Après Gorbatchev, de Gaulle?

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Après Gorbatchev, de Gaulle?

31 juillet 2009 — Effectivement, les analogies historiques plutôt flatteuses collent à Obama, – mais dans un sens interrogatif, à la mesure de l’énigme qu’il continue à être, – “énigme”, moins en raison de l’homme que des circonstances qui influent sur lui. Il est devenu courant de gloser sur l’analogie Gorbatchev, et ce n’est certes pas fini. Leon Hadar, spécialiste des questions du Moyen-Orient et collaborateur régulier d’Antiwar.com, en propose une autre, ce 30 juillet 2009: de Gaulle… Nous attendrions la possibilité d’un “Moment de Gaulle” chez BHO, dans sa politique israélienne («Waiting for Obama’s de Gaulle Moment»). Dans ce cas, bien sûr, il s’agit de la décision (1967) de rupture de De Gaulle du soutien inconditionnel accordé par la France à Israël depuis l’origine de cet Etat, suivie par des paroles qui firent grande polémique lors d’une conférence de presse gaullienne après la Guerre des Six-Jours de juin 1967 (Israël, «peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur»).

L’hypothèse de Raymond Hadar, qui ne s’est pas signalé jusqu’ici comme un supporter inconditionnel d’Obama en le parant naïvement d’une vertu innée de réformateur radical, est que ce même Obama pourrait être amené par le cours de sa politique à un “Moment” décisif pouvant contenir le germe, voire l’application d’une rupture radicale avec Israël. L’hypothèse n’est ni gratuite ni purement spéculative. Hadar la soulève, notamment, parce qu’il l’a rencontrée, émise à profusion, chez des Israéliens de l’establishment politique lors d’une récente visite en Israël.

«Nevertheless, recalling the dramatic changes in French-Israeli relations in the 1960s provides us with an instructive case in point. Relationships between nation-states, and in particular between patrons and clients, are subject to change. And many Israelis, as I discovered during a recent trip to the region, are all too well aware of this.

»In fact, the de Gaulle/Obama analogy was raised several times in interviews I had with Israeli officials and political analysts, reflecting the growing concern in Israel, and especially in the Likud-led government of Prime Minister Benyamin Netanyahu, that President Obama is intent on reshaping U.S. strategy in the Middle East. Indeed, during my visit, I was struck by the sense of inevitability shared by both Israelis and Palestinians that Washington would eventually adopt an activist role in resolving the conflict over the Holy Land.»

Hadar retrace, d’une façon satisfaisante, la genèse des relations franco-israéliennes qui conduisirent à la décision du général de Gaulle de 1967. Peut-on effectivement faire une analogie historique avec la situation et l’évolution de la politique israélienne de BHO? «Could U.S. President Barack Obama play the role of an American de Gaulle? Would a decision by Israel to reject Obama’s advice against launching a military strike against Iran’s alleged nuclear sites lead to a historic reassessment in the relationship between Washington and Jerusalem?»

 

Outre ce qu’il a relevé et entendu à Tel-Aviv, Hadar rapporte des réflexions sur la situation à Washington dans ce domaine des relations USA-Israël. Il met en évidence, justement à notre sens, ce qui est essentiellement un “climat” indiquant un changement peut-être important, peut-être fondamental (“‘quelque chose’ a changé dans l’approche de Wadshington…”). Il met en évidence le changement de méthode, de ton et de style dans la politique de l’administration Obama. Il n’y a pas de décisions fondamentales, d’affirmation tranchée, mais une évolution justement marquée par cette question de “climat” qui, dans sa durée désormais affirmée, avec des réactions encore officieuses ou indirectes mais bien réelles, a fini par acquérir une réalité qui présage éventuellement la formation d’une réelle substance.

«Nevertheless, the perception in Washington and in Middle East capitals is that “something » has changed in the U.S. approach. But that “something” reflects more a change in tone and style than one of substance. There is also the sharp contrast between Obama and the George W. Bush government, which put dramatic emphasis on U.S.-Israeli ties and common interests in fighting extremism in the region. Compared to the rhetoric of Bush’s neoconservative advisors, the Obama team and its restatement of long-standing U.S. policy goals could easily appear to be ground-shaking.

