Bachmann, Tea Party et l’establishment

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Aviez-vous “sérieusement” entendu parler, disons il y a un mois, de Michele Bachmann, cette Représentante du Minnesota, inscrite au parti républicain? Nous pas. Aujourd’hui, Bachmann, personne assez sexy, avec une énergie roborative et l’apparence d’avoir une ambition politique bien précise, est en train de faire tomber Sarah Palin dans les oubliettes de l’éphémère. “Bachmann for 2012” (dito, candidate pour les présidentielles) est un slogan qui court les rues washingtoniennes, désormais.

Sa principale trouvaille est d’avoir réussi à mettre de son côté le fameux (ou méritant de l’être, fameux) mouvement Tea Party. Bachmann a démontré la réussite de son opération avec une manifestation qu’elle avait lancée avec Tea Party d’“investissement” pacifique du Congrès pendant une journée, celle du jeudi 5 novembre. Vu le succès de foule, le parti républicain, qui avait dénoncé cette initiative, s’y est rallié dans sa grande majorité pendant la manifestation en question.

C’est Mother Jones, sur son site, le 5 novembre 2009, qui rend compte de cette affaire.

«This past weekend, the Minnesota Republican [Michele Bachmann] went on Fox News and called on viewers to show up on the Capitol lawn on Thursday at noon for a press conference and a last ditch attempt to kill health care reform. The gathering that resulted was marked by the now-routine extremism of the Tea Party conservatives. “I'm a bitter gun owner who votes,” read one sign. Others questioned President Obama’s citizenship, portrayed him as Sambo, or called him a traitor. One said, “Obama takes his orders from the Rothschilds.” Old ladies wore red T-shirts decrying “Obamao care.” The crowd also took spirited swipes at House Speaker Nancy Pelosi. At one point someone yelled, “Put down your Botox and show yourself.”

»But what was most noteworthy was that the entire House Republican leadership was also in attendance—and their rhetoric was just as over-the-top as some of the protesters. House Minority Leader John Boehner declared the health care bill the “greatest threat to freedom I have seen.” In essence, Congressional Republicans were merging with a movement that gives open expression to racist and anti-Semitic sentiments.

»The crowd was several thousand strong, many bused in by Americans for Prosperity, a group created by the owners of Koch Industries, a huge oil and gas conglomerate. The AFP chapter from New Jersey reportedly sent 29 buses. Four AFP buses came from Maryland’s Eastern Shore, and more came from Richmond and North Carolina. Lots of people in the crowd carried AFP signs or stickers warning “Hands off my health care.”

»During the rally, all the prominent House GOP legislators wanted a shot at the mike, including Boehner, whip Eric Cantor of Virginia, Roy Blunt of Missouri, presidential aspirant Mike Pence of Indiana, and what seemed like the entire Texas GOP delegation. There were so many Republicans blow-bagging that dozens of hungry patriots were heading for the exit long before the speeches ended. But aside from Bachmann herself, only South Carolina Rep. Joe Wilson won overwhelming adoration from the crowd—he could barely get a word in over the rousing cheers of “Thanks Joe!”»

L’article termine sur quelques notes à propos de Bachmann, un nom qu’il faut donc avoir désormais à l’esprit: «But one thing about the rally proved sparklingly clear: Michele Bachmann is a major star. When she stepped up to the podium on the Capitol steps, the crowd went wild. It wasn’t too hard to imagine the event as a warm up for the 2012 presidential election, where Bachmann might prove a far more viable candidate than Sarah Palin. The rally confirmed her primacy as a leading voice of the Republican Party—a party that, with this protest, has fully embraced the conservative movement's most extreme elements.»

Laissons de côté les appréciations idéologiques, les rengaines sur l’extrémisme, les habituelles diableries épouvantables qu’il est de coutume et de bon ton de dénoncer, même dans des milieux “dissidents” (comme l’est Mother Jones) mais qui restent fortement marqués par l’idéologie. Au reste, Mother Jones, après avoir mentionné les condamnations d’usage du type “minimum syndical” – anti-sémitisme, racisme, xénophobie, extrémisme – en vient à des citations de participants à la manifestation, interrogés de-ci de-là, et, en arrivant à la description d’un chaos d’intentions et d’explications de ces mêmes participants, résume par cette phrase: «These sorts of contradictions were apparent everywhere.» Laissons même de côté les imbrications, évidentes par ailleurs, avec le phénomène “astroturf”, qui implique la pénétration de mouvements populaires par des organisations plus ou moins soutenues en sous-main par de gros intérêts industriels.

