Attaquer l’Iran pour sauver l’Amérique ?

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Attaquer l’Iran pour sauver l’Amérique ?

19 février 2007 — Enfin, où en est-on de l’attaque contre l’Iran? Nous sommes réduits aux supputations, aux hypothèses, aux déductions, aux analogies. Il nous semble qu’une situation psychologique nouvelle est en train de se dessiner. Il serait possible d’envisager une perspective différente de celles qui ont été jusqu’ici considérées. L’idée est celle d’une “attaque contre l’Iran pour sauver l’Amérique”. Elle complète de façon acceptable, en l’amplifiant et en lui donnant le corpus puissant d’une psychologie collective, la “thèse Thelma & Louise” qui concerne GW Bush lui-même (avec Cheney en bandoulière).

D’abord, ceci : un texte très récent nous a laissé une impression forte. Il est de Dan Plesch, analyste sérieux et avec des connexions très significatives. (Dans le New Statesman du 16 février, repris par Information Clearing House.) Il est de sources militaires britanniques et présente une éventuelle opération contre l’Iran comme un plan très élaboré et qui vient de très loin. (Il est possible que ces “sources militaires britanniques” aient intérêt à faire savoir que les Américains préparent une opération de très grande envergure contre l’Iran. Pour éventuellement préparer la position britannique à cet égard.)

«British military sources told the ‘New Statesman’, on condition of anonymity, that “the US military switched its whole focus to Iran” as soon as Saddam Hussein was kicked out of Baghdad. It continued this strategy, even though it had American infantry bogged down in fighting the insurgency in Iraq.

»The US Army, Navy, Air Force and Marines have all prepared battle plans and spent four years building bases and training for “Operation Iranian Freedom”. Admiral Fallon, the new head of US Central Command, has inherited computerised plans under the name TIRANNT (Theatre Iran Near Term).»

Suit une liste impressionnante des forces disponibles pour cette attaque. C’est une liste si impressionnante qu’on comprend finalement qu’elle rassemble l’essentiel des forces conventionnelles stratégiques US (par exemple, six porte-avions d’attaque, soit quatre prêts à être déployés sur zone en un mois en plus des deux d’ores et déjà en place).

Plesch donne les détails du potentiel d’une attaque conventionnelle absolument dévastatrice :

«The only public discussion of this plan has been by the American analysts Bill Arkin and Hans Kristensen, who have focused on the possible use of atomic weapons. These concerns are justified, but ignore how forces can be used in conventional war.

»Any US general planning to attack Iran can now assume that at least 10,000 targets can be hit in a single raid, with warplanes flying from the US or Diego Garcia. In the past year, unlimited funding for military technology has taken “smart bombs” to a new level.

»New “bunker-busting” conventional bombs weigh only 250lb. According to Boeing, the GBU-39 small-diameter bomb “quadruples” the firepower of US warplanes, compared to those in use even as recently as 2003. A single stealth or B-52 bomber can now attack between 150 and 300 individual points to within a metre of accuracy using the global positioning system.

»With little military effort, the US air force can hit the last-known position of Iranian military units, political leaders and supposed sites of weapons of mass destruction. One can be sure that, if war comes, George Bush will not want to stand accused of using too little force and allowing Iran to fight back.

»“Global Strike” means that, without any obvious signal, what was done to Serbia and Lebanon can be done overnight to the whole of Iran. We, and probably the Iranians, would not know about it until after the bombs fell. Forces that hide will suffer the fate of Saddam's armies, once their positions are known.»

Il y a deux impressions à sortir de ce texte de Plesch:

• D’abord une impression technique de puissance dévastatrice, d’une machine en marche d’une façon inéluctable. C’est le Pentagone à son sommet de puissance: lorsqu’il se met en position pour frapper “selon le plan prévu”. (L’on sait d’autre part que ces déploiements “de guerre” peuvent difficilement être rompus et ramenés en croisière normale sans une victoire, soit opérationnelle, soit diplomatique.)

• Ensuite une impression plus subtile, mais également puissante une fois qu’on l’éprouve, de “tout ou rien”. Elle s’installe lorsqu’il apparaît évident que c’est toute la puissance stratégique US (hormis le nucléaire) que Plesch décrit dans son article. On a alors l’impression que tout se passe comme si, inconsciemment certes, l’Amérique et sa puissance jouaient leur va-tout.

C’est ce dernier point que nous allons développer, en gardant à l’esprit la “thèse Thelma & Louise” que nous avons déjà signalée. C’est un facteur important de l’espèce de “désespoir américaniste” que nous voudrions décrire ici, comme une évolution psychologique importante qui soutiendrait l’idée d’une attaque contre l’Iran.

Heureusement, ils sont mauvais comme des cochons

Il est vrai que, de partout, et notamment jusqu’aux références les plus conformistes, — celles qui devraient être, et qui furent les plus sûrs soutiens de l’américanisme, — viennent des bruits désolants de la fin de l’empire, de la chute des espérances hégémoniques des USA. Imaginez le désarroi des psychologies du domaine.

