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3398• « Paroles, paroles, paroles » chantait Dalida (avec Lavrov dans le chœur) : ici, c’est le cas également, mais parfois et même souvent avec des balbutiements, des lectures défectueuses et des accents ambigus. • Quelques retombées, analyses, hypothèses, d’un très-improbable sommet. • Difficile d’en dire beaucoup mais illustration de notre temps. • Conclusion : « Ce n’est qu’en parlant […] que nous pouvons avancer », selon la chancelière et non-moins philosophe Angela Merkel. • C’est une façon de voir, et souvent de reculer plutôt que d’avancer.
Ce qu’il y a de plus remarquable dans le sommet Poutine-Biden de Genève, par rapport à ce que l’on dit d’habitude de tels sommets, c’est l’espèce d’extrême incertitude du commentaire sur le fond des échanges, leur orientation, le bilan, etc. Un commentateur aussi aguerri que Pepe Escobar l’exprime indirectement d’une façon claire, en voulant donner la raison de cette incertitude (dans son texte sur lequel on revient plus loin, dans sa traduction par le Sakerfrancophone) :
« Donc pas de détails – du moins pas encore… […]
» Il n’y a pas eu de fuites importantes en provenance de Genève, du moins pas encore. Nous ne savons pas si Lavrov et Blinken ont effectivement beaucoup parlé alors qu’ils n’étaient que tous les quatre, avec les traducteurs, dans la salle de la bibliothèque… »
D’abord, nous jugerions une fois de plus qu’on devrait accorder une place plus et très importante aux capacités et au caractère des personnages, – leur psychologie, et donc leur capacité notamment dans le domaine de la communication, – et singulièrement bien sûr pour ce qui concerne le président Joe Biden. Du coup, nous aurions tendance à donner tout leur crédit aux remarques de Nabojda Malic, dès le 16 juin dans RT.com, nous disant combien Biden est un cas très particulier selon ce qu’il dit, selon ce qu’il faut entendre dans ce qu’il dit, selon les “rectifications” qui sont faites et qui seront faites de ses propos par les gens de son équipe et du reste à la Maison-Blanche et à Washington D.C. (Il y a déjà eu une remarque à ce propos concernant une “correction” de la directrice de la communication à la Maison-Blanche, Kate Bedringfield, pour bien définir le sentiment qui habite Biden , à 8 000 kilomètres de là, lorsqu’il hoche la tête…)
Quant à Malic, voici ce qu’il observe, exactement dans le même sens qui fait douter du réel intérêt de la moindre parole de Biden (donc des entretiens du sommet...) :
« Si l’on en croit la conférence de presse qu’il a donnée en solo à l’issue du sommet de Genève, la conception que le président Joe Biden se fait de la Russie et du monde semble reposer sur le même type de narrative faussaires que sa conception des États-Unis.
» L'analyse des propos de Biden est une tâche ingrate, car quoi qu'il dise, les responsables de la Maison Blanche et les médias [de la presseSystème] s’empressent de “clarifier” son propos s’il semble s’écarter à peine de la narrative. Avec cette mise en garde à l'esprit, certaines de ses remarques lors de sa conférence de presse solo de mercredi à Genève, après la rencontre avec Poutine, sont complètement révélatrices.
» “Comme d’habitude, les amis, ils m’ont donné une liste des personnes [des journalistes] avec lesquelles je peux parler”, a expliqué Biden au début de la conférence, “ils” désignant le personnel de la Maison Blanche. »
Ainsi le texte de Pepe Escobar est-il naturellement semé d’incertitudes et d’hypothèses contradictoires, sans jamais trancher, sans jamais assurer la moindre position, la moindre certitude. Ainsi est-on conduit, si l’on tente de construire des observations cohérentes et rationnelles dans des matières objectives telles que la géopolitique et la stratégie, dans le labyrinthe des politiques inexistantes, présentées par des dirigeants diaphanes, insaisissables, épuisés par l’âge et par les séquelles de cet âge.
« À Genève, les États-Unis et la Russie ont publié une déclaration commune dans laquelle “nous réaffirmons le principe selon lequel une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée”.
» Les Dr. Folamour se renfrogneront, mais au moins cela a été mis par écrit et on peut pousser un soupir de soulagement devant ce que l’on pourrait qualifier de percée. Mais cela ne signifie pas que l’“incapable de tenir un accord” complexe militaro-industriel américain s’y pliera. [...]
» Tout aussi important était le véritable objectif de cette rencontre à Genève: le protocole de Minsk. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Maison Blanche a demandé au Kremlin d’organiser le sommet, et non l’inverse.
