Arestovich, ou “la mauvaise conscience” de Z

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 5538

Arestovich, ou “la mauvaise conscience” de Z

14 août 2023 (15H50) – C’est largement le personnage le plus étrange et le plus fascinant des personnages du régime Zelenski en Ukraine, qui foisonne d’arrivistes, de crapules et d’opportunistes. Je le baptise même, pour pouvoir faire un titre qui rende compte de l’étrangeté de la chose, “la mauvaise conscience” de Zelenski, – car qui aurait jamais pu imaginer que Zelenski ait une conscience, bonne ou mauvaise ?). 

Aleksei Arestovich (on dit aussi Arestovitch) fut certainement, durant une période, le plus proche de Zelenski, puis il démissionna sur un coup de tonnerre, puis, depuis, il a dit épisodiquement des sortes de vérités, – des vérité-de-situation qui devraient l’envoyer dans les geôles du SBU et le faire interdire sur les plateaux de LCI. Précision : il est toujours en Ukraine zélenkiste et donne régulièrement des interviews sans être inquiété, – et c’est la dernière en date qui sera l’aboutissement de cette page... 

Il est vraiment “le plus étrange et le plus fascinant” d’après ce dont je dispose sur lui, et laissant de côté les thèses et hypothèses tordues ou complotistes qui ont dû se développer à son propos. Je m’en tiens, moi, à ce qui a été publié dans des conditions dont on ne peut nier qu’elles sont peu ordinaires mais néanmoins avérées comme étant bien ce qu’elles prétendent être.

Il faut voir le destin du personnage : de l’impeccabilité et l’orthodoxie zélenkiste adoubé par le Camp du Bien, à la rupture-soft et des déclarations sacrilèges-quasiment. Et encore ceci, sur ‘France-Soir’ du 2 novembre 2022, nous montrant qu’il vient de loin puisqu’il précédait Zelenski après tout, préconisant la guerre au moment où le candidat Z promettait la paix :

« On se pince pour être sûr que l'on ne rêve pasComment est-il possible pour un dirigeant ukrainien de vouloir une guerre ouverte avec un pays aussi puissant que la Russie, quitte à ce que l’Ukraine soit dévastée ? C’est pourtant ce que préconisait Arestovich, dans une interview donnée le 18 février 2019, quelques mois avant que Zelenski ne soit élu.

» L’interview complète est consultable ici. »

C’était à peu près l’époque où ‘Le Monde’, également fasciné et maniant le qualificatif d’“étrange”, présentait ainsi (le 23 septembre 2022) « l’étrange ‘psy’ qui remonte le moral des Ukrainiens ». Ce texte est effectivement “étrange” puisqu’on distingue dans les phrases du très-grand journal de référence une angoisse assez similaire à celle qui habite les auditeurs d’Arestovich, comme s’il ne croyait pas, le “très-grand journal de référence”, à l’inéluctabilité de l’écrasante victoire ukrainienne :

« Ce conseiller du président Volodymyr Zelenski est une des voix les plus écoutées en Ukraine. Celui qui fut tour à tour acteur, psychologue, idéologue et agent du renseignement prédit avec assurance à la télévision et sur sa chaîne YouTube l’effondrement du régime de Poutine.

» Il a envoûté la moitié du pays par sa voix suave, son physique avantageux et surtout sa capacité à encastrer des faits calamiteux dans un récit inaltérable où l’Ukraine gagnera quoi qu’il advienne. Suivi par des millions de personnes rongées par l’angoisse, Oleksiy Arestovich, 47 ans, commente quotidiennement une actualité militaire souvent déprimante sur les réseaux sociaux et à la télévision publique en qualité de conseiller bénévole du président Volodymyr Zelenski. Per aspera ad astra (“Par des voies ardues jusqu’aux étoiles”) est le slogan de sa chaîne YouTube, qui compte 1,6 million d’abonnés. »

• Quasi-parallèlement et sur le même ton, Arestovich n’hésitait pas à dévoiler qu’il mentait sur la situation des forces ukrainiennes (Tass, le 5 septembre 2022). Il précisait que cela lui coûtait beaucoup, en fait de poids sur la conscience. D’abord on en sourit puis, à la lumière de ce qui suivit, on s’interroge en jugeant tout cela bien “étrange” et l’on s’empare d’une balance traditionnelle pour apprécier le poids de ce “poids sur la conscience”...

• La rupture s’opère le 15 janvier 2023, lorsqu’il contredit très précisément la version officielle présentant comme une attaque volontaire russe la frappe contre un immeuble de Dnipro (44 civils tués). Au contraire, dit Arestovich, c’est une action de la défense aérienne ukrainienne qui a détruit une fusée russe alors qu’elle passait au-dessus d’une zone civile habitée. Présentation de ‘Courrier International’ :

« Oleksiy Arestovitch, conseiller du cabinet présidentiel ukrainien, était “la troisième personnalité la plus populaire en Ukraine”, rappelle sur son site la chaîne TV Espreso. “Devant lui, il n’y avait que le président Zelenski et Valeriy Zaloujniy”, le chef d’état-major de l’armée ukrainienne, précise Radio Svoboda.

