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143826 juin 2002 – L'analyse récente de Frank Rich, le 22 juin dans le New York Times, nous rappelle ce que Paul Krugman disait de l'affaire Enron, au début de l'année. Rich parle d'ailleurs de la même chose : les suites de l'affaire Enron, en mesurant ce que la mise à jour de sa corruption a causé comme dommage au business américain. C'est un événement qui a peu de précédent, qu'une crise financière et économique menace, de façon durable, selon des évolutions directement mesurables dans les mécaniques financière et économique, à partir d'événements qui relèvent plutôt du judiciaire et de l'activité frauduleuse et délictueuse de divers individus. C'est de ce point de vue que ces événements prennent figure de phénomène : ces pratiques frauduleuses et délictueuses sont si nombreuses, si systématiques, qu'on peut désormais parler de phénomène structurel. Le business américain aurait ainsi une structure qui s'apparenterait, à sa façon et selon les normes US dans ce domaine, aux structures mafieuses qui sont reprochées avec tant de véhémence aux pays du quart-monde ou aux fameux pays "stan" de l'ex-URSS (Kazakstan, Ouzbekistan, etc).
Sur un plan plus large, plus politique, le phénomène a également peu de précédent, sinon celui que note le Wall Street Journal et que rapporte Rich, de la période de spéculation effrénée et de perte de contrôle des structures financières qui précéda immédiatement le krach de 1929 et la Grande Dépression. Rich compare cette crise de la structure financière et économique des États-Unis à un second Watergate, mettant en évidence la perte de confiance qu'elle implique, dont les effets sont d'ores et déjà mesurables en termes d'instabilité boursière, de circulation des investissements, de positions respectives des monnaies (la chute du dollar et la remontée de l'euro sont aujourd'hui suscitées par ces événements).
« Last weekend marked the media's self-congratulatory 30th anniversary of the Watergate break-in, and it would have spoiled the mood to suggest that all the energy expended on searching for ol' Deep Throat might be better spent trying to crack the Watergate under way right now.
» This time the cancer is not on the presidency but on the economy, where the malignancy is a flood of corporate transgressions whose scope and scale, in the words of The Wall Street Journal this week, "exceed anything the U.S. has witnessed since the years preceding the Great Depression." As the first Watergate undermined Americans' faith in government for generations, so the replay threatens to do the same to American business. Or already is, if you regard the Dow Jones and Nasdaq averages, now flirting with their post-Sept. 11 lows, as metabolic measures of public trust in Wall Street. »
C'est dans l'indifférence et la méconnaissance générales et dans un cadre général empli de déséquilibres divers et extrêmement dangereux (la guerre contre le terrorisme, le Moyen-Orient, la situation des droits civiques aux USA) que se mettent en place les conditions d'une crise économique et financière majeure. Désormais, le mot de "désastre" vient aux plumes des commentateurs les plus avisés. Dans un admirable commentaire général en date du 25 juin, Paul Krugman a ces mots sur la situation économique américaine :
« But back to the festering problems: on the economic side, this is starting to look like the most dangerous patch for the nation and the world since the summer of 1998. Back then, luckily, our economic policy was run by smart people who were prepared to learn from their mistakes. Can you say the same about this administration?
» As I've noted before, the Bush administration has an infallibility complex: it never, ever, admits making a mistake. And that kind of arrogance tends, eventually, to bring disaster. You can read all about it in Aristotle. »
Effectivement, il nous manque un Aristote. Au-delà des crises diverses qu'on détaille de façon presque monotone, – le mot de "crise" ne cesse de s'user à force d'emploi, – c'est une gigantesque crise de confiance de l'espèce humaine dans son organisation sociale qui apparaît aujourd'hui. Le concept même de "crise de civilisation" semble dépassé, tant la situation est inédite, avec un appareil de l'information continuant à dérouler une vision idyllique du monde, avec une entreprise de dissimulation volontaire (ce que nous nommons virtualisme) dont l'importance se mesure à la puissance des structures de communication. C'est toute la psychologie humaine qui est atteinte, dépassant en cela tout ce qui a précédé dans l'histoire. Il faut au moins reconnaître aux post-modernes, qui sont les architectes de la situation, qu'ils ont réussi à apporter de l'inédit et à briser la monotonie dans la continuité des crises humaines et historiques.