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75922 avril 2010 — Durant cinq ans, la fameuse phrase fut répétée : “All the options are on the table”. Fameusement dite pour la première fois avec un grand écho médiatique à Bruxelles le 21 février 2005 par le président Bush, la phrase signifiait que les USA envisageaient la possibilité d’une attaque contre l’Iran, avec autant de sérieux que les autres possibilités, essentiellement diplomatiques, de leurs rapports avec l’Iran concernant la controverse devenue crise du nucléaire iranien, – et, même, avec plus de sérieux que les autres options tant l’évocation de cette option de l'attaque semblait à l'époque impliquer l’automatisme de son application, – ainsi fut-elle aussitôt comprise, quoi qu’il en soit. Le 21 avril 2010, comme le rapporte le Washington Post (AP), lors d’un briefing de presse à Singapour, l’expression inverse, – quoique nuancée sur le terme, – a été employée par une officielle de l’administration Obama, Michelle Flournoy, du Pentagone: «It's off the table in the near term.»
«The U.S. has ruled out a military strike against Iran's nuclear program any time soon, hoping instead negotiations and United Nations sanctions will prevent the Middle East nation from developing nuclear weapons, a top U.S. defense department official said Wednesday. “Military force is an option of last resort,” Undersecretary of Defense for Policy Michele Flournoy said during a press briefing in Singapore. “It's off the table in the near term.” […] “Right now the focus is a combination of engagement and pressure in the form of sanctions,” Flournoy said. “We have not seen Iran engage productively in response.”»
…Et puis, aussitôt est venu un démenti, du Pentagone, démenti qui dit que jamais rien n’est jamais “off the table”, qu’il ne faut “jamais dire jamais”, etc., et toutes les platitudes de la sorte. La chose est venue du porte-parole du Pentagone, cette fois cité par Haaretz, le même 21 avril 2010.
«U.S. military action against Iran remains an option even as the United States pursues diplomacy and sanctions to halt the country's nuclear program, the Pentagon said on Wednesday. “We are not taking any options off the table as we pursue the pressure and engagement tracks,” Pentagon Press Secretary Geoff Morrell said. “The president always has at his disposal a full array of options, including use of the military ... It is clearly not our preferred course of action but it has never been, nor is it now, off the table.”
»Morrell was responding to reported comments by a top U.S. defense official who was quoted in Singapore as saying a strike on Iran was off the table in the near term…»
Citons, autour de cette phase de la crise iranienne qui a démarré avec la publication dimanche dernier d’un mémorandum de Gates par le New York Times et les différentes interprétations de déclarations de l’amiral Mullen, deux autres textes instructifs.
• Le 19 avril 2010, le site Hamsayeh.Net reprend un texte de Robert Dreyfuss, de The Nation, qui s’attache longuement aux déclarations de Mullen et à l’affaire du mémorandum de Gates. Ses conclusions, d’ailleurs présentées en tête du texte, sont sans appel.
«There's a lot of hullabaloo about the New York Times article on Sunday, breathlessly reporting a “wake up call” from Secretary of Defense Robert Gates about the urgent need to rush contingency plans for attacking Iran.
»Don't worry about it. Ain't gonna happen. Not a chance. Zero. Zilch. Nada.
«I'll get to the Gates memo and the Times in a second. But geez: for years now, even under the Bush administration, it's been clear that the U.S. military is not going to attack Iran. Not then, not now, not ever…»
• Enfin, un texte du Wall Street Journal du 21 avril 2010 décrit l’atmosphère en Israël, où se pose de plus en plus clairement la question d’une action israélienne contre l’Iran, hors de toute “autorisation” des USA.
«The Israeli security establishment is divided over whether it needs Washington's blessing if Israel decides to attack Iran, Israeli officials say, as the U.S. campaign for sanctions drags on and Tehran steadily develops greater nuclear capability.