» Mais le 16 janvier, il a pourtant annoncé qu’il renonçait à ses fonctions. Deux jours plus tôt, alors que le pays était sous le choc après la frappe qui a détruit un immeuble d’habitations à Dnipro et fait 44 tués et 79 blessés, il avait en effet déclaré sur la chaîne YouTube Feygin Live que le missile était tombé sur le bâtiment “parce qu’il avait été abattu par la défense antiaérienne ukrainienne”. Des propos, ajoute Espreso, “qui ont enflammé les réseaux sociaux”. »

• Le 16 janvier 2023, il donne donc sa démission. Il faut lire le long texte de ‘France-Soir’ du 11 février 2023, de Jean Neige qui fait un portrait fouillé et particulièrement intéressant d’Arestovich, où l’on suit l’“étrange” parcours du conseiller en communication de Zelenski. Par exemple et pour illustrer la susdite étrangeté, il fut même un soutien de la politique de l’eurasisme du philosophe Alexander Douguine, autour de 2005. Cela est encore peu par rapport à ce que l’on apprend d’Arestovich lui-même, dans une interview du 14 janvier (donc, avant sa démission). Mais tout cela est en ukrainien, donc difficile d’accès, donc emporté par la formidable “écume du jour” de cette époque en folie. 

« Dans une récente interview, publiée notamment le 16 janvier par la chaîne Telegram FearlesJohn/Ukraine exposed, Arestovitch paraît déjà “se lâcher” complètement. L’interview intégrale dure deux heures. Elle a été publiée le 14 janvier sur la chaîne YouTube de la journaliste ukrainienne Raminae Shakzai, qui compte 1,3 million d’abonnés

» Dans l’extrait publié et traduit, Arestovitch critique comme jamais le pouvoir qu’il a servi. Il dénonce la répression, les menaces et la stigmatisation généralisée contre les russophones d’Ukraine. Quand l’intervieweuse lui dit que “ces gens-là” peuvent aller en Russie, Arestovitch répond qu’ils peuvent aussi “amener la Russie en Ukraine”. Il ajoute que le gouvernement a une politique nationale et régionale très déraisonnable : “On dit que tous les Russes sont mauvais, et qu’il n’y a pas de bons Russes. Mais comment les gens d’origine russe ou les russophones en Ukraine entendent-ils cela ?” Il faut rappeler que la mère d’Arestovitch est russe. De fait, il parle aussi de lui, de son histoire. [...]

» Malgré tout, d’après l’un de mes contacts ukrainiens, même s’il est critique sur bien des aspects, Arestovitch semble rester fidèle à l’Ukraine. L’homme montre son habileté et sa grande intelligence : il parvient à critiquer ouvertement le pouvoir, tout en faisant “allégeance” au pays sur certains points clefs. Cela lui a permis jusqu’à aujourd’hui d’éviter d’être directement poursuivi comme un ennemi de l’Ukraine.  Mais il semble être sur le fil du rasoir. » 

Histoire d’Orque

On a bien vu que le dernier paragraphe, bien que d’un texte du mois de février, permet de comprendre comment et pourquoi l’“étrange” Arestovich continue à naviguer dans cette Ukraine de Zelenski où l’on développe des narrative sans nombre et on l’on invente le principe de la “contre-offensive” trépignant sur-place et sans avancer, faite pour durer plusieurs mois et empiler les cadavres inutiles.

Et s’il continue à “naviguer”, c’est donc qu’il continue à parler... RT.com signale une nouvelle interview d’Arestovich, qui aborde un important domaine, peut-être le plus important de cette étrange guerre, qui est le domaine de la “déshumanisation” des Russes par les Ukrainiens, – qui a réussi au-delà de toute espérance puisque cette “déshumanisation”, – cette “cancellation” selon le mot d’ordre wokeniste,– des Russes et de la Russie se sont installés en Ukraine d’une façon générale et dans l’ensemble de l’Occident-addictif.

« L’effort général ukrainien pour “déshumaniser” les Russes s’est avéré comme la principale “erreur” commise par l’Ukraine dans le conflit en cours, a déclaré dimanche Aleksey Arestovich, ancien conseiller du président Vladimir Zelenski.

» S'adressant à la journaliste Yulia Latynina, Arestovich a condamné les efforts systématiques pour “déshumaniser” les Russes, déclarant que la stratégie s'est clairement retournée contre l’Ukraine et n'a prétendument donné aux troupes russes que plus de raisons de se battre.

» “La principale chose que nous avons faite a été de chercher à déshumaniser les Russes. C'est notre principale erreur. Au début on s’en est abstenu puis on s’est précipité dans cette appréciation avec le plus grand plaisir. Les Ukrainiens collectifs, je veux dire. Nous avons permis que cela se répande sur Internet”, a déclaré Arestovich. Il a ajouté qu'un tel comportement donnait aux citoyens russes mobilisés, – et non pas aux soldats professionnels, – “une excellente motivation pour se battre”.

