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11 juin 2007 — Par quoi commencer? “Ca sent le roussi”? “Mettez les chariots en cercle”? “On sent passer le vent du boulet”? En général, BAE devrait répondre par le mépris à de telles exclamations qui fleurent un peu trop le sensationnalisme. Cela fait maintenant neuf mois que le scandale BAE-Yamamah a éclaté, avec, à la mi-décembre 2006, un paroxysme qui aurait du clore le bec à tous les enquêteurs amateurs (journalistes et autres) avides de sensationnel. Le système globalisé anglo-saxon, dont BAE est un fleuron, est solide ; il résiste normalement aux attaques faites contre ses pratiques diverses, plus ou moins occultes, plus ou moins légales et en général présentées comme conformes aux “intérêts nationaux” (type “right or wrong, my country”). Cette glorieuse pratique bat de l’aile.
La caractéristique principale de cette gigantesque affaire, c’est que, justement, rien ne parvient à vraiment l’arrêter et l’enterrer définitivement. On ne cesse pas, à chaque rebondissement, de faire les comptes et de redécouvrir de quelle façon sont tracées diverses pistes qui sont toutes porteuses de risques inquiétants pour l’équilibre de cet empire de puissance industrielle et corruptrice qu’est BAE.
Voici un facteur nouveau, une indication sérieuse. Il apparaît évident que, cette fois, BAE est inquiet. Plusieurs indications l’attestent indirectement, notamment par le relais de commentateurs bien au fait d’éventuels tourments internes de l’énorme consortium UK-US. Danny Fortson, de l’Independent, résume assez bien la difficile situation où se trouve actuellement BAE. (article publié le 10 juin.)
«For chief executive Mike Turner, who resolutely denies any wrongdoing, the damage to the defence giant's image is worrying. As a big arms seller, BAE can hold out little hope of a sterling public image. However, the charges come amid a raft of other corruption inquiries, seven at the last count, into the group's operations around the globe.
»The aim for Mr Turner, then, is to keep the group's worsening public image from hindering its business, which is currently in a particularly delicate position. BAE is closing in on a pair of multi-billion-pound deals in Saudi Arabia and America, its two most important foreign markets.
»Both transactions — a £20bn fighter jet sale to the Middle East kingdom and a $4.1bn (£2bn) purchase of an American rival — are vital to the company's long-term health. The brewing corruption allegations threaten not just to derail one or both of those, but a reputation tinged by possible dirty dealings could make it harder for BAE to do business elsewhere in the world just as it tries to expand abroad.»
Sans aucun doute, le point le plus convaincant de cet état d’esprit de BAE, c’est la décision de cette société de former une commission d’enquête “indépendante”, qui aura charge d’enquêter sur le comportement éthique de la société, et qui aura à cœur, on s’en doute, de démontrer que ce comportement est au-dessus de tout soupçon. C’est le Times qui a annoncé hier la nouvelle, reprise depuis par d’autres (l’Independent). (On sait d’où vient l’initiative : Dick Olver, le président de BAE, est l’ancien directeur général adjoint de BP, qui avait réussi une opération de cette sorte, l’année dernière, au Texas, à la suite de l’explosion d’une raffinerie.) Voici ce dont il s’agit :
«BAE Systems is to recruit an independent panel to investigate its conduct of foreign arms sales in an attempt to draw a line under allegations of corruption in its dealings with Saudi Arabia.
»Britain’s largest defence group will copy the approach taken last year by BP when it hired James Baker, the former American secretary of state, to probe the circumstances behind an explosion at a refinery in Texas that killed 17 people.
»Senior defence industry sources said that BAE had already begun talks with potential candidates to chair the investigation. It is understood to be looking for a senior political or business figure with a legal background. It is not yet clear how many people BAE will recruit beyond the chairman, or what the inquiry’s terms of reference will be. The panel could take the form of an ethics committee similar to those established by American defence contractors.»
On l’a rappelé et on l’a vu, dans la “saga Yamamah” déjà vieille, dans sa phase actuelle, d’une gestation humaine normale, il y a déjà eu des moments cruciaux. Celui-ci est particulier. Le constat central qui nous fait parler d’un moment particulier, c’est le vacillement de la superbe de BAE, l’effritement imperceptible mais déjà bien réel de sa certitude d’être intouchable, si souvent constatée à toutes ces occasions. L’appel à une méthode typiquement américaniste mesure ce changement d’atmosphère, — en même temps qu’il nous confirme l’américanisation des méthodes de BAE.
