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30 septembre 2006 — Pouvait-on croire si bien dire, et si vite? Lorsqu’un lapsus habilement ménagé nous fait écrire : «Tandis que se referment sur l’OTAN les mâchoires du piège américain — pardon, du piège afghan»…
Le cas, la manoeuvre est simple, après tout — comment ne l’avions-nous pas devinée? (D’ailleurs, c’est aussi bien une évidence et une fatalité qu’une éventuelle manœuvre.)
Ceci, de nos sources internes :
«A four-star American general will take charge of both U.S. and NATO forces in Afghanistan in February, boosting the stature of the military mission in the fractured country and unifying an international command struggling to contain a resurgent Taliban militia. Provided he is confirmed by the U.S. Senate, U.S. Army Gen. Dan K. McNeil will take over command of NATO's International Security Assistance Force in Afghanistan currently headed by British Army three-star, Lt. Gen. David Richards, ISAF spokesman Maj. Luke Knittig said Tuesday. “It speaks volumes to the attention that Afghanistan will continue to receive,” said Knittig, a U.S. Army officer.
» McNeil, 60, who now heads the Atlanta-based U.S. Army Forces Command, will be the top foreign commander in Afghanistan. His arrival will unify separate leadership of U.S.-led coalition forces, headed by U.S. Army Lt. Gen. Karl Eikenberry, and international troops now operating under the North Atlantic Treaty Organization, Knittig said. McNeil's appointment was approved Sept. 22 after consultation with NATO Secretary General Jaap de Hoop Scheffer, Knittig said.»
La manœuvre est simple, effectivement. Elle pourrait s’apparenter au recyclage, au blanchiment de l’argent sale ; ou comment faire en sorte de faire disparaître la présence US en Afghanistan, la faire remplacer par l’OTAN — pour la raison qu’on a vue exposée hier : ménager les nerfs fragiles des électeurs américanistes ; ensuite, récupérer le tout (le contingent OTAN) sous commandement américain, tout en restant OTAN, donc en ne troublant pas le sommeil de l’électeur US moyen.
L’opération de l’OTAN en Afghanistan (sous le sigle ISAF pour International Security Assistance Force) a été engagée selon l’idée qu’il s’agissait d’une mission différente de celle que poursuivent les forces américaines depuis 2001. L’OTAN poursuivait la mission de l’Union européenne, engagée en Afghanistan pour une tâche de “reconstruction”, ce qu’on nomme en jargon internationaliste actuel du “peace making”. Dans un tel cadre, les engagements militaires, les affrontements, s’ils peuvent apparaître inévitables, ne sont que circonstanciels ; il faut s'y apprêter mais ils ne constituent évidemment pas l’essentiel de la mission.
La même “narrative” de l’intervention occidentale en Afghanistan impliquait que les forces US poursuivaient et achevaient de leur côté la tâche guerrière entreprise en novembre 2001, d’éradiquer complètement les forces adverses, aussi bien ce qu’il restait des talibans que des organisations terroristes. Il s’agissait d’une mission complètement différenciée de celle de l’UE reprise par l’OTAN. La différenciation entre forces US et forces occidentales non-US avait un sens autre que celui, polémique, qu’on constate habituellement (essentiellement, la volonté américaniste des USA de conserver leur autonomie à leurs forces ou bien la crainte de certains alliés de passer sous le contrôle des US). Elle correspondait réellement à une différence des missions.
Ce qui se passe actuellement est complètement différent, plus encore avec l’annonce qu’un général américain va reprendre le commandement de l’ISAF. Il s’agit d’une dénaturation complète de la mission de l’OTAN.
• La décision d’intégrer les forces US dans le contingent OTAN et de les faire passer sous commandement OTAN mélange en une seule mission les deux missions fondamentalement différentes qu’on a rapidement décrites ci-dessus. L’une prendra le pas sur l’autre ; on devine laquelle puisque la mission de “peace-making”, sous la contrainte des événements imprévus, est devenue une mission de guerre.
• Cette décision d’intégration US-ISAF est en soi rationnelle, mais d’une rationalité imposée par une situation dont les Occidentaux ont perdu le contrôle. Il va de soi que la mission de l’ISAF impliquait un certain degré d’apaisement de la situation sur le terrain, un degré certain d’avancement de l’éradication des forces hostiles nécessaire au lancement de l’opération de “peace-making”. Les dernières semaines ont montré qu’il n’en était rien, que la situation aujourd’hui est pire qu’elle n’a jamais été pour les Occidentaux depuis le début de leur intervention (octobre 2001) en Afghanistan.