»The election of Benjamin Netanyahu as prime minister of Israel also provided Obama with an opportunity to create the perception that “something” was indeed changing in the U.S. approach to the Middle East. Netanyahu has long been a favorite of U.S. neoconservatives. After their humiliating fall from power in the United States, the neocons seemed to have won a major political victory in one of the outposts of the U.S. empire with Netanyahu’s election. By endeavoring to distance himself from both Netanyahu and his neocon cheerleaders, the Obama administration has been able to market its message of change in the Arab World.»

Restent par conséquent, pour conclure, sans surprise cette fois, cette analyse, un grand nombre de questions concernant cette évolution de la politique de BHO, dont Hadar estime que l’un des prolongements pourrait être ce “Moment de Gaulle”. Quoi qu’on puisse penser de ces spéculations, et nous ne doutons pas qu’il y ait nombre d’arguments pour les réduire, voire les ridiculiser au nom de l’accusation de naïveté, il reste un fait indubitable. De telles questions n’avaient aucun sens, aucun lieu d’être, aucune réalité possible ni plausible il y a seulement un an, sous l’administration GW Bush. Aujourd’hui, elles peuvent être posées, et cela, en soit, est un fait politique absolument indiscutable.

«Can president Obama fill the political vacuum in Israel and Palestine and start pressing the two sides to consider making painful compromises? Will Saudi Arabia, Egypt, and other Arab states be able to assist the Americans if and when they decide to jump into the cold water of the Middle East peace process? Will Iran and its regional allies attempt to sabotage U.S. efforts or decide to jump on the U.S.-led bandwagon? Will Obama have the political backbone to confront the powerful groups in Washington backing Netanyahu?

»These are a few of the questions being asked by observers in the Middle East and elsewhere as they wait for Obama to launch his long-awaited Middle East initiative in the coming months. But another key concern is whether – Obama’s good intentions notwithstanding – the erosion in U.S. strategic and economic power might set enormous constraints on the president’s ability to transform U.S. policy in the Middle East and bring peace to the Holy Land. In the end, it may require a reckless attack by an intransigent client state on a Middle East regime to get the global patron to make the difficult steps necessary for lasting change.»

(… Sur ce dernier point, d’ailleurs, nous noterons que l’interprétation inverse peut être avancée, – et nous aurions tendance à la privilégier contre celle qu’évoque Hadar. Ce pourrait être justement les pressions de la crise qui, par limitation des moyens stratégiques, nécessité d’arrangements pour réduire les investissements militaires et stratégiques extérieurs, pousseraient à une volonté de susciter une situation nouvelle où des changements considérables seraient envisagés. Là aussi, des questions, des hypothèses, – rien d’assuré, sans aucun doute. Mais cela est aussi un changement, tant la situation des relations USA-Israël était, elle, bien complètement assurée, sinon verrouillée, du temps de Bush, et l’on sait dans quel sens, et avec de telles questions et spéculations absolument sans fondement.)

L’élu de la crise

Cette analyse spéculative nous donne l’occasion d’à nouveau examiner la personnalité et le rôle potentiel de Barack Hussein Obama, – l’homme dont certains (aux USA, plus précisément) se demandent s’il est bien un citoyen US, s’il n’est pas plutôt une sorte de “Manchurian President” placé là par une main mystérieuse et machiavélique pour liquider l’Empire et toutes ses vertus innombrables. Ou bien, en sens inverse, l’homme dont certains assurent avec une certitude remarquable qu’il s’agit d’une marionnette du système, habilement placée là pour nous rouler tous dans la farine, une fois de plus, grâce aux manoeuvres d'un système décidément si habile qu’il mérite de nous enterrer tous. Ces dernières précisions pour rappeler, n'est-ce pas, combien les analyses assurées à propos de BHO se baladent dans tous les coins, surtout, surtout, les coins les plus extrêmes et les plus machiavéliques. Cela demande, encore plus qu’à l’habitude et par contraste avec ces tendances qui dépendent de “l’idéologie et de l’instinct”, des précautions dans le jugement et une capacité d’ouverture de la réflexion.

