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742C’est désormais le peuple palestinien qui commence à protester contre ses dirigeants. A première vue, leur mot d’ordre est semblable à celui des Belges : “Halte aux divisions!”. Mais le mouvement pourrait être bien plus profond et déboucher sur une situation totalement nouvelle et nécessairement défavorable aux partis en place – Fatah et
Hamas – et bien sûr à Israël. Dans un article contribuant à l’organisation de ce mouvement, un journaliste et conseiller politique palestinien a même évoqué une issue pacifique et unilatérale qui mettrait Israël dans une situation particulièrement inconfortable.
Hier, mardi 15 mars, a eu lieu la première manifestation populaire répondant à l’appel de plusieurs groupes de Palestiniens dont l’un des principaux s’appelle « Gaza Youth Break Out ». Ce premier rassemblement a connu un certain succès comme le rapporte l’AFP : « Des dizaines de milliers de Palestiniens ont manifesté mardi pour la “fin des divisions” entre l'Autorité palestinienne et le Hamas, forçant les chefs des deux camps à exprimer leur soutien à la mobilisation. Les rassemblements, organisés via Facebook et Twitter, qui ont réuni des dizaines de milliers de personnes à Gaza, contrôlé par le Hamas et des milliers en Cisjordanie administrée par l'Autorité palestinienne, se sont dispersés en fin d'après-midi. » (Lien.)
En réalité le mouvement renvoie dos à dos les deux grands partis qui contrôlent chacun une partie des territoires palestiniens en leur reprochant de ne rien faire pour débloquer la situation qui est bloquée depuis 2006. L’appel à manifester publié par le journal The Electronic Intifada est à ce titre très éloquent :
« Nous, un groupe de jeunes Palestiniens, nous sommes réunis dans le seul but de laisser derrière nous nos identités et nos affiliations politiques, et de décider de placer notre intérêt avant tout, unis sous le drapeau palestinien. Nous avons appelé à des manifestations pacifiques, ce mardi 15 mars, à travers la nation palestinienne – dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, les territoires de 1948 et la diaspora palestinienne, avec un seul slogan : “Le peuple veut mettre fin à la division!” Nous appelons à des actions pacifiques en faveur de l’unité sur la scène politique palestinienne, et sous une même bannière, celle de l’Organisation de Libération de la Palestine [OLP].
» La division dans le corps politique palestinien a touché tous les aspects de notre vie : social, économique, éducatif et intellectuel. Ce sont les Palestiniens ordinaires qui ont payé le prix de la division qui dure depuis quatre ans et ne sert rien d’autre que l’occupant israélien. […]
» Les manifestations pacifiques du 15 mars seront le début d’une série d’initiatives, et le premier jour d’une série illimitée de sit-in. L’idée principale est que nous restions sur place jusqu’à ce que la politique de leadership se soumette aux exigences du peuple et prenne des mesures sérieuses pour les respecter. Ce qui se passera ensuite est totalement entre les mains du peuple. […]
» Nous, Palestiniens, avec toutes nos différences, ne seront plus ignorés. Nous revendiquons nos droits en tant que citoyens et êtres humains qui doivent être respectés, protégés et reconnus comme la seule source d’un pouvoir légitime. Notre gouvernement doit comprendre que nous, le peuple, représentons une force avec laquelle il faut compter. Nous ne nous laisserons pas tromper par des discours – nous en avons assez. Nous croyons que les actions sont plus éloquentes que les mots, et nous, l’opinion publique palestinienne, contribuons à cette initiative pour donner au leadership encore une chance de gagner notre confiance.
