Après les diplomates britanniques, des diplomates US se révoltent

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Après les diplomates britanniques, des diplomates US se révoltent


5 mai 2004 — La diplomatie anglo-saxonne dans ce qu’elle avait de plus caractéristique, — sa volonté d’apparaître comme un arbitre entre Israéliens et arabes au Moyen-Orient — se trouve dans la pire crise qu’elle ait jamais connue. Une lettre ouverte commencée avec 53 anciens diplomates US, un de plus que leurs collègues britanniques il y a une semaine, adresse à l’administration GW Bush, et au président Bush à qui elle est nominalement destinée, une critique d’une extrême violence. (La description d’une “extrême violence” n’est pas une forme de style. Qu’on en juge : « In fact, you and Prime Minister Sharon consistently have excluded Palestinians from peace negotiations. In so doing, you have placed US diplomats, civilians and military doing their jobs overseas in an untenable and even dangerous position. »)

Si l’on parle de la “diplomatie anglo-saxonne” en crise, c’est bien sûr parce que cette lettre d’anciens du département d’État suit la lettre des anciens du Foreign Office, qu’elle concerne le même problème, qu’elle dénonce la même violation des mêmes principes, enfin qu’elle concerne une évolution similaire des diplomaties britannique et américaine depuis septembre 2001. La lettre des diplomates US salue d’ailleurs l’initiative de leurs collègues britanniques et se place de facto dans la même logique. (On ajoutera ici cette évidence que cette initiative des diplomates US est une manifestation extrêmement rare, comme celle des Britanniques, dans un milieu marqué par le “devoir de réserve”.)


« Around 50 retired US diplomats have written to US President George Bush to complain about America's policy towards the Middle East. The letter is similar to one written by 52 former British diplomats to UK Prime Minister Tony Blair last week.

» The former US envoys complained that President Bush's approach is losing the US “credibility, prestige and friends”. They criticised what they say is Washington's unabashed support for Israeli Prime Minister Ariel Sharon.

» The American diplomats said they were deeply concerned by Mr Bush's endorsement last month of Mr Sharon's plan to withdraw unilaterally from Gaza — a plan he may now have to modify after failing to gain the support of his Likud party.

» “We are going to have the worst of all possible worlds,” said Greg Thielmann, a former State Department analyst who signed the letter. “We have probably done irretrievable damage in the eyes of the Arab world,” Mr Thielmann told the BBC's Today programme. “And yet we will not accomplish what seemed to be at least one positive part of the plan, which was the giving up on illegal settlements in the Gaza Strip.” »


Il faut noter que l’initiative est toujours en cours et que, selon les explications que donne Jim Lobe, la lettre continue à circuler, et avec un grand succès. Lobe, qui parle aujourd'hui d'une soixantaine de signataires, précise : « The letter, which is still being circulated for endorsements, will be sent May 28, according to the organizers, who said they had received an “amazing” response from former colleagues who wanted to sign it. » (Pour l’instant, il n’est question que d’“anciens diplomates”. Selon le succès de cette lettre, pourrait-on envisager que des diplomates en activité la signent ? Dans le climat actuel, y a-t-il une seule hypothèse qui soit impensable ?)

Comme les anciens diplomates britanniques, les anciens diplomates américains signataires de la lettre sont des diplomates de bon rang, en général d’anciens ambassadeurs dans les pays arabes, d’anciens directeurs d’agences, etc, mais il n’y a parmi eux aucun grand nom connu du public. Leur démonstration n’en est que plus convaincante, — on veut dire, quant à la gravité de la crise (et non quant aux effets de la lettre). Aujourd’hui, les “grands formats” sont obligés d’être alignés sur la politique officielle, ou bien ils l’ont été, et même ils ont contribué à son élaboration ; c’est-à-dire qu’ils sont compromis avec cette politique et leur réserve ou leur éventuelle protestation, même produisant plus d’effet, aurait une signification limitée. Au contraire, ces protestations venant de diplomates peu ou moins connus du public, expriment beaucoup plus le sentiment du corps diplomatique en profondeur. (Néanmoins, toujours en fonction du climat actuel si imprévisible, là aussi on ne peut écarter l’hypothèse que des grands noms rejoignent cette fronde. On verra.)

On note une différence essentielle entre la protestation américaine et la protestation britannique, telle qu’elle est notamment

mise en évidence par le Guardian : « Unlike the British version, which was scathing of Mr Blair's alliance with Washington in Iraq as well as Israel and the Palestinians, the American diplomats' critique was wholly focused on Middle East policy. » Ce décalage est tout à fait compréhensible et il marque les limites du parallélisme entre les deux protestations. Les bureaucraties des deux diplomaties ont un objectif commun devant un ennemi commun (la déstructuration de la diplomatie par les deux directions politiques anglo-saxonnes). Au-delà, leurs intérêts divergent éventuellement. Mais cela n’importe pas : ces lettres doivent d'abord être considérées selon la symbolique générale de l'acte ; elles sont des actes de survie dans une situation devenue extrêmement dangereuse

Ces événements font mesurer les dégâts considérables occasionnés en trois ans au processus diplomatique qui fut toujours l’un des points forts de la politique anglo-saxonne. Ils font mesurer la constance et la persistance du processus de déstructuration que suscite la politique Bush (la guerre préventive, l’utilisation systématique de la force, etc), une telle réaction apparaissant après près de trois ans de “nouvelle politique” indiquant effectivement un phénomène de fond. Ils font présager les difficultés inouïes qui attendent la direction anglo-saxonne en général (chacun des deux pays avec ses spécificités) si GW Bush est réélu, avec une opposition exacerbée et désormais exposée au grand jour entre les directions politiques et certaines de leurs bureaucraties. Une deuxième présidence GW Bush, si probable par ailleurs en raison de l’inconsistance de Kerry, promet d’être un désordre extraordinaire.