Aux armes, citoyens-soldats …

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Aux armes, citoyens-soldats …


26 octobre 2006 — Ils étaient 65 au départ (au début de la semaine dernière), quand le texte de l’appel a été bouclé ; 119 quand le texte a été mis “en ligne” sans publicité (à la fin de la semaine dernière) ; 219 mercredi, quand le texte a été présenté publiquement. (346 ce matin, selon RAW Story, effectivement “près de 350” selon WSWS.orgThe number of petitioners has now reached nearly 350, with more than 125 of them on active duty.»].)

C’est une initiative inhabituelle, qui concerne les soldats en service actif, en Irak ou pas, des trois armes et du Marine Corps, et des membres de la Garde Nationale et de la Réserve ; un texte extrêmement court (pour l’instant) qui, bien entendu, affirme son opposition à la guerre, exprime les doléances des signataires.

Le texte, qui doit être envoyé par les signataires aux élus dont ils dépendent :

«As a patriotic American proud to serve the nation in uniform, I respectfully urge my political leaders in Congress to support the prompt withdrawal of all American military forces and bases from Iraq . Staying in Iraq will not work and is not worth the price. It is time for U.S. troops to come home.»

La question est de savoir si ce texte va devenir un phénomène national en collectant un nombre important de signatures de soldats. Le groupe a d’ores et déjà ouvert un site (www.appealforredress.org) qui organise la collecte des signatures. L’un des trois organisateurs initiaux — un Marine de 22 ans, Liam Madden — semble indiquer qu’il y aurait l’organisation du groupe en lobby, pour intervenir auprès du Congrès. Il s’agirait donc d’une initiative qui ne serait pas seulement d’une simple pression émotionnelle mais qui entendrait utiliser les techniques efficaces du lobbying.

(Pour l’instant, tout est à mettre au conditionnel dans la mesure où l’initiative n’en est qu’à ses limbes.)

Une dépêche de Reuters, datée d’hier, présente le mouvement de cette façon :

«More than 200 active duty U.S. armed service members, fed up with the war in Iraq, have joined an unusual protest calling for withdrawal of U.S. troops from the country, organizers said on Wednesday.

»The campaign, called the Appeal for Redress from the War in Iraq, is the first of its kind in the Iraq war and takes advantage of Defense Department rules allowing active duty troops to express personal opinions to members of Congress without fear of retaliation, organizers said.

»“As a patriotic American proud to serve the nation in uniform, I respectfully urge my political leaders in Congress to support the prompt withdrawal of all American military forces and bases from Iraq,” states the appeal posted on the campaign's Web site at www.appealforredress.org.

»“Staying in Iraq will not work and is not worth the price. It is time for U.S. troops to come home,” it adds.

»The Web site allows service members to sign the appeal that will be presented to members of Congress. Organizers said the number of signatories has climbed from 65 to 219 since the appeal was posted a few days ago and Wednesday when it was publicly launched.»

Un autre texte présentant l’initiative et relayé par le site CommonDreams.org, précise ceci :

«Organizers are planning to deliver the petitions to Congress by the Martin Luther King Jr. holiday in January.

»“The long-term goal is to end the occupation of Iraq,” Madden said. “The short-term goal is to spread the word that service members who feel like we do have a tool to have their voice heard, and it's their duty as a citizen of a democratic society to participate in democracy.”»

Une révolte légitimée ?

Il s’agit d’une initiative typiquement dans la tradition américaine, dite de “démocratie directe”. Elle fait partie de l’arsenal des pressions dites “de communication” exercées sur le pouvoir.

En même temps, et c’est comme un signe des temps, les circonstances et les orientations sont très inhabituelles, voire complètement exceptionnelles.

Les auteurs de l’initiative soulignent ce caractère sans précédent de l’initiative. «What we’re doing is untraditional, unorthodox and unprecedented», dit Jonathan Hutto, un marin et l’un des autres organisateurs du mouvement (outre Madden) avec une femme militaire qui préfère garder l’anonymat. Hotto indique qu’il a approché vingt marins de sa connaissance à propos de l’initiative et a reçu le soutien de 19 d’entre eux.

Des mouvements semblables ont eu lieu durant la guerre du Viet-nâm. Une pétition avait réuni 270.000 signatures de soldats en 1971. Mais il s’agissait alors de conscrits, c’est-à-dire des “citoyens en uniforme” qui pouvaient considérer qu’on les forçait à effectuer des actes qu’ils pouvaient récuser en tant que citoyens, pour ne pas avoir fait acte de volontariat. Dans le cas présent, tout est différent puisqu’il s’agit d’une armée professionnelle, avec contrats entre “employeur” et “employés”.

C’est un des fondements de la conception des rapports sociaux américanistes (le contrat) qui est ainsi mis en cause. Les révoltés estiment qu’il y a une considération nécessaire pour des conditions supérieures aux conditions énoncées par le contrat, et que les conditions supérieures ainsi identifiées sont violées par les autorités politiques. Ces conditions supérieures ont bien entendu un rapport avec les valeurs nationales, le patriotisme, etc.

Ces autorités politiques sont elles-mêmes prises à leur propre piège. Elles ont elles-mêmes outrancièrement politisé la mission des militaires américains, dépassant de facto les seules conditions contractuelles de départ. Le tintamarre patriotique fait autour des missions de l’armée depuis 9/11, s’il autorise bien des décisions douteuses, finit au contraire par placer les autorités elles-mêmes sous l’appréciation critique de leurs propres employés. Dans ce cadre, une révolte “démocratique” des soldats de l’Empire acquiert un poids considérable ; il s’agit sans aucun doute de bien plus qu’un simple cas classique de révolte de la Garde prétorienne. L’armée, qui avait été isolée du reste de la population par les conditions de la professionnalisation, tend à regagner ce cadre et une révolte éventuelle, type Madden-Hotto, y gagnerait une très grande légitimité.

L’objectif de l’attaque est principalement le Congrès. C’est bien choisi : le Congrès est à la fois complètement paralysé, voire englué dans un soutien patriotard à la guerre, et à la fois plongé dans une intense frustration du fait des abus de pouvoir du gouvernement. Il est ouvert à toutes les influences si le cadre général des conventions du système est à peu près respecté. Dans le climat actuel, une initiative venue de militaires du rang peut faire l’affaire, renforcée par le climat patriotique très perceptible dans le texte proposé par les “révoltés”, qui fait un devoir patriotique de s’opposer à la poursuite de la guerre.

Madden et Hutto ont indiqué qu’ils avaient reçu des signaux positifs de la part de parlementaires, intéressés par un tel mouvement. C’est le signe que ces parlementaires attendent une sollicitation extérieure pour modifier leur position officielle, — pour peu que cette sollicitation extérieure prenne de l’ampleur.

L’initiative du groupe Madden-Hutto peut effectivement prendre de l’ampleur et elle constituerait alors un formidable moyen de pression sur le pouvoir politique. Dans tous les cas, il s’agit d’un signe de plus de l’accroissement et de la diffusion très rapide du désordre washingtonien.