Avec le bonjour de Poutine

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Avec le bonjour de Poutine

21 février 2023 (18H00) – Drôle de visite, drôle d’escapade... Après avoir apprécié l’aspect intérieur de sa signification du point de vue des forces en action au sein du gouvernement US et de la position de Biden (ce pourquoi il s’agissait d’un texte de la sérieRapSit-USA2023’), on voit l’aspect dans les relations et les postures des acteurs de la crise ‘Ukrisis’ de la visite de Biden à Kiev.

Aussitôt un élément saute aux yeux, rejetant le reste dans un insipide brouillard de gestes et de paroles extraordinairement conformistes : l’annonce par Sullivan que le déplacement de Biden avait été annoncé aux Russes quelques heures avant ! (En réalité, les Russes savaient déjà, mais l’on parle d’annonces publiques, certes.)

« Les États-Unis ont informé Moscou à l'avance que le président Joe Biden prévoyait de se rendre à Kiev, a déclaré lundi le conseiller à la sécurité nationale Jack Sullivan. Le dirigeant américain avait auparavant déclaré qu'il se rendrait en Pologne, mais pas en Ukraine.

» “Nous avons informé les Russes que le président Biden se rendrait à Kiev”, a déclaré Sullivan, ajoutant que le message a été envoyé “quelques heures avant” le départ de Biden de Washington et a été fourni “à des fins de déconfliction”. M. Sullivan n'a pas indiqué comment les responsables russes ont été contactés, ni comment ils ont réagi à cette information.

» L'ancien président russe Dmitri Medvedev, qui est vice-président du Conseil de sécurité, a confirmé via son canal Telegram que Biden avait reçu des “garanties de sécurité” de Moscou pour sa visite. Dans le même message, M. Medvedev a qualifié l'aide apportée par Washington à Kiev de moyen pour “les industries militaires des pays de l'OTAN d'en tirer profit” et a qualifié le président américain de “vieil homme de l'autre côté de l'océan”. »

Autant Biden est paradoxalement fort au sein du gouvernement US, autant les USA sont faibles dans le contexte d’‘Ukrisis’ : l’homme faible par excellence (Biden) est le plus fort au sommet d’un pouvoir extraordinairement faible, dans une crise où la superpuissance est le principal acteur piteusement affaibli face à celui qui est dénoncé comme un paria écrasé et pourtant partout à l’offensive par le chœur des fous qui nous dirigent... “qui nous dirigent” ? Que signifie ce verbe impie de “diriger” ?! Leur impuissance est totale, à l’image de Biden, et de direction point du tout... Emportés par l’ouragan qu’ils ont fait se lever ! Incapables de rien d’autre que d’être emportés par le chaos qu’ils ont fait se développer !

(Et nous derrière ?... Mais je préfère, je l’avoue, le chaos à leurs piètres  tentatives totalitaires de soumettre les peuples.)

Ainsi peut-on définir d’une façon générale la situation paradoxale qui a accompagné ce déplacement de Biden. Le président des USA s’est rendu dans la capitale du pays de son “héroïque allié”, le président du Zelenskistan, – d’où ce personnage héroïque, Churchill de la Fin des Temps, dirige la guerre qui tient tête aux Russes, et même est en train d’anéantir la puissante armée russe... Et pour cela, il a fallu demander la permission aux Russes ?! “Nous venons avec Sa Grandeur le président, soyez responsables, ne tapez pas sur Kiev !”.

Il faut donc écoutez le torrent d’éructations et d’exclamations de Christoforou dans les 10-15 premières minutes de sa vidéo du 20 février au soir, en commentaire de la chose présentée comme le clou de son “Clown World” du jour :

« En essence, [cela signifie] que Biden devait avoir le feu vert des Russes avant de se rendre à Kiev... D’un point de vue responsable, cela se comprend, mais du point de vue des relations publiques, c’est un véritable désastre pour la Maison-Blanche... Depuis douze mois, Biden suit la narrative selon laquelle l’Ukraine est en train de gagner le conflit. Si l’Ukraine et en train de gagner le conflit, pourquoi avez-vous besoin de la permission de la  Russie pour aller à Kiev ?... Cela signifie que la Russie contrôle quasiment l’espace aérien et que la défense anti-aérienne ukrainienne ne peut rien pour assurer votre sécurité... »

Christoforou, dans sa discussion avec Mercouris sur une autre vidéo, estime que cette intervention US auprès des Russes n’est pas exceptionnelle ni incongrue. Pour lui, la plupart des chefs d’État et de gouvernementaux occidentaux qui ont été à Kiev depuis le 24 février 2022 ont effectivement quoique discrètement averti les Russes et obtenu d’eux, tout aussi discrètement, des garanties “de sécurité”. Cela me paraît relever de l’évidence tant cette affaire se joue en simulacre où les attitudes privées et/ou secrètes sont si souvent différentes des éructations publiques, – disons parfois jusqu’à 180°, et pas 360°, comme la gentille et émouvante ministresse allemande des affaires étrangères voudrait voir Poutine changer. (Je me souviens tout de même d’une visite de l’ancien ministre des affaires étrangères belge devenu Commissaire Européen pour la Justice, le non moins gentil Didier Reynders, obligé de descendre, sans doute en pyjama rayé bleu-jaune, dans la belle cave d’un grand hôtel kiévien à cause d’une alerte-missile russe ; mais enfin, il venait de Belgique, terre de toutes les surprises et de toutes les rayures...).