» Il semble que les États-Unis aient changé de position à l’égard de l’Ukraine, ce qui implique le retour du protocole de Minsk. […]
» Mais tout cela pourrait être, une fois de plus, un jeu de dupes. »
Conclusion de Pepe, aussi fantomatique que ce sommet finalement et donc son juste reflet ; ce sommet où tout le monde attendait ”quelque chose” d’important, une “vérité” si l’on veut, – un ensemble précis de décisions ou bien une absence glaciale de décisions, une posture de volonté d’arrangement ou d’hostilité délibérées – ce sommet fut le sommet où tant de choses importantes et de peu d’importance à la fois, et leurs contraires bien entendu, ont été dites sans qu’on sache vraiment de quoi l’on parle, et si l’on parle finalement… La “nef des fous” est peut être bien la nef des fous montant un spectacle où ils mettent en scène les “gens normaux” comme s’ils étaient fous, et tout cela n’est finalement pas si fou… (Nous entendons PhG retenir son souffle et sa plume.)
« En bref, écrit Pepe, appliquer le principe “Diviser pour régner” de Kissinger pour mettre des bâtons dans les roues de la Russie et de la Chine, c’est une erreur quand on a affaire à des acteurs ultra-compétents comme Poutine et Lavrov.
» Lors de son point de presse, Poutine a déclaré : “Je ne me fais pas d’illusions, et il ne peut y avoir d’illusions”. Plus tard, le porte-parole du Kremlin, Dimitri Pechkov, a été interrogé sur le fait de savoir si Genève permettrait de retirer les États-Unis de la liste des nations inamicales envers la Russie : “Non… il n’y a pas encore de raisons de le faire”.
» Pourtant, il y a des lueurs d’espoir. Des choses géopolitiques plus étranges se sont déjà produites. Si les bellicistes sont mis sur la touche, 2021 pourrait même devenir l’année de la stabilité stratégique. »
Un autre commentaire vient du site WSWS.org qui, d’une façon révélatrice, n’a pas apporté de précisions intéressantes sur le sommet mais s’est contenté de développer des thèses classiques sans les substantiver par des faits et des déclarations précises. L’un des arguments classiques a été la thèse archi-éculée selon laquelle l’apparente bonne volonté de Biden (du côté US ? On enquête) vis-à-vis de Moscou fait partie d’une stratégie visant à séparer Moscou de Pékin, les USA devant alors estimer selon cette thèse qu’ils ne peuvent affronter ces deux puissances.
Là-dessus, il y a un développement sur l’Ukraine, mettant en lumière que l’administration Biden aurait modéré sa position sur l’Ukraine pour satisfaire Moscou, suivi de diverses indications de certaines initiatives de communication (notamment la porte-parole de la Maison-Blanche) pour démentir cette analyse. De toutes les façons, WSWS.org ne parle à cet égard que de dispositions tactiques de l’administration Biden, l’affrontement entre les puissances concernées (USA contre Russie, comme USA contre Chine) ayant sa propre dynamique, quoique disent et semblent vouloir les uns et les autres :
« Indépendamment de ce que chacun “cherche”, la guerre a une logique qui lui est propre. Mis à part les rebondissements tactiques, il est clair que la volonté de la classe dirigeante américaine de défendre son hégémonie mondiale déclinante menace le monde d'une conflagration militaire massive. »
Finalement, le passage le plus (involontairement) intéressant de l’article de WSWS.org est celui-ci, qui semble paraître accessoire pour les auteurs de l’article, mais qui nous paraît au contraire recéler beaucoup de promesses importantes…
« Le contingent de la presse US accompagnant le président Biden à Genève a donné l’impression très nette d’être notablement déçu de voir que les évocations d’un affrontement sanglant avec la Russie ont été moins nombreux que ce qu’on en pouvait attendre. Nombreux sont les médias et les dirigeants américains qui avaient prévu que le remplacement de Trump par Biden serait le signe d'une politique plus dure à l'égard de Moscou.
» Un changement tactique dans les relations de Washington avec la Russie provoquera des conflits internes et externes. »
… Ce dernier point est largement souligné par une intervention d’Hillary Clinton sur MSNBC. L’ancienne secrétaire d’État et candidate démocrate de 2016, toujours très influente chez les démocrates, relance une accusation furieuse d’interférence des Russes dans son élection de 2016, jusqu’à juger les résultats de cette élection faussés, exactement comme Trump en juge pour 2020 (mais pour dénoncer des coupables de la fraude différents, certes).
L’intervention de Clinton et l’accueil qui lui a été fait sur MSNBC, lors d’une émission-phare de l’activisme démocrate antirusse (“Morning Joe”, de Joe Scarborough), constituent, qu’on le veuille ou non, une mise en cause indirecte de l’apparente tactique de “conciliation” des Russes suivie par Biden. Curieusement et finalement fort joyeusement-bouffe pour le cas, Clinton, et avec elle une partie des démocrates, se retrouvent implicitement au côté de Trump pour dénoncer Genève (le sommet de Genève « est un très grand jour pour la Russie », selon The-Donald).
