Au cœur de leur psychologie et autour du mystère GW

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Au cœur de leur psychologie et autour du mystère GW


20 avril 2004 — Décidément, le livre de Bob Woodward, que nous découvrons article par article (le Washington Post en publie des extraits importants en 5 articles, avant la publication du livre), est d’un grand intérêt psychologique. Encore, nous pensons que ce n’est pas du tout le but de Woodward, que Woodward a introduit toutes ces nuances psychologiques et comportementales pour renforcer son propos, rendre son livre vivant et donc plus aisément vendable, et ainsi de suite.

(Certains se chargent de déterminer le but de Woodward, notamment Mike Whitney, dans CounterPunch. Il s’agit du but purement politique de Woodward, sans autre perspective, et cela est assez convaincant : « This is a struggle between American elites battling over the political direction of the country. Woodward knows how to play the game as well as anyone. His interview on 60 Minutes was just the first salvo in what looks to be a brutal campaign. He has reconciled the idea of sticking the dagger in Bush knowing full well that Kerry is in the wings ready to carry out the same policies with just a tad bit more discretion. His assault on Bush is not so much a challenge to the existing framework of American power, as it is an effort at ‘fine-tuning’ its operation by supporting more competent leadership. »)

Il n’empêche. Même sans qu’il n’en veuille rien, — et nous dirions : d’autant plus qu’il n’en veut rien, Woodward nous donne des précisions d’un intérêt prodigieux. On en a vu un aspect il y a deux jours sur ce site. Nous poursuivons cette exploitation du livre de Woodward avec une référence faite à l’article du Post d’hier, le troisième de la série. Comme on va le voir, c’est toujours l’aspect psychologique qui nous importe, parce que nous le tenons, chaque jour davantage, pour essentiel dans l’explication que nous recherchons du phénomène essentiel de notre temps, — la crise américaine.

Voici un extrait de cet article, extrait du livre également. C’est un dîner chez Dick Cheney, quelques jours après l’enthousiasmante victoire des 9-10 avril 2003. Ils sont quelques-uns, les vrais amis, invités chez Cheney : avec le vice-président et sa femme, il y a Paul Wolfowitz, le n°2 du Pentagone, I. Lewis Scooter Libby, chef de cabinet de Cheney, et Kenneth Adelman, ancien de l’administration Reagan, un néo-conservateur influent…


« “Hold it! Hold it!” Adelman interjected. “Let's talk about this Gulf war. It's so wonderful to celebrate.” He said he was just an outside adviser, someone who turned up the pressure in the public forum. “It's so easy for me to write an article saying, ‘Do this.’ It's much tougher for Paul to advocate it. Paul and Scooter, you give advice inside and the president listens. Dick, your advice is the most important, the Cadillac. It's much more serious for you to advocate it. But in the end, all of what we said was still only advice. The president is the one who had to decide. I have been blown away by how determined he is.” The war has been awesome, Adelman said. “So I just want to make a toast, without getting too cheesy. To the president of the United States.”

» They all raised their glasses. Hear! Hear!

» Adelman said he had worried to death that there would be no war as time went on and support seemed to wane.

» After Sept. 11, 2001, Cheney said, the president understood what had to be done. He had to do Afghanistan first, sequence the attacks, but after Afghanistan — “soon thereafter” — the president knew he had to do Iraq. Cheney said he was confident after Sept. 11 that it would come out okay.

» Adelman said it was still a gutsy move. When John F. Kennedy was elected by the narrowest of margins, Adelman said, he told everyone in his administration that the big agenda items such as civil rights would have to wait for a second term. Certainly it was the opposite for Bush.

» Yes, Cheney said. And it began the first minutes of the presidency, when Bush said they were going to go full steam ahead. There is such a tendency, Cheney said, to hold back when there is a close election, to do what the New York Times and other pundits suggest and predict. “This guy was just totally different,” Cheney said. “He just decided here's what I want to do, and I'm going to do it. He's very directed. He's very focused.” »


Voyons bien la scène : ces gens sont très proches, détendus, des gens du même courant, très proches idéologiquement, etc. Ils se parlent en toute franchise, ne dissimulent rien. Ce que l’on voit dans cet extrait, c’est l’extraordinaire considération qu’ils ont pour GW Bush, leur Président, presque “leur héros” — et cela, quelle surprise… Nous avons, en Europe et un peu partout, la perception d’un homme médiocre, de peu d’envergure, de cette sorte dont faisait partie Reagan, des “paresseux intellectuels”  ; un homme qui est le jouet de son entourage, manipulé, faible, sans autorité...

Il y a là un constat extrêmement important qui doit renforcer notre appréciation d’être dans un monde complètement différent. Les hypothèses de la manipulation et du machiavélisme en tant qu’actes conscients, si courantes lorsqu’on analyse le comportement de ces milieux, doivent être impérativement écartées. Dans cette scène du dîner chez Cheney, il y a un courant de franchise, voire de candeur. Ce que nous dit cet extrait, c’est que GW Bush est vraiment pris comme un grand président, un homme de grand caractère.

(A noter que Karl Rove, le manipulateur en chef de GW, n’est pas loin d’avoir paradoxalement la même considération pour GW. Il l’appelle The Man, ce qui est un surnom notablement flatteur. En fait, s’il y a manipulation un peu partout, et notamment manipulation de GW, c’est de façon assez inconsciente, dans tous les cas sans lien de cause à effet entre l’acte de manipuler et la considération qu’on a pour le manipulé. Au contraire, GW-manipulé en sort grandi. Au fond, n’ont-ils pas une extraordinaire considération pour l’homme qu’ils manipulent, parce qu’en étant manipulé GW devient conforme à l’idée qu’ils se sont faits du Président qui leur est nécessaire ?)

Bien entendu, c’est au niveau des références (qu’est-ce qu’un grand président ? un homme de grand caractère ?) que se situent les différences, et aussi au niveau du conformisme psychologique établi par ce que nous nommons le virtualisme, et qui semble toucher l’intimité même des hommes qui en sont les manipulateurs et, en même temps, les premières victimes. Enfin, le facteur religieux est fondamental. C’est lui qui donne à GW son apparente fermeté, voire, pour certains, un aspect messianique. (Le dîner chez Cheney ne pourrait-il pas être également une réunion de quelques apôtres célébrant la victoire de GW-Jésus ?)

Bref, la bonne foi est de toutes parts et de tous côtés, — chez nous également, qui avons peu de considération pour les qualités de GW. Mais la vérité est quelque part, et il n’y en a pas deux. Cette omniprésence de la bonne foi pour des perceptions si complètement différentes, c’est, de loin, l’aspect le plus effrayant de cette époque. Il y a plusieurs mondes, sans liens entre eux. L’étude du virtualisme a encore de beaux jours devant elle.


Des GW comme s’il en pleuvait.


On peut noter que certains, même chez les adversaires US de GW, peuvent conduire une analyse, notamment à partir du bouquin de Woodward, qui, effectivement, fait de GW Bush un président d’une toute autre dimension que celle à laquelle nous sommes habitués. Les interprétations abondent. On peut voir notamment celle de Justin Raimundo (GW, “Neocon Napoleon”), celle de Christopher Deliso, celle de David Corn, et il y en a beaucoup d’autres.

Cela nous conduit à ce constat singulièrement étonnant : GW Bush reste, finalement, le président le plus mystérieux de l’histoire des Etats-Unis. A la fin de son premier mandat, personne ne le connaît vraiment puisque toutes les interprétations sont possibles. (Au fait : lui-même, sait-il qui il est ? Bref, quelle époque plurielle.)