Backpédaler en zig-zag dans les virages en pente

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Backpédaler en zig-zag dans les virages en pente

12 avril 2018 – Ayant l’esprit plein des bruits d’attaque contre la Syrie, je consultai hier matin mes quelques sites coutumiers. Parmi ceux-ci, il y a, comme chacun le sait bien à la lumière de mes fermes convictions, le site WSWS.org. Je connais, par habitude journalistique, les classements de l’importance des nouvelles selon la mise en page. Grande fut ma surprise de voir les nouvelles sur la Syrie rétrogradées en seconde catégorie, à peine visible dans le lot général... La vedette revenant à Zuckerberg, – avec photo et cravate inhabituelle, il est en train de s’agenouiller devant le Congrès et de s’ériger lui-même, en se battant la coulpe, en impitoyable censeur qu’il aurait dû être dès l’origine. Quand on a la fibre démocratique, messieurs les sénateurs, rien n’y fait.

A côté de cette “manchette”très postmoderne-grinçante (WSWS.org ne peut pas sentir les jeunots de GAFA & Cie), il y avait l’article d’analyse de fond quotidien. Je crus y voir la Syrie, titre et premiers mots pouvaient faire illusion (titre « The noose tightens around Trump », premiers mots « The extraordinary events of Monday... »), – pour m’apercevoir aussitôt que non, pas du tout, qu’il s’agit du raid du FBI dans l’appartement de l’avocat de Trump, Michael Cohen, qui met le président dans une situation extraordinairement dangereuse, pour différentes raisons, différents documents, différentes magouilles, peu importe ; au bout du compten, le constat d'une perquisition brutale qui en dit long (je laisse en anglais, c’est plus savoureux : « The use of tactics against a sitting president normally reserved for mafia dons or alleged terrorists... »). L’édito du NYTest lugubre : « The Law Is Coming, Mr. Trump » ; même pas du “Mr. President”, la haine exsude de ce titre si poliment glacial. Au milieu du texte de WSWS.org, ceci, cette ligne :

« Ils tiennent Trump à la gorge, et Trump le sait... »

Au reste, ce n’est pas fini dans le genre du déchirement épouvantable des uns et des autres. Le président de la Commission du renseignement de la Chambre, le républicain Devun Nunes intervient et réclame sur l’heure les documents utilisés par le directeur du FBI et le n°2 de la Justice Rosenstein pour ordonner cette perquisition, sinon il destitue les deux hommes. Trump juge aujourd’hui ne pas avoir de pire ennemi, l’équipe Mueller mise à part, que son ministre de la justice, Sessions, en plus de Rosenstein. (Il n’est pas question d’Assad dans cette salade.)

... Mais non pourtant, ce n’est pas de cette nième partie chapitre de la saga-Trump que je veux parler ici, mais bien de la différence des points de vue des divers partis, des intérêts divergents sinon opposés, des arrière-pensées, de la concurrence entre deux crises colossales (la Syrie et l’attaque contre Trump) évoluant de concert et s’influençant l’une-l’autre. La Syrie semblerait, – pour ces 24-48 heures passées, – avoir été rétrogradée en seconde position, c’est-à-dire pratiquement aux “nouvelles marginales” dans l’attention washingtonienne, tandis que les vautours tournent à nouveau autour de Trump, – avant de revenir en pole position.

Comment Trump “utiliserait”-il la Syrie dans ce tournant extrêmement dangereux pour lui, alors qu’“ils le tiennent à la gorge” ? Eux-mêmes (“ils”) n’ont-ils pas utilisé la Syrie qui monopolisait l’attention de Trump, pour lui porter ce coup terrible qu’il n’a pas vu venir ? (C’est du Wag the Dog postmoderne, où tout le monde manipule la guerre, tantôt la précipitant, tantôt la freinant, pour sa position personnelle.) 

Mais, dit-on aussitôt, lisez le tweet incendiaire qui annoncent l’attaque dans des termes incroyables de vulgarité, pour savoir comment Trump va “utiliser” la Syrie ! Certes, mais poursuivez votre lecture comme le conseille ZeroHedge.com et le note avec empressement Alexander Mercouris, et, après avoir pris connaissance du premier, vous enchaînez sur d’autres tweets (trois) qui backpédalent par rapport au premier puis rejettent la responsabilité de l’actuelle catastrophique situation sur son prédécesseur et sur l’équipe de l’enquêteur, le procureur spécial Mueller qui veut sa peau (celle de Trump). Ce sont eux, rugit Trump, qui ont comploté pour aggraver les relations avec la Russie ! (...Nous disant entre les lignes qu’il aimerait tant les voir s’améliorer.)

