presque légendaire inefficacité) à la frontière syrienne, sous contrôle d’engagement de l’OTAN. Tout le reste est à l’avenant, avec l’hypothèque absolument terrifiante de la destinée de l’Arabie Saoudite, qui se trouve au seuil d’une période explosive et absolument déstructurante. Tous les grands projets plus ou moins teintés d’idéologie religieuse et activiste, sunnites, salafistes, etc., sont en train de s’évaporer sous la poussée du désordre, avec même le Qatar qui se retire de plus en plus, tandis que les diverses forces en présence se transforment de plus en plus en bandes, en réseaux du crime organisé, etc. La pathétique sottise américaniste-occidentaliste domine tout ce champ de ruines de sa haute taille et de sa prétention sans faille et au pas précautionneux, – l’image du paon ferait bien l’affaire, – attentive à venir poser, à la moindre occasion, par exemple à l’aide d’un de ses drones dont le président BHO “qui marche sur l’eau” a le secret, un de ces actes stupides, absurdes, nuisibles et illégaux, pour encore aggraver ce qui est déjà si grave.

Dès qu’un homme apparaît et paraît pouvoir prétendre “chevaucher le tigre”, – et même un de ces hommes au demeurant d’allure et de conviction qui nous le rendraient sympathiques, – il est finalement désarçonné, et nullement au profit du Système qu’il semblait en position de pouvoir affronter, mais dans un dessein finalement radicalement antiSystème, – parce que cet homme-là, justement, n’est pas assez antiSystème pour les desseins supérieurs consentant à s'occuper des choses du monde. Bien qu’un Erdogan en son temps, puis un Morsi dans le sien, soient loin de nous sembler des marionnettes du Système, et même au contraire, la terrible loi du comte Joseph de Maistre joue contre eux. «On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.» Erdogan et Morsi ne sont pas des “scélérats”, à l’image des révolutionnaires français, mais ils restent au service de desseins extérieurs à eux, qui se débarrassent d’eux s’ils prétendent trop précisément interrompre le cours de “la révolution”, qu’on nomme ici “printemps arabe”, qui n’a pas pour tâche d’établir ni la démocratie ni les droits de l’homme, qui a pour tâche d’abattre les structures du Système et rien d’autre. Le chaos a un envers qui le rend lui-même nécessaire.


Mis en ligne le 28 novembre 2012 à 14H37