• Dans ce contexte, il n’y avait plus aucune raison de garder séparées les forces de l’ISAF et les forces US. La coordination et l’intégration s’imposaient. D’autre part, l’intégration d’un contingent si important des forces US (le contingent US devient le premier contingent national de l’ISAF dès lors qu’il y est intégré) conduisait naturellement à l’exigence US d’avoir le commandement de l’ISAF une fois terminé le temps de commandement de l’actuel commandant de l’ISAF, le général britannique Richards. Ce sera chose faite avec le général US McNeill.
• Le résultat est que nous n’aurons, à partir de février 2007, plus rien de la mission initiale de l’ISAF (mission UE devenue mission OTAN). Nous aurons de facto une de ces missions ad hoc, dites également coalition of the willings (selon le terme affectionné par Rumsfeld), organisées sous le contrôle et selon les objectifs des Américains, imposant aux autres leur contrôle et leurs objectifs.
• Les pays non-US de l’OTAN auront donc perdu le sens initial de la mission qu’ils avaient accepté de remplir. Ils sont désormais engagés dans une simple opération de guerre qui va très rapidement devenir complètement américaniste. Le schéma afghan est devenu entièrement conforme au schéma irakien. Plus rien ne l’en différencie. Est-ce ce qu’ils avaient prévu et accepté au départ ? Absolument pas. C’est là un grave motif de préoccupation pour l’avenir, notamment quant aux craintes des opinions publiques européennes par rapport aux engagements des pays qui participent à l’ISAF.
• Pour ce qui concerne les Etats-Unis, nous confirmons l’interprétation que nous en donnions hier. Avec cette évolution de la semaine qui vient de se dérouler, ils ont réussi à “otaniser” une mission US en Afghanistan qui était de plus en plus identifiée à la catastrophe militaire en cours en Afghanistan. La perspective d’ajouter la catastrophe militaire afghane à la catastrophe militaire irakienne était insupportable pour l’administration GW Bush et l’establishment US également aux abois sur ces questions. En “otanisant” le tout, y compris la mission US, l’image d’une guerre américaniste catastrophique de plus tend à disparaître de la rhétorique électoraliste simpliste qui gouverne la vie politique aux USA. La reprise en main de l’ISAF par le général de l’U.S. Army McNeill achève la substitution dans les meilleurs termes possibles pour les intérêts US. La remarque vaniteuse du Daily Telegraph d’hier («The move will place US troops in eastern Afghanistan under the command of a British officer, Lt Gen David Richards — the largest number to be under foreign command since the Second World War») apparaît donc pour ce qu’elle est : pure vanité, soulignant une sottise de plus dans une politique britannique aveugle et corrompue, avec les Britanniques en Afghanistan dans les mêmes conditions qu’ils connaissent en Irak (un fort contingent qui devient un instrument à disposition des Américains, les “supplétifs” à la disposition des US et rien d’autre). Le mot “cocu” a une fois de plus toute sa place.
Toute cette cuisine interne n’est encore rien. Nous allons avoir les événements sur le terrain, sous la direction calamiteuse des USA, accumulant erreurs et brutalités qui ne semblent que les seules caractéristiques possibles de leur “art militaire”. La situation va empirer. Cette fois, les Américains ont leur bouc-émissaire tout trouvé : ce n’est pas eux, c’est l’OTAN (l’ISAF), même s’ils la manipulent de fond en comble ; les coupables sont donc les autres puisque par définition ce ne peut être les USA ; les autres, les pays OTAN non-US engagés, qui vont être accusés, manipulés, etc., pour des intérêts US en général intérieurs, électoraux et correspondant aux différents pouvoirs qui se déchirent à Washington.
Cette fois, oui, l’OTAN est en première ligne. Elle court le risque considérable de dissensions entre alliés, sous la pression à la fois des événements et des pressions US, pouvant conduire à une gravissime mise en cause de l’unité de l’OTAN. Cette fois, sans aucun doute, l’OTAN est devant le risque suprême.