»Some senior Israeli officials say in interviews that they see signs Washington may be willing to live with a nuclear-armed Iran, an eventuality that Israel says it won't accept. Compounding Israeli concerns were U.S. statements this past weekend that underscored U.S. resistance to a military option. Defense Secretary Robert Gates on Sunday discussed a memo to National Security Adviser James Jones warning that the U.S. needed new strategies, including how to contain a nuclear Iran—suggesting that Iran could reach nuclear capability without any foreign military force trying to stop it. […]
»Israel says it supports the U.S.-led push for new economic sanctions against Iran. But Israeli officials have increasingly voiced frustration over the slow pace of diplomatic efforts to get sanctions in place.
»Relations between the two allies have soured in recent weeks, with Prime Minister Benjamin Netanyahu's government pushing back against Obama administration pressure to freeze building in Jewish areas of East Jerusalem, which Washington says is counterproductive to its Mideast peace efforts… [….]
»Such divisions have played into fears in Israel that if Washington's sanctions effort fails, the Israeli and American positions on Iran could rapidly diverge—and Israel, if it chooses to attack Iran, would have no choice but to do so on its own…. […]
»Former senior members of Israel's defense establishment have weighed in recently on both sides of the debate. “We don't have permission and we don't need permission from the U.S.,” says Ephraim Sneh, who served as deputy minister of defense under former Prime Minister Ehud Olmert. But Maj. Gen. Giora Eiland, a former national security adviser, says Israel wouldn't jeopardize its relationship with the U.S. by launching a military strike against Iran without an American nod.»
@PAYANT La phase actuelle de la “crise iranienne” qui est, pour l’essentiel, une crise du système de communication entraînant une crise du système du technologisme, a été déclenchée par la publication du mémorandum de Gates dans le New York Times le 18 avril. Cette “fuite” a été manifestement faite pour activer l’idée que les USA envisageaient une attaque contre l’Iran. Le site War In Context analyse cette affaire, pour avancer l’hypothèse (le 18 avril 2010) que Dennis Ross, qui est au département d’Etat et depuis longtemps perçu comme une sorte d’“agent israélien” délégué dans la place, serait l’instigateur de la fuite.
L’hypothèse avancée par War in Context nous semble bien plus qu’une hypothèse, et semblerait plutôt ressortir d’une contre-attaque, par “contre-fuite” si l’on veut, après le “fuite” concernant le mémorandum de Gates. De toutes les façons, tout cela semble répondre à une logique que nous connaissons bien. On a vu combien le Times de Londres, proche des neocons et donc des Israéliens du Likoud, s’entendait pour interpréter dans un sens belliciste les déclarations de l’amiral Mullen, pourtant clairement, continuellement et catégoriquement défavorable à l’idée d’une attaque contre l’Iran.
Ces divers points mesurent les tentatives d’Israël et de ses relais du Likoud dans le monde anglo-saxon et à Washington pour tenter de forcer vers l’option de la guerre. Ils n’obtiennent en retour qu’un raidissement US, notamment du Pentagone. L’épisode Flournoy est significatif: ce qu’elle a dit a été dit et le démenti à Washington du porte-parole du Pentagone, d’ailleurs plutôt filandreux et plus proche d’une mise au point de convenance, ou tactique, n’enlève rien en réalité de ce qui a été effectivement dit à Singapour. De même, le démenti de Gates sur l’interprétation “belliciste” de son mémorandum sert là aussi à renforcer l’appréciation d’une détermination renforcée du Pentagone, et de l’administration Obama, contre l’option de la guerre.
L’épisode porte plus sur la querelle entre le Pentagone et Israël que sur l’affaire iranienne. Le gouffre qui s’est ouvert avec l’“affaire Petraeus” continue de s’approfondir et ne cessera plus de le faire. La phrase du Wall Street Journal concernant l’évolution possible des positions US et israélienne («the Israeli and American positions on Iran could rapidly diverge…») pourrait encore plus concerner les relations entre le Pentagone et Israël, si elle ne les concerne d’ores et déjà.
