Autodafé méprisant du billet vert

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Autodafé méprisant du billet vert

1er mai 2023 (15H00) – Me baladant subrepticement sur des sites que plusieurs de mes médecins m’ont déconseillé de suivre pour le bon équilibre de mon cœur, – et pour éviter de choper le Covid-24, – je tombai innocemment sur deux textes successifs. Ils m’ont fait réfléchir sur les vanités de ce monde et l’injuste courroux dont la Grande République est l’objet, en plus d’un constat de la puissance du système de la communication et des effets d’entraînement, sinon de mode, qui s’ensuivent.

Je m’explique, en quelques paragraphes... Mais d’abord, des citations, car il n’est rien de plus agréable pour la lecture que ces retraits en italiques qui vous font respirer une autre plume au long de textes fastidieux que tel ou auteur, – un Grasset ou un PhG, vous voyez, – se croit autorisé à publier pour ce qu’il croit être l’édification de ceux qui s’aventurent à le lire. Ainsi ai-je découvert ces accusations étonnantes de « piège économique » et de « terrorisme financier », – quelle diffamatoire fureur est-ce là !

D’abord, ces gens de ‘Spoutnik-Afrique’, qui viennent piétiner ces superbes platebandes africaines formées avec grâce et harmonie par des rangées de billets verts, – les ‘Greenbacks’, disent les connaisseurs du slang, les ‘folk singers’ de la Grande Dépression et autres victimes...

« Le billet vert domine comme monnaie de référence dans le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais dans le contexte actuel le dollar américain continue de s'affaiblir, développe auprès de Sputnik le panafricaniste Paul Ella, analyste financier et géostratège, président de l’association African Revival. Il se fait l’écho du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, qui a récemment déclaré qu’il est impossible d’empêcher la transition vers les paiements en monnaies nationales entre les États, ce qui réduirait la part du dollar dans l’économie mondiale.

» Le dollar représente environ 60% de toutes les réserves en devises au monde, contre 20% seulement pour l'euro. Par conséquent, les États-Unis peuvent “faire du chantage à la planète entière”, analyse l’expert. “L'Europe est tout simplement le vassal des États-Unis, elle est toujours en train de faire du suivisme de la politique américaine”, considère-t-il.

» Pourtant, la situation ne va pas perdurer, selon lui:

» “Cela ne peut juste pas continuer parce que différents pays dans le monde se rendent bien compte qu'il s'agit d'un piège économique, d'un étau duquel il faut absolument se sortir”. 

» Ces pays “se rendent compte que ce n'est plus possible de rester enfermé dans la logique unique de la pensée économique américaine”. »

La deuxième anecdote remarquable, – encore des Russes ! A RT.com, ceux-là, – nous conte les aventures d’un banquier indien qui se dit qu’il y aurait bien une place à prendre, pensant à sa roupie natale et hindouiste...  

« Le dollar américain a trop de pouvoir en tant que monnaie de réserve et le monde a désespérément besoin d'une alternative, a déclaré vendredi l'investisseur milliardaire et PDG de la Kotak Mahindra Bank, Uday Kotak.

» S’exprimant lors de la remise des Economic Times Awards for Corporate Excellence 2023, le banquier a décrit le dollar comme “le plus grand terroriste financier du monde”. La plupart des actifs mondiaux étant détenus en dollars sur des comptes dits ‘nostro’ auprès de banques américaines, ils dépendent entièrement des décisions prises par les banquiers et les autorités américaines, a-t-il expliqué.

» Quelqu'un aux États-Unis peut dire : “Vous ne pouvez pas retirer [cet argent] de votre compte : Vous ne pouvez pas retirer [cet argent] à partir de demain matin, – et vous êtes coincé. C'est le pouvoir de la monnaie de réserve”, a ajouté Kotak. »

Ensuite, et je vous passe les détails, le milliardaire investisseur explique comment la roupie indienne pourrait avantageusement replacer le dollar US dans le rôle de monnaie de réserve. Cela se plaide avec une belle habileté, et l’on se dit : “Bah, du moment qu’il liquide la dollar, le reste on s’en fout”, – quelque chose comme ça, vous voyez, de “Delenda est dollaro” à “Delenda est Systema”.

Tout de même, samedi le milliardaire Kotak a fait un petit pas en arrière, du type “je viens de recevoir un coup de fil de ma banque de New York où j’ai en transit un dépôt d’un peu moins d’un $millard” : ce n’est qu’un début et il continue le combat...

« Dans un tweet publié samedi, Kotak a tenté de clarifier ses commentaires sur le dollar américain...

» “Lors d'une récente discussion sur le dollar américain, j'ai utilisé par inadvertance les termes de ‘terroriste financier’, ce que je tiens à corriger. Ce que je voulais dire, c'est qu'une monnaie de réserve a un pouvoir disproportionné, qu'il s'agisse d'un compte nostro, d'une augmentation de taux de 500 points de base ou de pays émergents qui détiennent des dollars pour obtenir des liquidités”, a-t-il écrit. »

Vous comprenez que ces deux occurrences, – avec leurs expressions spectaculaires tout à fait remarquables (« piège économique », « terrorisme financier »), leurs sources originelles si différentes (un expert panafricain, un milliardaire indien), – ont attiré mon attention mais ne l’ont pas éveillée. Cela fait des jours et des jours, des semaines et des mois que l’on suit cette litanie accompagnant le calvaire du dollar, mais surtout accélérant ce calvaire, le renforçant, lui donnant une dimension planétaire et historique.

