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18 septembre 2009 — Singulière affaire, ce “Bye bye, BMDE
Singulière tactique médiatique, en effet – s’il y a tactique”, ce qui nous semble fort improbable – entre l’annonce de l’abandon du système BMDE par l’article du WSJ sous la forme où elle a été faite, et les précisions données en fin d’après-midi (heure européenne) par Obama puis (surtout) par Gates, sur le déploiement de navires AEGIS anti-missiles de protection de la flotte (avec missiles Standard, ou Standard Missiles [SM]); puis, éventuellement, après 2015, le possible déploiement de systèmes anti-missiles mobiles sans doute de modèle SM2 améliorés, également extrapolés des systèmes navals, là aussi en Pologne et en Tchéquie… Curieuse tactique médiatique de l’administration Obama puisqu’elle enchaîne deux nouvelles à la suite, mais dans un sens contraire à l’effet politique que doit produire l’ensemble de la démarche:
• D’abord l’annonce politique de l’abandon du système qui est l’objet de la polémique fondamentale entre les USA et la Russie, par l’intermédiaire de l’article du Wall Street journal, considéré d’une façon unanime comme une véritable annonce officieuse. Bien entendu, pour prendre tout son effet, cette annonce doit être substantivée aussitôt par la confirmation officielle, qui est annoncée pour quelques heures plus tard.
• Puis viennent effectivement les annonces officielles, qui exposent des plans compliqués. Ce qui est acquis, c’est qu’il y aura une autre formule de défense anti-missiles, des systèmes plus légers, à moins grandes capacités, qui ne concernent pas la défense contre des missiles balistiques (on n’en prévoit plus de la part de l’Iran), mais contre des missiles à courte et moyenne portée, et tout ce système essentiellement naval à bord des croiseurs AEGIS qui existent depuis les années 1980 et sont constamment modernisés. Mais ceux qui sont à destination terrestre – s’il y en a – pour plus tard (après 2015), seront mobiles et peut-être (on reste vague) basés en Pologne et en Tchéquie, ce qui ne paraît pas la meilleure localisation stratégique contre des engins de courte et moyenne portée venant d’Iran. (Il faut rappeler que la logique présentée pour l’abandon du BMDE dans des précédentes indications prévoyait de rechercher des bases en Turquie ou dans les Balkans, ce qui a certes plus de sens opérationnel. On en parle d’ailleurs toujours, et c’est à cela qu’on pourrait aboutir.) Ce maintien d’un vague projet de déployer des missiles en Pologne et en Tchéquie représente d’abord une tentative de sauver les meubles des relations des USA avec ces deux pays. Les articles (par exemple, le New York Times de ce 18 septembre 2009) sont nombreux pour détailler les réactions au mieux résignées, plus souvent amères, venant des directions des pays d’Europe de l’Est
Dans la soirée d’hier, les Russes se sont montrés prudents mais satisfaits dans leurs réactions, plus réservés que dans les toutes premières réactions. Certes, amical et arrangeant, comme Medvedev (Novosti, le 17 septembre 2009), évoquant des perspectives de négociations; beaucoup moins arrangeant, par contre, du côté de Rogozine, dont le rôle est d’écarter toute idée de “concession” faite à La Russie et demandant réciprocité (toujours le même 17 septembre 2009, au soir, sur Novosti). «L'abandon déclaré par les Etats-Unis de leur bouclier antimissile en Europe ne doit pas porter à l'euphorie, a estimé jeudi Dmitri Rogozine, délégué permanent russe auprès de l'OTAN. “On entend à présent en Occident, notamment à l'OTAN, que c'est une immense concession à la Russie... Mais ce sont avant tous ceux qui comptent obtenir de nous une contrepartie qui parlent d'une prétendue concession”, a indiqué le diplomate sur la chaîne Vesti.»