» Après le 15 mars, la relation à sens unique entre les gouvernants et le peuple sera abolie. […] »
Les deux partis sont dépassés mais tentent de suivre, comme le rapporte l’AFP : « Le président palestinien Mahmoud Abbas a approuvé “la revendication des manifestants en Cisjordanie et dans la bande de Gaza qui appellent à la fin de la division, en tenant des élections présidentielle, législatives et au Conseil national dès que possible”. Peu après, le chef du gouvernement Hamas à Gaza, Ismaïl Haniyeh, a appelé M. Abbas et le Fatah à une “réunion immédiate (...) pour entamer un dialogue national global direct en vue de parvenir à la réconciliation”. Mais la direction palestinienne a rejeté mardi soir cet appel, réaffirmant que la réconciliation passait par la tenue rapide d'élections. ».
Mais Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, anticipait et rejetait dans un article du 27 février intitulé « Vers un “moment Moubarak” en Palestine » les propos des dirigeants du Fatah et du Hamas :
« La lente décadence des institutions de la direction collective palestinienne de ces dernières années est arrivée à un état de crise avec les révolutions arabes, les révélations des Documents de Palestine (lien), et l’absence de tout processus de paix crédible. L’Autorité palestinienne (AP), basée à Ramallah, sous le contrôle de Mahmoud Abbas et de son parti le Fatah, a tenté de réagir à cette crise en appelant à des élections pour le Conseil législatif palestinien (CLP) et la présidence de l’AP.
» Abbas espère que ces élections rendent une légitimité à sa direction. Le Hamas a rejeté de telles élections du fait de l’absence d’accord de réconciliation mettant fin à la division, une division qui résulte du refus du Fatah (avec Israël et les parrains occidentaux de l’AP, surtout des États-Unis) d’accepter le résultat des élections précédentes de 2006, où le Hamas avait remporté une victoire décisive.
» Mais, même si de telles élections se tenaient en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, elles ne résoudraient en rien la crise d’une direction collective face au peuple palestinien tout entier, quelque dix millions de Palestiniens répartis entre ceux qui vivent dans la bande de Gaza et en Cisjordanie occupées, à l’intérieur d’Israël, et dans la diaspora dans le monde entier. »
Le regard que porte Ali Abunimah sur la situation politique en Palestine est très instructif. Il exclut les aspects ethniques et religieux de son analyse pour se concentrer sur les institutions et leurs faiblesses.
« Il existe de nombreuses raisons pour s’opposer à de nouvelles élections de l’AP, même si le Hamas et le Fatah étaient prêts à régler leur différend. L’expérience depuis 2006 démontre qu’une démocratie, une gouvernance et une politique courante sont impossibles sous l’occupation militaire brutale d’Israël.
» Le corps politique palestinien a été coupé non pas en deux grands courants politiques proposant des visions concurrentes, comme dans d’autres démocraties électorales, mais en un courant qui s’est aligné sur l’occupation et ses partisans à l’étranger, qui est soutenu par eux et qui dépend d’eux, et un autre courant qui reste engagé, au moins théoriquement, dans la résistance. De telles antinomies ne peuvent se résoudre par des élections.
» L’AP de Ramallah sous Abbas fonctionne aujourd’hui comme un bras de l’occupation israélienne, alors que le Hamas, avec ses cadres emprisonnés, torturés et réprimés en Cisjordanie par Israël et par les forces d’Abbas, est assiégé à Gaza où il tente de gouverner. De son côté, le Hamas n’a proposé aucune vision politique cohérente pour sortir les Palestiniens de leur impasse, et sa gouvernance à Gaza commence de plus en plus à ressembler à celle de ses homologues du Fatah en Cisjordanie.
» L’AP a été créée par une entente entre l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) et Israël dans le cadre des Accords d’Oslo. Le 13 septembre 1993, la “Déclaration de principes”, signée par les parties, stipule que : “Les négociations israélo-palestiniennes menées dans le cadre de l’actuel processus de paix au Moyen-Orient ont pour but notamment d’établir une Autorité intérimaire autonome palestinienne, le Conseil élu (le “Conseil”), pour les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, pour une période transitoire ne pouvant excéder cinq années, en vue d’un règlement permanent fondé sur les Résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité (ONU)” (article 1er).