Successivement, hier, les deux tweets accusateurs dans le langage trumpiste : « Our relationship with Russia is worse now than it has ever been, and that includes the Cold War. There is no reason for this. Russia needs us to help with their economy, something that would be very easy to do, and we need all nations to work together. Stop the arms race? » ; à 13H37 hier, heure de Washington ; « Much of the bad blood with Russia is caused by the Fake & Corrupt Russia Investigation, headed up by the all Democrat loyalists, or people that worked for Obama. Mueller is most conflicted of all (except Rosenstein who signed FISA & Comey letter). No Collusion, so they go crazy! », à 15H00, heure de Washington hier...

(Notez, pour ajouter à notre stabilité de jugement à tous, qu’à côté de l’observation rationnelle de Mercouris selon laquelle la position de Trump a évolué tout en reconnaissant l’action du stress psychologique, il y a beaucoup plus carrément l’explication pathologique déjà-vue, et cette fois largement diffusée entre divers tweeters, de l’expression d’un état bipolaire, ou maniaco-dépressif, dans ces revirements paraît-il incroyables du président des États-Unis... Faites votre choix.) 

Il est vrai que la fureur des “experts” russes telle qu’elle est décrite par le Saker-US, le durcissement extrême qui semble se dessiner en Russie, un peu-beaucoup contre le gré de Poutine, s’appuie sur une analyse qui ne tient guère compte du désordre du bloc-BAO, du “tourbillon crisique” justement que je tiens, moi, pour le facteur essentiel de la situation générale. Même si cela importe peu dans le chef des Russes par rapport à leur volonté de sécurité, ce désordre joue un rôle immense, le premier d’entre tous, et de loin...

« Il n’est pas assuré que ce jugement catégorique, même s’il se comprend d’un point de vue russe, soit complètement fondé : aucune part d’importance n’est faite au facteur du désordre, y compris du désordre psychologique, qui est selon nous un point absolument capital. Pour autant, cette divergence n’a qu’une importance mineure, dans la mesure où le rôle de la Russie dans cette phase colossale de la Crise Finale d’Effondrement du Système n’est pas tant de comprendre que de résister, et il n’est de résistance plus forte que celle qui affronte un ennemi perçu comme si complètement maléfique. »

Comme on dit dans les débats policés de la TV (“Je parle sous le contrôle de Mr./Mme Untel, ici présent”), je dirais que je parle sous le contrôle des évènements jusqu’au moment où paraît ce texte sur le site dedefensa.org (disons, dans la matinée, – 10H30, – de ce 12 avril)... Ainsi PhG progresse-t-il sur la pointe des pieds, en écartant avec douceur les œufs si fragiles sur lesquels il marche.

Cela bien entendu, ce constat doit être tenu pour acquis que rarement sinon jamais on ne vit un événement si grave menaçant d’éclater, et menaçant d’être gros d’événements encore plus graves, se constituer ou prétendant se constituer d’une façon très ordonnée dans une situation générale de si complet désordre de la part de ceux qui se sont mis en charge d’en être les parrains attentifs ; un évènement où sa cause même qui en appelle aux plus hautes vertus & valeurs est sans doute, et même certainement, la dernière chose à laquelle on s’intéresse sérieusement ; et puis d’ailleurs, hein, écrit Alex Christoforoupersonne n’y croit et nul ne se préoccupe guère d’y croire... 

« POTUS Trump knows that the chemical attack in Syria is a hoax and false flag. The mainstream media knows that the chemical attack in Syria is a hoax and false flag. All of Congress knows that the chemical attack in Syria is a hoax and false flag...The entire world knows... »

Certains avancent (dont Christoforou lui-même, d’ailleurs) que Trump va lancer son attaque pout obtenir un effet d’“unité nationale” autour de lui, remonter dans les sondages, avoir plus de stature contre Mueller et sa clique. J’avoue que j’aimerais voir, malgré la tristesse de l’occasion, comment ce bordel cosmique pourrait accoucher de cette chose d’un autre monde, ce migrant-I.T., cet alien à qui pourtant toutes les frontières de la vertueuse Californie sont ouvertes, qu’on nommait dans les Temps Anciens “unité nationale”.

La question est donc : l’“Empire du Chaos” qui entend semer le chaos chez les autres, chez tous les autres, n’est-il pas lui-même dans un état de chaos qui finit par étouffer toute entreprise d’organisation du chaos chez les autres ?(“Organisation du chaos”, quel bel oxymore de la modernité-tardive, très-tardive...) Nous aurions ainsi rencontré, d’une manière singulièrement originale je trouve, l’équation de cette époque si étrange, si folle et si insaisissable, qui gronde en tous sens au rythme du Système devenu fou : la transmutation de la surpuissance en autodestruction, comme l’alchimiste des Temps d’Outre-Monde transmutait en or le vil plomb.