Quoi qu’il en soit de ces diverses complications, le résultat est que la décision d’Obama est évidemment perçue comme une concession majeure faite aux Russes, une décision importante pour faire paraître “plus civilisée” la politique extérieure des USA, etc. Elle déclenche évidemment un tonnerre de fureur et de rage chez les faucons et les républicains washingtoniens. Un article du Times, ce 18 septembre 2009, donne une indication du climat, avec les “usual suspects” en première ligne…
«John McCain, Mr Obama’s Republican opponent in last year’s presidential race, denounced the decision as “seriously misguided”. He said: “This decision calls into question the security and diplomatic commitments the United States has made to Poland and the Czech Republic. It has the potential to undermine perceived American leadership in Eastern Europe . . . at a time when Eastern European nations are increasingly wary of renewed Russian adventurism.”
»John Bolton, Mr Bush’s hardline UN ambassador, called the move “pre-emptive surrender to the Russians and the Iranians”. He said that if intelligence on Iran’s long-range missile capability was wrong then the decision would leave Europe vulnerable. “You cannot switch missile defence back on like a light switch,” he said.»
Mais d’une façon générale, l’accueil est favorable ou très favorable, dans les “presses officielles”. On salue une grande initiative, une décision audacieuse. Quand on a à l’esprit, comme on doit l’avoir, d’abord que le lancement et le développement du BMDE n’avaient soulevé quasiment aucune protestation, et même avaient été acclamés dans les grands courants de la “presse officielle” qui salue aujourd’hui Obama qui l’abandonne, d’autre part que ce système a été lancé sans autre raison objective – nous parlons de raisons sérieuses, n’est-ce pas – que d’alimenter les caisses du CMI et de permettre aux neocons de faire leur boulot subversif anti-russe, on est édifié sur la qualité du commentaire des presses évidemment “les plus libres du monde”. “Rubbish”, comme disent les amis anglophones qui ont, dans leur panoplie de vertus innombrables, celle de s’y connaître en cette matière de rubbish.
La question centrale est bien de savoir si la décision d’Obama est une grande décision politique et un tournant dans sa politique. Notre réponse est plus que nuancée, notamment à cause de la présentation qui a été faite de la décision, essentiellement axée sur la “menace iranienne”. Toute la logique de cette évolution jusqu’à la décision d’Obama est basée sur l’évolution de l’évaluation de la “menace” iranienne par un establishment militaire et bureaucratique qui a déjà fait ses preuves à plusieurs reprises en matière d'évaluation, notamment pour l’évaluation si satisfaisante et subtile des armes de destruction massive irakiennes. C’est sur cet arsenal de savoir, de compétence, de loyauté intellectuelle et de sagesse que le président Obama est obligé de s’appuyer pour prendre une décision dont on sait évidemment qu’elle devrait faire partie de sa “politique russe” dont il attend un redémarrage fructueux. La démarche doit susciter une certaine perplexité.
Certes, on comprend bien la logique de la chose. La fiction étant au départ qu’il existe une menace iranienne, cette fiction se poursuit dans tous les cas puisqu’il n’est pas question d’imposer un démenti à une construction du Pentagone et du CMI. L’administration Obama s’étant engagée à une réévaluation technique, reste coincée dans cette logique, et se trouve incapable de passer au niveau politique, même si elle use de tout son poids pour modifier l’évaluation technique dans le sens qu’il faut. Dans ce cas, peut-il y avoir une “grande politique”, du point de vue US et pour les USA? Ce n’est nullement assuré.
Une “grande politique russe” eut conduit Obama, renonçant aux sornettes iraniennes des bureaucraties en place, à annoncer qu’il abandonnait le BMDE dans le but d’améliorer les relations avec les Russes. Cette “concession” (de toutes les façons, la décision est une concession) fût apparue comme un acte de confiance, de générosité et de courage, et les Russes se fussent senti débiteurs sans y être forcés de quelque façon que ce soit. Ainsi fait-on les grandes politiques, en les annonçant pour ce qu’elles sont, en osant des concessions sans grand risque pour la sécurité nationale qui permettent d’établir un climat de confiance irrésistible. (De toutes les façons, que les midinettes de la dénonciation du terrorisme se rassurent ; cela n’empêche pas les croiseurs AEGIS de la Navy, qui existent depuis longtemps, de croiser dans les eaux qu’il faut; tout le monde le sait, bien sûr.)