Des Israéliens et de leurs partisans, il n’y a rien à attendre dans le sens de la nuance. L’hystérie du jugement domine et l’habileté ne se trouve que dans l’exécution de manœuvres grossières de communication et d’intoxication, dont le résultat net est l’exacerbation des relations avec le Pentagone. Le stade des manœuvres du Lobby, de l’influence au Congrès, etc., est dépassé. Tout cela subsiste, certes, mais Israël se heurte désormais à un bloc, qui est le Pentagone. Les militaires US ne veulent pas d’attaque contre l’Iran, les Israéliens veulent une attaque contre l’Iran. Les positions sont proches d’être définitivement inconciliables, d’autant plus si on les place dans leur contexte qui est celui des déclarations de Petraeus et consort, qui mettent en cause toute la politique israélienne de sécurité, perçue comme un obstacle de moins en moins supportable pour la politique du Pentagone.
Le double paradoxe de ce que nous venons de décrire ci-dessus, est, d’abord, que la crise iranienne montre que l’essentiel d’elle-même ne concerne plus l’Iran mais désormais les USA et Israël, et que le fondement d’elle-même repose sur une double impuissance, qui ne concerne pas l’Iran mais les USA et Israël.
Cela fait en effet plus de cinq ans (voir plus haut, en début de texte) qu’on nous annonce la possibilité/probabilité d’une attaque de l’Iran. En général, il s’agit de l’annonce d’une attaque-surprise dont, – surprise, surprise, – on nous annonce, par diverses “fuites” interposées, le lieu bien sûr, le mois, parfois la semaine, et jusqu’au jour dans certains cas. Cela fait en effet plus de cinq ans que l’Iran armé d’une bombe nucléaire – dont on nous dit régulièrement qu’elle est déjà faite, qu’elle sera prête dans cinq ans, ou qu’elle ne sera peut-être jamais faite, – est dénoncé comme le danger le plus grave qu’ait à affronter la civilisation. S’il le faut, pour bien ancrer cette conviction, on caviarde et on adapte les “traductions” des discours du président iranien de façon à ce que ce président-là ressemble à Hitler, car ainsi c’est l’argument gagnant assuré. La chose est même enjolivée, depuis 2007 et l’arrivée de Sarkozy, d’interventions brillantes du président français pour nous rappeler qu’une attaque de l’Iran par les Israéliens serait catastrophique et que, pour cette raison, il faut faire s’amender les Iraniens et les humilier pour convaincre les Israéliens de ne pas agir.
Cinq ans, c’est très long, c’est quasiment la durée standard d’une guerre mondiale. Pendant ce temps, rien ne s’est passé, sauf une chose, qu’on jugeait impensable et incroyable: la détérioration des relations entre les USA (le Pentagone) et Israël. Ainsi, la suggestion vient-elle à l’esprit que la crise iranienne n’a rien à voir avec l’Iran, ni même avec le nucléaire iranien, et tout avec les USA, Israël (plus les cohortes suiveuses, dont Sarkozy) et la politique de la force, ou politique de l’“idéal de puissance”, qui ressemble de plus en plus à une politique de l’impuissance.
Le Pentagone ne veut pas d’une attaque de l’Iran, simplement parce qu’il est lui-même en crise intérieure, qu’il doit affronter également des crises extérieures dont la principale est l’Afghanistan, qu’il risquerait avec une attaque contre l’Iran un embrasement de toute la région affectant évidemment toutes les opérations qu’il conduit et les systèmes qu’il contrôle encore. De même, il n’est pas assuré, et il le sera toujours moins, que le Pentagone ait les moyens qu’il juge adéquats pour une telle opération. Le résultat de cette évolution est la situation actuelle où l’on n’est plus très éloigné de la thèse, – que soupçonnent les Israéliens, – d’envisager d’accepter de “vivre avec” un Iran nucléaire. (Un paradoxe de plus: …même si l’Iran n’envisage nullement de devenir une puissance nucléaire, ce qui est, hormis notre tendance pathologique au soupçon contre les autres, une possibilité éminemment acceptable et peut-être même une probabilité.)
