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14 avril 2007 — Le rapport du GAO dont nous avions précédemment (16 mars) fait mention signalait que son analyse était basée sur des chiffres qui ne prenaient pas en compte les événements de l’année 2006 rapportés par le Pentagone. Ces événements sont désormais connus, avec la publication, le 9 avril, du SAR (Selected Acquisition Report) qui fait un bilan des principaux programmes de six mois en six mois. Le SAR au 31 décembre 2006 nous donne donc des nouvelles du JSF.
Il s’agit bien du programme-phare, le premier d’entre tous. Dans un paysage fourni à cet égard, c’est lui qui enregistre la plus forte inflation des coûts. Avec une augmentation de $23,3 milliards en six mois (juillet-décembre 2006) du coût total du programme, le programme JSF enregistre 8,5% d’augmentation, — soit un rythme de 17% d’inflation annuelle. Le programme passe de $276,45 milliards à $299,85 milliards, pour un état projeté de commandes US de 2.458 exemplaires. Le coût unitaire passe de $112,5 millions à $121,97.
Les explications données par le SAR, sur le site du DoD (Office of the Assistant Secretary of Defense, Public Affairs), en date du 9 avril, sont les suivantes :
«F-35 (Joint Strike Fighter) – Program costs increased by $23,365.2 million (+8.5 percent) from $276,458.9 million to $299,824.1 million, due primarily to a decrease in the annual procurement quantities and a stretchout of the production buy schedule from fiscal year 2027 to fiscal year 2034 (+$11,207.8 million), revised estimate for airframe materials due to commodity market increases (+$5,472.8 million), increase due to revised assumptions based on contractor LRIP I proposals and methodology (+$8,307.1 million), and support increase due to aircraft configuration update, revised procurement profile, and methodology changes (+$6,423.2 million). These increases were partially offset by revised assumptions for prime and subcontractor labor rates (-$3,576.3 million) and revised assumptions for subcontractor costs (-$5,201.4 million).»
Cette appréciation du Pentagone sur son propre programme ne prend en compte que le début de la spirale du ralentissement de la production dû autant au freinage imposé par le Congrès qu’au freinage dû aux capacités réduites d’investissements des forces (l’USAF et la Navy) sur les 10-20 prochaines années. Il faut aussi noter que cette question de la production n’est pas la seule cause de l’inflation puisqu’elle en représente moins de 50% ($11,207 milliards), montrant par là que le phénomène inflatoire a des sources diverses et peut d’autant moins être maîtrisé, et peut d’autant plus échapper à tout contrôle. Autant dire que le passage du programme de la barre de $300 milliards est un hors d’œuvre, puisque l’inflation répond toujours automatiquement à ces difficultés. (La théorie du rythme actuel conduirait en quatre ans à un programme théorique de $500 milliards et un coût unitaire théorique de $250 millions ! Absurde ? Le Pentagone sait créer de l’absurde.)
Désormais, la course est engagée entre l’inflation galopante, le rythme de la production (produire plus vite pour endiguer les effets de l’inflation sur le coût unitaire, mais avec des risques techniques grandissants) et les commandes qui tendent également à renforcer les efforts de production. Les pressions sur les alliés vont devenir gigantesques, comme il est naturel. Les huit pays coopérants sont là pour tenir le rôle de soupape de sécurité et de levier d’influence dans la bataille entre le Pentagone et le Congrès, et éventuellement comme bailleurs de fond de circonstance. Il y a donc plusieurs fronts, souvent contradictoires, avec des intérêts et des perceptions différents, jamais vraiment coordonnés. Il est difficile d’envisager d’autre effet général que le désordre.
Une fois de plus se confirme la marque fondamentale de fonctionnement du système américaniste. L’essentiel se joue à l’intérieur de lui-même, entre lui-même et lui-même, dans des luttes bureaucratiques et des affrontements d’intérêts et de centres de pouvoir concurrents. Ce qui était encore acceptable, ou compréhensible il y a 15 ou 20 ans, devient proche de l’insupportable dans la pratique de la chose, parce que ces tensions internes sont rendues dramatiques par la gabegie et l’inefficacité chaque jour plus surprenante de la gestion. Les autres (les coopérants intérieurs) ne sont que des acolytes, des satellites extérieurs d’une énorme planète en fusion et dont la seule tragédie est d’elle-même par rapport à elle-même, dont le monde se réduit à Washington D.C. Le programme de coopération internationale JSF est l’artefact industriel et technologique le plus fermé (aux seuls USA) qu’on puisse imaginer. C’est un programme d’“anti-coopération” presque parfait.
Tout comme le GAO, et encore moins que le GAO, les alliés ne sont absolument pas informés de l’évolution structurelle, budgétaire et autre, du programme. Ils l’apprennent, comme vous et moi, par les habituels et publics “News Release”. Même les Britanniques, qui se targuent comme d’habitude de leurs relations spéciales et de leurs contacts privilégiés, n’ont plus ni l’un ni l’autre d’une façon utile, et notamment dans ce programme. Leur silence actuel sur le programme JSF mesure essentiellement leur échec à occuper cette position privilégiée, et leur traitement qui équivaut à celui des autres. Lorsqu’un secrétaire d’Etat italien confie avec satisfaction à des amis parlementaires italiens que «l’Italie reçoit autant que les Britanniques, notamment en transfert de technologies», cette satisfaction sonne étrange bien qu’elle soit une vérité plus qu’une rodomontade. La comparaison avec les Britanniques n’a plus de valeur promotionnelle. Les Britanniques ne reçoivent rien de “spécial”, y compris dans le domaine de la “souveraineté opérationnelle” passant par certains transferts de technologies, — quoi qu’ils en disent.
Dans ce contexte, l’argument selon lequel le prix unitaire du JSF va décroître à mesure que la production se développera est particulièrement bancal, notamment parce que la production réduite va alimenter l’inflation au lieu de la réduire. Cette théorie de la réduction du prix à mesure de l’avancement de la production nous a d’ailleurs toujours laissés rêveurs, en référence aux habitudes et à l’optimisme des projections du Pentagone. Le F-16, lorsqu’il était YF-16 en 1973-74, était projeté dans l’hypothèse d’un avion de combat léger de grande production à $3-$4 millions l’unité. Le premier F-16A pesait 23.000-26.000 livres. Actuellement, les F-16C/D font entre 46.000 et 50.000 livres selon les versions. Après plus de 4.000 avions vendus, les F-16 vendus à la Pologne ont été facturés à $42 millions l’unité.
[NDLR — Cet annonce sur le nouveau SAR nous est arrivée par l’intermédiaire d’un article du site defense-aerospace.com du 11 avril. L’article nous avait était signalé par un lecteur en rubrique ‘Forum’. Nous avons “tué” ce message par inadvertance ; que ce lecteur inconnu plus qu’anonyme ne nous en tienne pas rigueur. Notre erreur, si elle est impardonnable, est explicable. Nous sommes victimes d’une épouvantable invasion de “Spam” et passons un temps important à les liquider. Il arrive parfois qu’un message de lecteur soit la victime par inadvertance de cette dératisation. Si certains d’entre vous jugent que leur message n’a pas été pris en compte, ils peuvent le renvoyer.]