Mais les USA, en l’absence d’une volonté de rupture qu’Obama n’a pas encore montrée, dont on se demande s’il la montrera jamais, sont évidemment incapables d’une telle politique dont les dividendes seraient pourtant colossaux – notamment une entente avec les Russes sur de nombreux problèmes, dont le problème central de la sécurité européenne. Personne n’en parle, de ce problème essentiel de la sécurité européenne, particulièrement chez les vaillants alliés européens – puisqu’ils ne parlent que de “défense” de la vertueuse civilisation occidentaliste assiégée par les méchants de tout poil, contre une “menace” extérieure, si possible iranienne puisque c’est la mode, qui change d'importance et de substance à peu près à chaque administration, à chaque secrétaire à la défense, à chaque éternuement américaniste. Le constat général est que les USA sont incapables de se dégager des notions de force, et de force militaire bien sûr, dans leur politique – qui, pour cette raison, ne mérite donc pas le nom de “politique”. Les USA manient la “quincaillerie”, comme d’autres bien sûr, mais eux ils croient à la valeur intrinsèque de cette “quincaillerie”. Leur vision du monde, des relations internationales, etc., en est complètement pervertie. Cela paraît irrémédiable, et le poids de cette “quincaillerie” ne cesse et ne cessera de faire sentir ses effets, qui sont évidemment et fondamentalement déstructurants. (Effectivement, selon la façon dont on la manie, la “quincaillerie” est vertueuse ou perverse, structurante ou déstructurante. Et cela n’a rien à voir avec la capacité d’emport ou les admirables qualités de précision, certes.)
D’autre part, nous doutons que cette absence de dimension d’une “grande politique” importe tellement à Obama. L’essentiel pour lui, et c’est la cause principale de sa “politique russe”, c’est d’éviter une confrontation avec la Russie parce qu’il n’en a plus les moyens. Le but d’Obama dans cette affaire est celui d’un désengagement partiel subreptice d’Europe. Son autre problème, archi-classique pour une puissance sur le déclin, va être de faire avaler la chose à l’habituelle base extrémiste washingtonienne.
Nous terminions notre article d’hier, basée sur une interprétation antérieure où, selon l’état des nouvelles, l’on pouvait encore penser que la décision s’appuyait sur une pensée politique constructive, voire audacieuse, par ce paragraphe :
«Il s’agit donc de la première décision importante de l’administration Obama, et certes une décision qui va dans le sens du démantèlement de la politique de GW Bush. C’est un point intéressant, sans pourtant qu’on puisse aller plus loin pour l’instant. Tout dépendra de la façon dont sera présentée cette décision, de la façon dont elle sera exploitée et suivie par les USA, de la façon dont elle interférera dans les relations USA-Europe, et dans quel sens, etc. Pour l’instant, nous voici aux aguets sur un nouveau front, peut-être le premier sérieux, des changements nécessaires pour tenter de sortir de l’ère de “la politique de l’idéologie et de l’instinct”.»
Concluons:
• Ce n’est pas “la première décision importante de l’administration Obama”, car il n’y a pas eu encore de “décision importante de l’administration Obama”. C’est une décision intéressante, qui peut amener à des prolongements également intéressants en Europe, mais où les USA n’auront pas une part prépondérante.
• C’est certes “un point intéressant”, mais sa perspective est pour l’instant difficile à identifier. Notre appréciation est surtout qu’elle confirme pour l’instant une volonté de d’allégement du poids des engagements US à cause de la crise intérieure US, et la “politique russe” de l’administration n’est pas autre chose qu’une façon de répondre à cette volonté. C’est donc une “politique” de faiblesse, qui passe par la décision d’abandon du BMDE mais qui est identifiée comme telle non pas à cause de l’abandon en lui-même, mais pour les causes de cet abandon. Les faibles mesures annoncées en contrepartie, de la façon qu’elles le sont, montrent l’autre faiblesse de l’administration Obama, face aux centres de pouvoir et de pression US.
• Nous sommes sans doute sur “un nouveau front” d’éventuels “changements” mais il n’est pas assuré que les USA y tiennent une place prépondérante. Pour l’instant, nous sommes loin, très loin, du côté US, d’être sorti de “l’ère de ‘la politique de l’idéologie et de l’instinct’”. La question se pose, de façon insistante, de savoir s"'ils en sortiront jamais.
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