On notera dans cette intervention ces quelques mots d’Hillary : “le président Biden doit savoir”, car ils sonnent comme une sorte d’avertissement au moment où l’on s’embrasse à Genève.
« Maintenant, qu’ils [les partisans de Trump] en soient conscients ou non, ils font [le travail de Poutine] pour semer la méfiance, pour semer la division, pour donner de l’aide et du confort à ceux qui, dans notre pays, pour quelque raison que ce soit, ne sont pas seulement perturbateurs mais très dangereux.
» Je pense donc que le président Biden doit savoir qu’il va devoir travailler sur les deux fronts. Nous avons des problèmes ici, chez nous.. Franchement, nous laissons les attitudes interférer avec le patriotisme. Et nous devons imposer des limites à l’action de Poutine et vérifier qu’il s’y conforme. [...]
» Nous n’avons pas seulement perdu quatre ans, nous avons enhardi Poutine. Nous lui avons donné le feu vert... »
Au reste, l’on sait que la thèse favorite pour justifier la rencontre proposée avec insistance par Biden, viendrait essentiellement des militaires, qui craignent d’avoir un front uni Russie-Chine comme ils craignent les armes stratégiques hypersoniques des Russes. Que faire alors de la nouvelle, diffusée par le Wall Street Journal et relayée par ZeroHedge.com, selon laquelle le Pentagone a décidé de retirer un nombre appréciable de systèmes anti-aériens (type-Patriot, pas trop dangereux) et d’avions de combat qui avaient été déployés notamment pour protéger l’Arabie Saoudite contre l’Iran ? Que faire du commentaire selon lequel l’Iran passe en troisième position dans le peloton des bêtes noires du Pentagone, loin derrière la Chine et la Russie, alors que le matériel ainsi retiré devrait être redéployé, notamment contre la Russie que l’on câline à Genève ?
Que faire sinon se lamenter sur ce souci de désordre et d’incohérence dans la conduite dans toutes les directions (“tous-azimuts”, disait le Général) de la non-stratégie des USA, exposée par un triste vieillard cherchant précipitamment les notes rédigées par ses diverses équipes d’officiers-traitants pour découvrir ce qu’il va devoir dire ?
« Un “réalignement” majeur des priorités de la défense américaine entraîne un nouveau retrait de troupes, d'avions et de missiles anti-aériens du Moyen-Orient, notamment un renforcement antérieur des batteries de missiles sous Trump en Arabie saoudite, indique le Wall Street journal dans un nouveau rapport. [...]
» Pour le Pentagone de Biden, la Chine et la Russie sont devenues la priorité absolue, l'Iran passant loin derrière. Cela est expliqué en détail dans le rapport comme suit : “L’administration Biden est en train de réduire fortement le nombre de systèmes antimissiles américains au Moyen-Orient dans le cadre d'un réalignement majeur de son empreinte militaire dans cette région, alors qu'elle concentre les services armés sur les défis de la Chine et de la Russie, ont déclaré des responsables de l'administration.” »
Pour achever cette revue des réactions des uns et des autres, on citera après tout une goûteuse déclaration de vendredidu ministre des affaires étrangères Lavrov qui nous semble parfaitement résumer l’esprit des choses, et le comportement business as usual des “officiels” américanistes... Une fois de plus, on pourra disserter sur leur bon esprit de concorde, d’arrangement et de respect des paroles dites sinon consignées et signées ; et l’on se posera la sempiternelle question : “Comment les Russes peuvent-ils continuer à au moins faire semblant d’y croire ?”
« La Russie ne permettra pas une approche “à sens unique” dans ses relations avec les États-Unis, a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov lors d’une conférence de presse vendredi, commentant l’évaluation par Washington de la rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président américain Joe Biden à Genève.
» “J'ai lu les évaluations des responsables américains, y compris les participants aux discussions, sur les résultats des discussions de Genève. Ils essaient de se positionner de telle sorte que tout se passe comme s’ils disaient : ‘Nous devons renvoyer le personnel de l’ambassade [renvoyé par les Russes], pour reprendre le travail de l'ambassade, nous devons obtenir de la Russie quelle réponde aux accusations liées à l'activité des hackers qui attaquent l’infrastructure américaine, et nous devons obtenir de la Russie qu’elle libère les Américains qui purgent des peines de prison.’ Ce n’est pas l’approche dont les présidents ont parlé. Je veux que ceux qui commentent les résultats du sommet de cette manière entendent ceci: ce ne sera pas une voie à sens unique”, a déclaré le ministre.