Comme nous l’avons déjà noté, notre conviction est que Tea Party est l’expression d’une colère diffuse, générale, formidable, qui ne peut se résumer aux slogans qu’on y trouve, ni aux manipulations, ni aux condamnations, également de type slogans, des esprits bien-pensants qui en jugent selon les normes conformistes des idéologies. Il est manifeste que cette colère vient autant de la crise économique, des abus insupportables du système (Wall Street et le reste), que d’un sentiment plus général d’une perte d’identité, voire d’une “crise d’identité” complète, qui est caractéristique des USA aujourd’hui et dont l’élection d’Obama, avec tous ses caractères extraordinaires, a été le catalyseur.

L’essentiel pour cette affaire de la manifestation de jeudi au Congrès est ailleurs. Disons que, pour l’instant, trois points peuvent être développés à cet égard.

• Si Michele Bachmann réussit, c’est parce qu’elle devient de plus en plus Tea Party et de moins en moins républicaine. Politico.com fait un article, le 4 novembre 2009, sur la démission de la principale adjointe de Bachmann, Michelle Marston, avec notamment ce commentaire d’un collègue de Marston: «When your captain’s crazy, it’s time to find a new ship.» Bachmann est-elle folle? Quelques semaines auparavant, Marston disait de Bachmann: «She looks like the type of person who you would invite in to have a cup of coffee at your table. There are a lot of people who are good, smart, well-meaning, well-intentioned members of Congress, but they speak to the people like they are members of Congress. Rep. Bachmann talks to people like they are people.» Depuis hier, on s’abstient de dire, au Congrès, que Bachmann est folle, puisqu’elle a réussi à rallier des milliers de supporteurs de Tea Party. Bachmann suit le parcours classique d’un(e) policien(ne) tenté(e) par la pente populiste, mais cela dans une situation exceptionnelle, où le populisme (made in USA), qui a bien entendu très mauvaise réputation dans nos élites internationales et conformistes, est devenu aux USA (et ailleurs?) le seul moyen d’exprimer des sentiments populaires exacerbés par la folie du système et complètement bloqués par le “coup d'Etat permanent” du système contre la marche habituelle des institutions démocratiques.

• L’OPA du parti républicain est en train de tourner, en une évolution extraordinaire, à son exact inverse: l’OPA de Tea Party sur le parti républicain. Après une phase intermédiaire, au cours de laquelle Tea Party a repoussé la tutelle des caciques du parti républicain, on en vient à une situation où c’est Tea Party qui choisit lui-même les républicains qui lui vont, forçant les autres à se rallier à eux. C’est une situation étonnante, où la représentation républicaine, qui espérait se servir de Tea Party, devient de plus en plus prisonnière de Tea Party. Dans cette affaire, Bachmann est un relais habile, qui devient de moins en moins une élue républicaine prenant en main le Tea Party, et de plus en plus une leader naturelle de Tea Party imposant au parti républicain la pression du mouvement.

• N’attendez pas de tout cela quelque chose de cohérent, des orientations précises, une politique bien expliquée, une norme politique habituelle du système, etc. Tea Party, quelque étiquette idéologique qu’on veuille lui mettre, représente d’abord le désordre d’une colère qui trouve par son canal un moyen d’expression. Pour y comprendre quelque chose précisément, il est préférable de substituer aux habituelles étiquettes idéologiques, complètement dépassées, le schéma évident de l’affrontement d’un mouvement populaire, avec tout le désordre qui l’accompagne, contre les élites du système. Dans cette bataille, le moins qu’on puisse dire, c’est que les élites ne cessent de reculer, d’autant plus lorsque certains de ses membres, dito Michele Bachmann, passent de l’autre côté avec armes er bagages.


Mis en ligne le 6 novembre 2009 à 12H01