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1er décembre 2005 — GW ne finira jamais de nous étonner. Son discours d’hier, devant une assemblée sélectionnée, respectueuse des consignes, applaudisseuse (les cadets de l’École Navale d’Annapolis), est du genre à nous laisser sans voix. Mais il faut se reprendre tandis que le président s’éloigne, sémillant, content de lui, parce que “the job is done”, en attendant la prochaine poussée offensive vers la victoire (son prochain discours).
Les réactions sont diverses, dans le même mode de l’incrédulité d’abord stupéfaite. Consultons l’un ou l’autre de nos habitués:
• The Independent, goguenard : « Victory, Mr. President? »
• The Guardian, accablé: « What is certainly true is that the “complete victory” of which he spoke is a dangerous fantasy. »
• Seymour Hersch, dans son excellent article dont nous avons dit quelques mots hier a parfaitement raison lorsqu’il écrit ceci, — qui, on s’en est aperçu hier, signifie que GW, au contraire de s’incliner devant la réalité et de faire son miel de l’expérience, s’en détache et ignore complètement cette étrange manigance terrestre et humaine qu’on nomme “expérience”:
« …the President had become more detached, leaving more issues to Karl Rove and Vice-President Cheney. “They keep him in the gray world of religious idealism, where he wants to be anyway,” the former defense official said. Bush’s public appearances, for example, are generally scheduled in front of friendly audiences, most often at military bases. Four decades ago, President Lyndon Johnson, who was also confronted with an increasingly unpopular war, was limited to similar public forums. “Johnson knew he was a prisoner in the White House,” the former official said, “but Bush has no idea.” »
Résultat des courses: avant-hier, nous annoncions, — et le monde, et le porte-parole de la Maison-Blanche avec nous, — le calendrier du retrait. Aujourd’hui, il n’en est plus question, — sinon dans les ors et les trompettes de la gloire. On s’en ira lorsque l’ennemi sera à terre, sans connaissance sinon pour demander grâce. Simplement, d’ici là, on s’en remettra un peu plus aux nouvelles et glorieuses forces armées irakiennes, qui fonctionnent à merveille selon GW ; on procédera à une “irakisation” de la guerre, comme on procéda, in illo tempore, à une “vietnamisation” de la guerre (avec les résultats qu’on sait?).
Tout se déroulant dans le virtualisme le plus opaque, ce qui compte est la forme de la présentation des choses. Comme d’habitude, GW n’a rien dit de nouveau, mais il l’a dit d’une façon particulière, — sur l’air de la victoire inéluctable, — qui transforme la forme précédente (l’annonce d’un retrait des forces US) en une sorte d’attitude de trahison. Le résultat immédiat du discours est d’accentuer les clivages divers. La prise de position du leader des démocrates à la Chambre, la député Nancy Pelosi, est un de ces effets. Pelosi adopte la même position que le député John Murtha, dont elle est proche:
« Pelosi, at a press conference with reporters, said Murtha — her closest confidant on defense matters — has “changed the debate” in the country on the war, has won her support and will win the backing of the “majority of House Democrats.” Murtha, a former Marine who initially supported the war, announced two weeks ago that he no longer supported the conflict in Iraq and called for a rapid withdrawal of American troops from the region. » Cette prise de position accompagne une ferme condamnation de l’intervention du président Bush, de la même Pelosi: « What we heard today was a commitment to the status quo — a status quo that is not working. The ‘Plan for Victory’ backdrop against which the President appeared at the Naval Academy today was no more accurate than the ‘Mission Accomplished’ backdrop he used over two and a half years ago on the USS Abraham Lincoln. The President did not have a plan for victory when he went into his war of choice in Iraq, and he did not have a plan for victory today. »
Les événements de ces derniers jours conduisaient au constat qu’on était arrivés, depuis l’intervention du député Murtha, à un “tipping point” affectant la politique officielle elle-même. L’intervention de GW Bush hier tend à contredire cette analyse, même si l’on peut juger qu’il s’agit d’une interprétation différente de faits similaires. Mais c’est bien là (l’“interprétation différente de faits similaires”) le caractère même du virtualisme, lequel a puissamment contribué au déclenchement de la guerre. Dans ce cas, il y a bien contradiction entre les affirmations, samedi, du porte-parole de la Maison-Blanche, et le discours de GW Bush hier.
Dans ce cas, il faut admettre que l’attitude de GW Bush constitue un verrou qui empêche ce “tipping point” de s’exprimer pleinement, et même de s’exprimer efficacement, ne serait-ce qu’au niveau (pourtant essentiel) de la communication. Le caractère profondément religieux de GW Bush, dont on sait qu’il ne faiblit pas, constitue en quelque sorte une garantie de la fermeté de sa position, de son refus de céder au compromis. Il y a là une ferme attitude de volonté délibérée. Pour compléter le jugement cité par Hersch (voir plus haut: « “Johnson knew he was a prisoner in the White House,” the former official said, “but Bush has no idea.” »), nous dirions que non seulement Bush ignore qu'il est “prisonnier” de la maison-Blanche, mais qui plus est il ne veut pas le savoir.
La situation devient alors sans précédent. C’est au sommet de l’État (du gouvernement, dans le cas US) qu’est installé le principal facteur déstabilisant de la politique US ; une sorte de dynamisme déstructurant toujours en activité qui empêche une stratégie cohérente “de sortie”, — même si cette stratégie n’est pas enthousiasmante, — de se mettre en place. GW Bush semble là pour contrecarrer toute esquisse de mise en place d’une politique qui permettrait de tenter d’être quitte de l’enlisement en Irak.