» L’ancien assistant du président ukrainien n'a pas précisé quand les “Ukrainiens collectifs” étaient passés de ce comportement qu'il définit comme “se comporter comme une nation européenne” à ce comportement consistant à “diaboliser” les Russes, ces citoyens ordinaires d’un État voisin, en “créant à leur propos [et pour les définir] l’image d’un Orque”. »

Si la traduction est fidèle, et elle doit l’être sur un détail d’une telle précision, assimiler les Russes aux Orques nous conduit à penser qu’Arestovich fait moins allusion à l’animal marin qu’au monde et au livre devenu film de Tolkien, ‘Le Seigneur des anneaux’. Il s’agit alors de l’emploi d’une image, essentiellement venue d’un film au succès mondial, qui est à la fois un procédé moderniste et de communication, et un procédé symbolique du type traditionnel d’une extrême gravité.

Les Orques représentent, dans la trilogie filmée, des créatures quasiment non-humaines, marchant comme des robots au rythme d’un Mal universel, venues des entrailles de l’Enfer et n’ayant pour seul but que la destruction totale. On retrouve ainsi dans la démarche d’Arestovich des tendances à la fois modernistes et narrativistes (communication, image, cinéma plus que littérature) et à la fois traditionnalistes. Et son habileté, s’il a effectivement une certaine franchise, est, dans son interprétation, de jouer de l’un (donner un motif de se battre par une communication ratée) et de l’autre aspect (ne plus se comporter en “nation européenne” avec ses traditions de voisinage respectueux).

L’observation étant passée au point de vue de la modernité nous conduit à poursuivre et à développer l’interrogation, – ce que ne fait pas précisément Arestovich, – pour savoir qui a commencé et a entraîné l’autre dans cette entreprise de déshumanisation/de cancellation des Russes. Le wokenisme a-t-il montré l’exemple ou a-t-il simplement fourni le mode d’emploi ? Est-ce Zelenski qui a d’abord lancé ce mouvement, précisément par rapport aux Russes, et peut-être sensible au courant sociétal-progressiste qui nous dévaste et qui est si complètement en vogue dans les milieux artistiques, à la fois caricaturaux/persifleurs et à tendance pornographiques, d’où est issu le même Zelenski ?

Voire... Il faut voir... On peut tenter de juger en mettant à part, dans le jugement des attitudes politiques, les questions d’intérêt et de conflits d’intérêt (corruption, privilèges, etc.) On observera alors qu’Arestovich suit dans sa vie un parcours très différent de celui de Zelenski (voir à nouveau le texte de Neige du 11 février 2023), qu’il a toujours eu, au contraire de Zelenski, une tendance et un intérêt pour les choses politiques, d’où ses nuances de comportement, ses habiletés pour éviter des réactions dangereuses du régime, mais aussi ses  affirmations d’une brutalité cyniques montrant qu’il n’est pas possédé par les narrative (il sait qu’il a menti dans son travail de propagande, et il n’a jamais hésité à le dire). De ce point de vue, on pon est conduit à faire de lui un “classique”, tandis que Zelenski est totalement moderniste, guidé simplement par l’affectivisme, à mon sens et d’après ce que j’en ressens, croyant aux narrative qui se sont développés au sein de son régime, – et en ce sens, comme les américanistes-occidentalistes eux-mêmes, complètement immergés dans la mélasse du wokenisme.

Au travers de ces deux personnalité, et à la lumière des déclarations d’Arestovich qui nous orientent vers des préoccupations très actuelles, très profondes et complètement au cœur de la GrandeCrise, on peut encore mieux mesurer combien la guerre d’Ukraine est parfaitement un conflit de cette immense crise. A nouveau dans ce cas, la remarque de Bruno Bertez (et du directeur du MI6, – à tout seigneur...) est complètement d’actualité :

« En son temps je me suis fait l’écho de la déclaration authentique du patron des services de renseignements britanniques lequel avait déclaré que la guerre en Ukraine était une guerre contre les transphobes et autres homophobes, une guerre en défense des LBGTQ etc. »

Cela me conduit à réaffirmer une fois de plus, comme l’on tape avec un marteau sur un clou récalcitrant, – que vive la philosophie au marteau de Nietzsche ! – cette formidable vérité-de-situation selon laquelle le conflit en Ukraine n’a rien de fondamental à faire avec la géopolitique, l’impérialisme, le complexe militaro-industriel selon ses dividendes, etc. ; et tout avec le conflit entre la modernité et le reste qu’on regroupe de plus en plus sous le nom générique de traditionalisme, conflit si parfaitement illustré par le courant du wokenisme et les questions ontologiques qu’il soulève à propos des rapports à entretenir/à établir avec la nature de l’être... On dira que dans ‘Ukrisis’, et malgré qu’il y ait guerre, – et quelle guerre ! – il y a beaucoup plus à voir avec la nature de l’être qu’avec la nature du faire.