» Lavrov a souligné que M. Poutine avait soutenu l'offre de M. Biden de résoudre les problèmes existants sur une base mutuellement acceptable. “Si la logique des Américains est telle: ‘Nous avons renvoyé les ambassadeurs, et maintenant vous devez faire tout ce que nous voulons, et ensuite nous verrons, – à propos des diplomates, des cyberattaques, des condamnés’, – ce n’est pas acceptable. [...] Donc, si la logique que les présidents ont exprimée à Genève prévaut parmi les bureaucrates, je pense que nous aurons des résultats”, a conclu le haut diplomate russe. »
En conclusion et pour notre compte, nous dirions de façon intuitive, complètement acquis à l’inconnaissance, – nous en restons complètement à ce que nous écrivîmes hier, qui était à la fois volontairement prudent et évasif sinon purement négatif sur le point du contenu et de la substance politique et géostratégique des entretiens, et absolument tranchant sur l’importance absolument essentiel sur le point que j’estime, moi, absolument essentiel, – le domaine de la communication :
« • C’est un sommet dont on attendait peu de chose et qui n’a pas donné grand’chose. • Ce qui nous a intéressé, essentiellement, c’est le comportement des deux acteurs, non pas l’un vis-à-vis de l’autre, mais au niveau de la communication qui, plus que jamais, règne en maîtresse de toutes les batailles. • Le meilleur poste d’observation, dans ce cas, ce sont les rencontres avec la presse autour du sommet… »
Par conséquent et en guise de Post-Scriptum, on prêtera une attention non dissimulée à l’étrange rhétorique qui s’est développée du côté européen en même temps que le bruit de communication d’un rapprochement entre la Russie et les USA étaient pris au sérieux par les Européens.
• En même temps que Poutine terminait sa conférence de presse, rapporte WSWS.org, le Haut Représentant de l’UE (politique étrangère), Josep Borrell, déclarait devant des journalistes : « Nous pensons qu’un partenariat renouvelé nous permettant de réaliser tout le potentiel d’une coopération étroite avec la Russie est une perspective lointaine. » En d’autres mots assénés plus vertement : « Nous nous attendons à une nouvelle détérioration de nos relation avec Moscou. »
• Le morne ministre français des affaires étrangères Le Drian, qui squatte le fauteuil de Vergennes et de Talleyrand, observe avec brio, le jour où les Russes quittent l’accord Open Skies parce que les Américains l’ont quitté le 21 mai 2020 : « Aujourd’hui, il n’y a plus rien [comme accord sur les armements en Europe] et donc c’est un danger que personne ne perçoit, mais il n’y a plus rien. Demain matin la Russie peut dire : “Moi je vais faire des euromissiles comme avant” et pourrait frapper inévitablement sur tout le territoire européen ». Spoutnik-Français qui reprend la déclaration titre : « Le Drian assure sans plaisanter envisager une frappe nucléaire russe sur l’Europe ». Sans surprise, on constate que le ministre français est totalement inculte (même au temps des euromissiles, les Soviétiques n’étaient pas dans la disposition, ni même dans la position de frapper) ; il est totalement inverti dans son jugement actuel (ce sont les USA qui ont saboté l’accord LRTNF en installant des batteries de missiles [en Roumanie et en Pologne] capables de tirer des missiles de croisière sol-sol (dit “Glicom”).
• Le même jour à quelques heures près (hier, après tout), Macron rencontrait Angela Merkel et déclarait hautement être complètement en accord avec cette déclaration de la chancelière qui souhaite ardemment d’excellentes relations avec la Russie à l’image (!) de Biden-Poutine, après avoir rappelé précédemment (Macron) que les sanctions que la France appuie régulièrement ne servent à rien :
« Lorsque nous voyons Joe Biden rencontrer Vladimir Poutine dans un dialogue très ouvert, je pense qu’il serait juste du côté européen d’en faire de même parce que ce n’est qu’en parlant […] que nous pouvons arriver à avancer... [...] Nous sommes exposés à des menaces hybrides mais, d’un autre côté, nous avons besoin de stabilité en Europe et nous devons par conséquent rester en contact avec la Russie, aussi difficile que cela puisse paraître...»
“Ce n’est qu’en parlant que nous pouvons avancer...” Européens, Russes, Biden-Poutine, tout le monde parle. La communication règne en maîtresse absolue ! Pour le reste... On se demande bien où ce bavardage nous mène et par conséquent vers quoi l’on avance ; « Paroles, paroles » certes, mais peut-être avance-t-on à reculons…
Mid rn ligne le 19 juin 2021 à 21H35