En vérité, j’ignore où en est le dollar exactement, en bon mé-connaisseur de la finance, et surtout où il en serait s’il n’y avait ce “bruit de fond”, cette musique funèbre, ce requiem globalisé et obsédant. Je crois que le calvaire du dollar est d’abord une affaire de communication, comme le sont ces terribles expressions de « piège économique » et de « terrorisme financier », qui marquent les esprits, qui rapetissent le ‘Greenback’ en lui donnant des allures d’escroc, de magouilleur, de vide-gousset, – d’usurier et de grigou grippe-sou, le plus vieux métier of the Rest of the World.

Certes, je crois volontiers au sort funeste du dollar. Je crois avec force que le destin de l’Amérique est entré dans sa pente fatale, et que le dollar est son Ange Exterminateur, qui l’entraîne irrésistiblement. Mais je crois aussi, – et c’est là l’enseignement essentiel, – que la rumeur de mort qui accompagne cet épisode infernal est d’une force de communication sans exemple.

Hier, l’on tremblait d’admiration et de soumission devant le dollar ; aujourd’hui, c’est un mélange de mépris, de dégoût et de sarcasme qui accompagne les nouvelles que la communication enfle jusqu’à en faire des clameurs de mort. Secouer les épaules et ne plus croire en Lui, le dieu du ‘Gilded Age’ (‘l’Âge du plaqué or’), c’est devenu la dernière mode, celle qui affecte même en les poussant dans un doute affreux les plus fervents partisans de cette puissance déchue. Tout dans notre époque d’exception et dans cette crise sans pareille ni précédent est marqué par cette formidable vitesse de la communication, cet accélérateur des choses qui se fait lui-même créateur d’accélérations supplémentaires. Autant le dollar était surpuissance pure et sans espoir d’être arrêtée, autant le ‘Greenback’ devient autodestruction emportant tout son monde d’illusion et d’usure vers le gouffre fatal. Le destin de la monnaie devient ‘Blockbuster’ hollywoodien, film-catastrophe élevé à la hauteur d’un de ces gigantesques tsunamis qui, il y a 64 millions d’années, naquirent de la chute de cette monnaie maudite devenue météorite catastrophique et furent l’une des causes de l’extinction des dinosaures.

D’ailleurs je ne suis pas seul à parier sur la course du dollar, à le traîner dans la boue, à lui mettre son nez dans ses oripeaux puants. Les occurrences de Stephen Jen sont désormais aussi célèbres que citées abondamment, – ces six derniers jours, depuis qu’il les a faites, – dans ce texte où il compare le ‘Greenback’ à la merde dont il est le producteur :

« Mais sous la surface, les matières fécales du dollar frappent les investisseurs  à un rythme croissant et Stephen Jen, – tristement célèbre pour avoir inventé le “sourire du dollar” lorsqu'il travaillait chez Morgan Stanley, selon lequel le dollar américain a tendance à bien se comporter lorsque l'économie est en hausse ou en baisse, – a récemment quantifié la rapidité avec laquelle la dédollarisation s'opère... [...]

» [“Les] fluctuations frénétiques des taux de change de l'année dernière.

» “En 2022, le dollar a subi un effondrement stupéfiant de sa part de marché en tant que monnaie de réserve, probablement en raison de son utilisation musclée des sanctions”, ont écrit M. Jen et sa collègue Joana Freire.

» “Les mesures exceptionnelles prises par les États-Unis et leurs alliés à l'encontre de la Russie ont surpris les grands pays détenteurs de réserves... [...]

» “Après une baisse constante de sa part de marché mondiale au cours des deux dernières décennies [de 73% à 55% en 2001-2021], le dollar a perdu sa part de marché en 2022 à un rythme dix fois plus rapide...” »

A la vitesse où file le vent de la tempête, l’immense empire du simulacre va se défaire comme se détricote une vieille chaussette usée. Le dollar servira de papier-journal pour emballer les restes. J’ai vécu dans ces temps où ces gens rêvaient à leur empire bien au-delà du millénaire et nous contait “La fin de l’Histoire”. J’en fus marqué et même impressionné ; – et je me dis : comment ai-je pu... ? L’Évènement, voyez-vous, nous domine et nous emporte jusqu’à des horizons indicibles où s’effondrent les plus vaniteuses des vanités humaines, – et il nous fait nous dire droitement à son endroit : “Respect !”, – seule interjection de la culture des banlieues pour laquelle j’ai quelque respect.

Aujourd’hui, je contemple ces ruines de papier-dollar, m’interrogeant sur le vertige qui nous avait pris. Je n’ai pas de réponse et peu me chaut. Je m’en passe si bien, guettant avec ardeur ce que le vent divin (‘Kamikaze” en japonais) va maintenant nous apporter.