Si Christoforou a raison, ce que je crois, se pose alors la question de savoir pourquoi Sullivan a fait cette déclaration officielle qui constitue effectivement, comme le dit le même Christoforou, « du point de vue des relations publiques, un véritable désastre pour la Maison-Blanche ». Il aurait pu ne rien dire, avec l’accord des Russes ou bien un démenti des Russes accusés de montreurs de fausses novelles ; certes, cela aurait fuité un peu mais on aurait démenti avec le soutien du New York ‘Times’ et du Washington ‘Post’, et passez muscade pour passer outre...

Je crois que, pour répondre, il faut entrer dans le domaine de l’hypothèse, de l’analyse  psychologique, en se représentant ce groupe mené par l’obsession ukrainienne d’un vieillard sénile entouré par une bande de fous qui œuvrent dans le même sens en mettant en musique stratégique et idéologique le simulacre de la folie de ce président transformé en Alexandre-César moderne. Ce serait bien là que se cache, – à peine, – une bonne vieille vérité-de-situation.

Pour mon compte, je crois que Biden et ses conseillers vivent dans un simulacre d’une puissance phénoménale, dans lequel ils évoluent armés des deux fondements psychologiques de l’américanisme : l’inculpabilité et l’indéfectibilité. J’y reviens régulièrement parce qu’il s’agit pour mon compte, surtout lorsque les gens sont complètement emprisonnés dans ce simulacre qui dissimule la dégénérescence de l’Empire-pseudo, d’une formidable clef de compréhension ; par exemple, comme dans ce texte du 22 octobre 2022, où l’on trouve cette explication de l’extraordinaire maladresse des USA se faisant de plus en plus d’ennemis hors de leur harem de nations soumises et euro-otaniennes, à cause d’énormes erreurs psychologiques du type-180° :

« Il est vrai que les USA sont protégés comme par une cuirasse infranchissable de toute perception acceptable de la réalité du monde (autre définition de la folie) par deux phénomènes, sortes de “technologies psychologiques” absolument impénétrables. Nous en parlons et nous les répétons souvent car nous pensons qu’il faut se convaincre du phénomène et en prendre la mesure et les conséquences. Ces deux “technologies psychologiques” (nous adoptons ce terme pour marquer combien tout est de moins en moins humain dans l’américanisme, jusqu’à l’humain lui-même, car la folie fait son œuvre) sont deux traits psychologiques qui relèvent de la féérie-fantasy propre à l’américanisme, et qui sont aujourd’hui exacerbées jusqu’à la folie, – soit l’inculpabilité (“sentiment de l’absence à terme et décisivement de culpabilité de l’américanisme quelle que soit son action”) et l’indéfectibilité (“sentiment de la certitude [de l’américanisme] de ne pouvoir être battu dans tout ce qui figure conflit et affrontement”), tels qu’ils sont explicités dans [ce textequi rappelle leurs caractères... ».

Mon idée devient alors que cet ensemble de facteurs, avec le fou gâteux en tête de convoi, les a conduits à affirmer qu’il fallait proclamer qu’on avait l’accord des Russes parce que cela serait per !u et ressenti comme une victoire de plus des États-Unis, qui montreraient ainsi leur capacité d’influence en forçant les Russes à les laisser passer jusqu’à Kiev, plus un séjour de quelques heures sans pilonner la capitale. Cela est complètement dément et contradictoire puisqu’il est tout de même admis par tout le monde que les Russes ne sont pas à Kiev mais dans l’Est, au Donbass, et la narrative officielle (de Biden et de l’alentour) est que les Ukrainiens triomphent partout depuis des mois et que l’armée russe s’effondre littéralement depuis des mois, et que la Russie est à cours de missiles depuis des mois, et de plus en plus à court à mesure qu’elle en tire de plus en plus, et qu’on est aux portes de Moscou depuis des mois, et que Poutine a de nombreuses maladies depuis des mois, et que Poutine n’est plus Poutine mais un double ou un triple de Poutine depuis des mois... Ouf, dis-je en m’arrêtant.

L’inculpabilité et l’indéfectibilité, en plus maniées par des fous, constituent des instruments de “technologie psychologique” d’une telle puissance qu’ils permettent de couvrir ces contradictions énormes du manteau de la certitude de l’exceptionnalisme, de façon à paraître plusieurs fois schizophréniques tout en restant parfaitement citoyen de l’Union. D’une part, la Russie sombre irrémédiablement et l’Ukraine fait partie des USA, 51ème État de l’Union, et elle est donc dans l’Union et le président vient à Kiev tandis que retentissent les trompettes de la Gloire Céleste ; d’autre part la Russie fait partout la loi en Ukraine et dans le ciel ukrainien mais les USA, si impétueux, courageux et irrésistibles, ont exigé et obtenu des Russes conquérants terrorisés la permission de faire aller leur président à Kiev prendre dans ses bras son ami Z., président-gouverneur du Zelenskistan, le plus récent État de l’Union.

Note de PhG-Bis : « PhG n’ignore pas que cette interprétation choquera les puristes, ceux qui manient avec la maîtrise du savoir la Raison Décisive. On lui opposera une manœuvre tactique et subtile, un penchant bureaucratique, un accord secret Washington-Moscou. Mais PhG n’a aucun appétit pour tout cela. Il sourit aimablement et passe son chemin, conscient et persuadé que l’on est loin d’avoir mis à jour tous les secrets des effets des recoins secrets de la psychologie des gens. »