Pour compléter ce tableau psychologique, rappelez-vous cette remarque pleine de bon sens de Paul Starobin, rapportée par Steven C. Clemons, que nous citions à notre tour :

«For America, the chief consequence of no longer being the hegemon could be as much psychological as material. “In reality, the only truly exceptional feature of the U.S.A. is her belief in her exceptionalism,” the historian Bernard Porter writes in his new book Empire and Superempire. That belief, or myth, would be dealt a death blow by the end of hegemony. And because America's superempire “exceeds any previous empires the world has ever seen,” as Porter notes, the fall could be all the harder.»

Notre hypothèse est donc que la crise iranienne commence à se transformer subrepticement en une sorte de “test final”, la dernière tentative de l’exceptionnelle superpuissance pour conserver ce statut, pour réaffirmer dans un dernier spasme de puissance (ou “orgasme de puissance”, si vous voulez une image un peu plus leste) qu’elle est tout de même ce qu’elle est en train de ne plus être. Ce n’est pas une “montée aux extrêmes”, car les Iraniens se gardent de trop renchérir face à la puissance US incontrôlée et au comportement incontrôlable de la direction civile ; mais c’est certainement une “montée à l’extrême” des USA, non pas tant contre l’Iran en soi que contre l’Iran considéré comme test final de leur puissance. La forme de pensée neocon, qui est complètement une forme de pensée déstructurante, révolutionnaire et trotskiste, poussée à son extrême à la fois apocalyptique et nihiliste, baigne absolument cette évolution (ce qui montre bien combien le néo-conservatisme ne peut être réduit aux manigances affairistes des portefaix de l’équipe Kristoll-Perle, qu’il est complètement au cœur de l’américanisme). Il s’agit d’une sorte d’abandon de toute rationalisation du comportement devant la résistance du monde et de la nature des choses, au profit du comportement déchaîné jouant son va-tout, adepte du “tout ou rien”, etc.

Le rassemblement des forces, les plans apocalyptiques de destruction de l’Iran, ressemblent à cette pression interne du joueur de casino qui, désespéré par les pertes essuyées jusqu’ici, décide de “se refaire” absolument et définitivement en un banco miraculeux, en misant tout son pactole restant sur un seul chiffre de la roulette (nous suggérons “29”, car la crise de "29" est bien la racine moderniste du drame). Pour l’instant, on pourrait dire que c’est une évolution psychologique propre à la seule administration et à ses dirigeants aux abois et pathétiquement isolés (Louise-Bush et Thelma-Cheney). Mais cette attitude est si complètement américaniste et les échos de la décadence accélérée de l’américanisme se font si insistants que l’idée pourrait finalement élargir son domaine d’application, — en désespoir de cause, si l’on veut, pour ceux qui, hors de l’administration et même parmi les ennemis de l’administration, l’accepteraient finalement. Cela serait alors : “détruire l’Iran pour sauver l’Amérique”.

Bien entendu, il n’y a rien de bien sérieux à faire dans le sens habituel où nous agissons avec l’Amérique (fascination, servilité, platitudes, capitulations des amis et des alliés, et des adversaires, etc.). La crise a dépassé le point de non-retour, dépassé le domaine où les abandons dont les Européens font grande consommation ont encore quelques effets (nécessairement temporaires comme nous le constatons par l’absurde, puisque tout cela est fait depuis longtemps pour cajoler l’Amérique, cette puissance qui nous fascine, et l’apaiser alors qu’elle fait le contraire). La bête est déchaînée. Il est bien possible que nous approchions de la phase terminale de la décadence ultra-rapide de l’empire-bidon, et que, comme le note Starobin, «the fall could be all the harder» (“plus dure sera la chute”, sort of…).

D’autre part, il faut accepter des restrictions pour voir que la partie reste indécise. Le processus que nous décrivons selon notre hypothèse est purement psychologique. Pour être transcrit en une politique (?) et être conduit tambour battant, il faudrait accepter les données que nous avons énoncées pour ce qu’elles sont, notamment la décadence accélérée de l’empire-bidon. C’est impensable pour des intelligences essentiellement nourries à la vanité pathologique, l’hubris, synthèse politicienne du body-building et du Viagra. Il faut recourir aux subterfuges et sortilèges du virtualisme. Le cas est beaucoup moins net avec l’Iran qu’avec l’Irak, sans doute parce que le temps presse, qu’on improvise et qu’on est mauvais comme des cochons :

• la même tactique, les mêmes montages, les mêmes mensonges sont utilisés par l’équipe GW pour fabriquer un casus belli contre l’Iran ;

• mais la maestria n’est plus ce qu’elle était (Rappelez-vous le sarcastique Paul Dreyfuss commentant la conférence de presse du 14 février de GW :

«Unlike 2002, when the White House fired salvo after salvo of fake intelligence about Iraq, today it can’t even stage its lies properly. Like the incompetents who couldn’t organize a two-car funeral, the remaining Iran war hawks in the administration held a briefing in Baghdad on Sunday to present alleged evidence that Iran is masterminding the insurgency in Iraq. But it was a comedy of errors that convinced no one….»)

Brièvement conclu, il nous reste encore un peu de suspens et de l’espace pour des accidents qui peuvent complètement faire dérailler cette machine folle. Dans tous les cas et d’une façon ou l’autre, l’empire sera à ramasser à la petite cuiller.