BHO est ce qu’il est, dirions-nous prudemment, et le fait même de la détermination de sa personnalité ne nous intéresse, lorsque nous faisons de l’analyse politique, en aucune façon. Le seul cas où les caractères personnels de BHO ont quelque importance, c’est lorsqu’ils jouent un rôle dans son attitude, ses analyses, ses décisions dans sa fonction de président des USA. D’autre part, toute l’activité de cette fonction de président des USA, aujourd’hui, est l’objet de pressions considérables. On en connaît certaines (lobbying, systèmes, manipulations du système, etc.) et l’on ne se prive pas d’en parler; d’autres sont nouvelles, ou bien en train de prendre de plus en plus de poids. Parmi ces pressions nouvelles, celles, multiples, qui sont engendrées par la crise du 15 septembre 2009, – et l’on sait dans quel sens elles vont, comme on en voit un exemple dans l’attitude US lors de la rencontre USA-Chine de ce début de semaine.

Cela signifie que le rôle et le comportement de BHO dépendent d’un nombre élevé de facteurs variables et, dans ce cas alors, certains traits de son caractère peuvent jouer un rôle important dans le sens d’une orientation de changement. Ce n’est qu’une analyse hypothétique, mais le moins qu’on doit admettre est que les esquisses, les intentions de politique vont bien plus dans ce sens que dans un sens de stagnation dans l’extrémisme selon les normes bushistes. De même, et comme une conséquence indirecte de ce qui précède, ces divers caractères d’Obama, mis systématiquement en lumière par le processus général de la communication (d’une façon abusive ou pas, qu’importe), ont puissamment contribué à créer une “image” de réformiste de BHO. Certains y voient un piège, voire un montage, d’autres y voient une confirmation d’une réalité dissimulée. La discordances et la tonitruance de ces jugements ont au moins la vertu, sinon de nous convaincre, dans tous les cas de prouver l’existence de l’image et de sa puissance; et l’on voudra bien admettra que le constat général sur la puissance de l’image domine toute approche et crée ainsi une pression de plus sur le comportement de BHO, par l’influence qu’elle exerce sur l’interprétation de sa politique.

L’“interprétation” de sa politique, voilà un point politique. Lorsqu’il n’y a pas d’acte décisif, effectivement, l’“interprétation” devient capitale. Elle suscite des réactions qui, pour n’être pas basées sur des faits, sont elles-mêmes des faits et parviennent ainsi, par simple logique rétroactive, à transformer les interprétations causales elles-mêmes en faits rétroactifs. Ainsi, l’évolution des relations USA-Israël repose-t-elle sur des interprétations essentiellement, mais elle en est arrivée à un point de développement où elle est devenue un fait puissant, et par conséquent les interprétations qui y ont présidés tendent à devenir rétroactivement des faits. C’est le cas absolument caractéristique où l’existence, et l’existence par la seule communication encore, précède l’essence qu’elle finit par engendrer.

On voit qu’on n’attribue aucun poids fondamental jusqu’à ce stade à BHO. On en fait ni un “messie”, ni un réformiste révolutionnaire dans l’âme, selon ces interprétations gratuites et, de toutes les façons, complètement infondées dans le contexte qu’on décrit. BHO est emporté par son “image”, par l’“interprétation” qu’on donne de lui, par la perception de communication qu’on en a, et tout cela est irrésistible, et il ne peut que suivre en l’occurrence, – à moins d’un acte tonitruant pour s’en libérer, ce qui changerait toutes les analyses, – mais que, pour l’instant, il n’a donné aucun signe de vouloir poser, comme s’il s’arrangeait d’être mené par son image.