» En vertu de cet accord, les élections de l’AP devaient “constituer” une étape préparatoire intérimaire importante vers la réalisation des droits légitimes du peuple palestinien et de ses justes revendications. »
Ainsi, l’AP était prévue seulement pour être temporaire, transitoire, et son mandat limité à une simple fraction de la population palestinienne, celle de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Les Accords d’Oslo limitaient explicitement les pouvoirs de l’AP aux fonctions qu’Israël lui déléguait dans le cadre de l’accord. Par conséquent, des élections pour le CLP ne résoudront pas la question de la représentation du peuple palestinien dans son entier. La plus grande partie ne voterait pas. Et comme lors des élections précédentes, Israël interviendrait, surtout à Jérusalem-Est, pour tenter d’empêcher les Palestiniens sous occupation d’aller voter. Considérant toutes ces conditions, un nouveau CLP élu ne servirait qu’à renforcer les divisions entre les Palestiniens tout en créant l’illusion que l’autonomie palestinienne existe – et peut se développer - sous l’occupation israélienne.
Une décennie et demie après sa création, il s’avère que l’Autorité palestinienne n’a pas été une étape vers “les droits légitimes du peuple palestinien”, mais plutôt un obstacle majeur sur la voie qui y conduit. L’AP n’offre aucune autonomie ou protection véritables aux Palestiniens sous occupation, lesquels continuent d’être brisés, assassinés, mutilés et assiégés par Israël en toute impunité, pendant qu’Israël confisque et colonise leur terre. L’AP n’a jamais été, et ne peut pas être, un substitut à une réelle direction collective pour l’ensemble du peuple palestinien, et les élections de l’AP ne le sont pas davantage pour une autodétermination.
Ali Abunimah ne se tient cependant pas à ce constat et propose une issue simple, unilatérale et totalement pacifique qui ne plairait guère à Israël et à ses alliés occidentaux : « Avec la faillite complète du processus de paix » – l’ultime assaut lui fut porté par les Documents de Palestine –, il est temps pour l’AP d’avoir son moment Moubarak. Quand le tyran égyptien a finalement quitté ses fonctions, le 11 février, il a remis le pouvoir aux mains des forces armées.
» L’AP doit se dissoudre elle-même, de la même façon, en annonçant que les responsabilités qui lui ont été déléguées par Israël sont rendues à la puissance occupante qui devra remplir alors l’intégralité de ses obligations résultant de la Quatrième Convention de Genève de 1949. Il ne s’agirait pas d’une capitulation. Au contraire, ce serait une reconnaissance de la réalité et un acte de résistance de la part de Palestiniens qui refuseraient, collectivement, d’aider l’occupant à les occuper. En ôtant la feuille de vigne de l’“autonomie” qui masque et préserve la tyrannie coloniale et militaire d’Israël, la fin de l’AP exposerait l’apartheid israélien à la face du monde.
» Le même message va aussi à l’Union européenne et aux États-Unis qui financent directement l’occupation et la colonisation israéliennes via cette ruse de “l’aide” aux Palestiniens et de la formation des forces de sécurité qui agissent par procuration pour Israël. Si l’Union européenne souhaite continuer à financer l’occupation israélienne, elle doit avoir l’honnêteté de le faire ouvertement, et de ne pas utiliser les Palestiniens ou un processus de paix comme façade.
» Dissoudre l’AP pourrait entraîner certaines difficultés et incertitudes pour les dizaines de milliers de Palestiniens, et ceux qui en dépendent, qui comptent sur les salaires versés par l’Union européenne via l’AP. Mais le peuple palestinien dans son entier – les millions qui ont été brisés ou marginalisés par Oslo - pourrait en tirer bien plus d’avantages.
» En rendant les pouvoirs reçus par l’AP à l’occupant, les Palestiniens n’auraient plus à se concentrer sur la reconstitution de leur corps politique collectif et pourraient mettre en œuvre des stratégies afin de se libérer eux-mêmes du joug colonial israélien. »
“Bilbo”
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