Cette hypothèse (“vivre avec”) ne ferait que renvoyer à ce que d’aucuns disent depuis un certain nombre d’années, y compris, en septembre 2007, un ancien commandant de Central Command, le général Abizaid. Entretemps, les USA ont fait la démonstration in vivo de la réalité de leur impuissance grandissante à faire usage, y compris et surtout “usage diplomatique”, de la force, actant ainsi le déclin de leur hégémonie auto-proclamée depuis 1991, avec réaffirmation en septembre 2001.
De leur côté, les Israéliens ne font pas mieux et ils font même moins bien. Le temps est bien passé d’un Israël qui frappait vite, fort et efficacement, et se retirait tout aussi vite, sans discours préliminaire ni manœuvre de communication sans fin. Nous ne sommes plus du tout au temps d’Entebbe et du raid éclair et sans annonce préparatoire de juillet 1976, ni au temps (1981) du raid contre les centrales nucléaires irakiennes, mais au temps de la parlotte, des discours, des menaces, des confidences d’experts, des manœuvres aériennes pour faire “comme si”, des visites sans nombre du Premier ministre israélien à Washington, des manœuvres du Lobby. (L’efficacité du Lobby est en crise profonde depuis l’affaire Freeman; comme l’expliquait l’un des meneurs de l’action lobbyiste israélienne, Steve Rozen, «A lobby is like a night flower: it thrives in the dark and dies in the sun»; en sortant à découvert et en s’affichant effectivement comme tel, le Lobby a perdu son véritable pouvoir d’influence qui doit être quelque chose qui n’apparaît jamais pour ce qu’il est, c’est-à-dire une manœuvre d’influence.)
En cinq ans, les Israéliens ont fait reculer leur cause avec une maestria étonnante, démontrant entretemps la paralysie naissante de leur appareil militaire (campagne contre le Hezbollah en juillet-août 2006), montrant chaque jour et au grand jour leur puissance d’influence à Washington qui ne débouche sur rien, – sinon, au bout du compte, sur la rupture en train de se faire avec leur plus nécessaire allié dans ce même Washington. Désormais, l’idée d’une attaque israélienne contre l’Iran commence à ressembler de plus en plus à une politique suicidaire, dont le seul résultat quasiment acquis d’avance serait un isolement dramatique d’Israël, la perte du soutien des USA, le spectre d’un Israël devenant soudain la cible fondamentale de la “communauté internationale”.
Dans les deux cas, l’impression qu’on retire est propre à la situation de l’évolution de la crise générale du système telle que nous l’observons régulièrement. Les cinq dernières années où l’attaque contre l’Iran fut un sujet permanent de spéculation, de désinformation, de surinformation, etc., ont été entièrement consacrées à une bataille conduite dans le domaine du système de la communication, qui est, avec le système du technologisme, l’une des deux forces du système. Il s’agissait de la préparation à l’idée de l’emploi de la force (système du technologisme) par la description de l’emploi de la force (système de communication). Mais c’est le résultat inverse qui est en train d’être atteint, ce qui correspond d’ailleurs parfaitement à la description de la crise que nous faisons souvent, avec les contradictions internes du système et l’évolution de la coordination des forces en concurrence des forces. La description de l’emploi de la force (système de communication) a peu à peu évolué d’une ambition initiale de la préparation à l’emploi de la force (système du technologisme) en une situation tendant de plus en plus à entraver l’emploi de la force. Les systèmes alliés sont devenus concurrents, le système de communication évoluant de plus en plus comme une dynamique entravant l’action du système du technologisme. En contrepartie, le système de communication est devenu de plus en plus improductif, puis contre-productif, en faisant la démonstration involontaire de l’impuissance du système du technologisme qu’il a lui-même suscitée.
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