On reconnaîtra notre interprétation maistrienne, qui donne à l’homme qui en est l’objet une position d’une certaine soumission, ou d’une certaine acceptation d’être conduit en bonne partie par des forces extérieures, voire d’être “utilisé” par ces forces extérieures. (ces “forces extérieures” se traduisant aujourd’hui par le relais de la communication, avec toutes les conséquences qu’on a vues.) Nous observons comme une évidence que cette interprétation maistrienne a sa place logique et toute de puissance dans une situation où des dynamiques extérieures, vivant de leur propre puissance, relayées et outrageusement grossies par la communication, dominent à ce point la situation politique. Il n’est nul besoin de craindre un vertige métaphysique et de prendre quelque antidépresseur de circonstance pour examiner une telle circonstance (ou bien sortir l’arsenal des ricanements et sarcasmes de service, on connaît). Nous vivons dans une structure crisique générale, qui génère effectivement des forces qui sont, par essence et par définition, comme dans le cas spécifique d’une “crise”, des forces simplement incontrôlables par la seule action humaine.

Cette situation générale nous est hurlée aux oreilles à chaque séminaire ou conférence de théoriciens de l’économie, avec un constat constant, relevé partout, à la fois sombre et incertain, mais essentiellement sombre parce que fondamentalement incertain. Littéralement, nous ignorons où nous allons, essentiellement parce que les forces qui émanent de cette structure crisique sont à la fois mal identifiées, quand elles le sont, totalement inconnues dans leur orientation, totalement incontrôlables dans le chef de leur dynamique. Par conséquent, le paradoxe est évident: plus un homme dispose d’un pouvoir important, plus il est sensible à l’action de ces forces incontrôlées, plus il en est l’outil. Dans ce cadre, un homme comme Obama, avec l’interprétation qu’on en a et l’“image” qu’on en fait, peut s’inscrire d’une façon très efficace dans une force incontrôlée qui serait nécessairement déstabilisante et déstructurante de l’ordre en place.

Dans ce contexte, l’hypothèse de Hadar, le “Moment de Gaulle” d’Obama, est donc à la fois complètement farfelue et tout à fait plausible. Le fait absolument nouveau par rapport aux situations antérieures est que l’hypothèse est autant “tout à fait plausible” qu’elle est “complètement farfelue”. Entre les “situations antérieures” et aujourd’hui où cette hypothèse est devenue également plausible, est intervenu l’événement de la crise 9/15, dont nous estimons qu’elle a définitivement installé la structure crisique dont nous parlons. Ces constats ne font d’Obama ni un “messie” qui va changer le monde, ni une “marionnette” manipulée par le système, – ces affirmations assurées qui n’ont comme seule vertu que de mesurer la véhémence de ceux qui affirment l’une et l’autre. Par contre, ils confirment une chose que nous tenons comme évidente depuis l’origine de la séquence: Obama n’a pas été élu pour sa qualité d’Africain-Américain, de “messie” ou de “marionnette”, ou de n’importe quoi d’autre qui le concerne personnellement, mais parce que les circonstances ont fait de lui “l’homme de la crise”. (Le 4 novembre 2008, avant que les résultats soient connus, nous écrivions: «Evoquons la troisième possibilité, qui reste évidemment une possibilité d’appoint. La victoire de McCain serait une sorte de victoire “contre nature”, tant la pression de la crise nous a habitués à une victoire d’Obama… Car la position favorite incontestée d’Obama n’est pas une création de ce même Obama et des démocrates, quelle que soit leur contribution, mais bien une exigence de la crise. Une victoire de McCain aurait quelque chose d’une imposture, quoi qu’il en soit de l’éventuelle bonne foi du vainqueur, – ainsi en font juger, que nous le voulions ou non, les événements exceptionnels…») Obama a été choisi par les circonstances comme l’élu incontestable de la crise qui fut la véritable ouverture de la campagne électorale, qui transforma le sens de la campagne électorale, qui fut la force principale qui détermina le résultat de la campagne électorale.