(Le truc de nommer une personnalité au-dessus de tout soupçon, c’est-à-dire une sorte de “juge de paix” comme il y a dans le milieu type mafia, — l’image est tellement appropriée qu’elle nous dit tout, n’est-ce pas !, — avec une commission ad hoc, tout cela rétribué royalement et tout cela absolument “indépendant”, est bien entendu une façon de s’acheter vite fait une virginité de circonstance. Il arrive que le public et surtout les médias marchent, tant est grand, pour ces derniers [les médias], le souci de voir rencontrée la vision vertueuse et conformiste du système. Mais cette remarque vaut surtout pour les USA et nous sommes en Europe. Le ricanement et la suspicion face aux puissances d’argent restent, contrairement aux USA où il n’en est pas question, malgré tout ancrés dans notre caractère. Et puis, il n’est pas assuré, par exemple, que tous les acteurs du système, telle l’OCDE, se laissent convaincre par un tel artifice. On verra, mais c’est tellement gros que ce n’est pas gagné d’avance. D’autre part, la mise en place d’une telle initiative a le désavantage de faire subsister l’affaire aux premiers rangs de l’actualité. C’est le revers de la médaille.)
BAE est une énorme machine, d’une puissance absolument considérable et cette puissance complètement multiforme et diversifiée, une sorte d’“Etat dans l’Etat” avec des capacités qui vont du blanchiment de l’argent à l’action de services parallèles. C’est aussi une énorme machine transnationale, sans véritable nationalité, autant britannique qu’US, et même ni britannique ni américaniste. Lorsqu’on demandait récemment au directeur de BAE Amérique si le siège de la société n’allait pas être transféré vers les USA en raison de l’orientation de ses activités, celui-ci répondit qu’il n’en était pour l’instant pas question mais que cela n’avait pas vraiment d’importance, — puisque BAE «is a globalized machine», — ni vraiment britannique, ni vraiment US. D’une certaine façon, on pourrait voir en BAE une entité d’un nouveau genre, qui travaille quasi-exclusivement pour les puissances publiques dans le domaine le plus souverain par excellence (l’armement, la technologie avancée), et qui pourtant ne dépend plus, dans l’esprit de la chose, d’aucune puissance publique, — d’aucune nation. C’est la première véritable “puissance globalisée” dans le domaine ultime de la souveraineté qui échappait à la globalisation.
Cela implique par l’évidence même que l’enjeu se situe dans cette perspective. C’est l’enjeu de la globalisation portée à l’extrême de ce qu’elle peut devenir. Tout concorde puisque les affaires pour lesquelles BAE est aujourd’hui l’objet de pressions sinon d’accusations précises sont elles-mêmes nées des pratiques de la globalisation, notamment avec l’omniprésence de la corruption dans les différents contrats Yamamah, par les liens personnels et hors des impératifs nationaux établis entre dirigeants britanniques et dirigeants saoudiens, et ainsi de suite. La poursuite de l’affaire BAE-Yamamah est ainsi particulièrement intéressante dans le sens où il s’agit effectivement d’une bataille entre un produit colossal de la globalisation et entre diverses résistances qui se mettent en place sur sa route. (Le paradoxe est que ces résistances viennent de forces qui, normalement, favorisent la globalisation mais qui se retrouvent contre elle dans cette occasion. C’est un phénomène aujourd’hui souvent constaté, dont on sait qu’Internet est le plus impeccable exemple, — création de la globalisation devenue l’arme fondamentale contre la globalisation.)
… En effet, d’autres machines sont désormais en marche contre BAE, celles de diverses bureaucraties un peu lassées d’être traitées d’une façon aussi leste par BAE. Pour l’instant, et en attendant peut-être des nouvelles du côté des USA, il s’agit autant de la machinerie du système parlementaire britannique que de celle de l’OCDE.
Selon The Independent : «The Government and BAE will come under renewed pressure this week as opposition MPs will ask the SFO to reopen its investigation. Vince Cable, the Liberal Democrat Treasury spokesman, will table a House of Commons question demanding to know if the Chancellor, Gordon Brown, knew about the alleged bribes.
»Yesterday the Foreign Office refused to comment on allegations that Britain was behind a smear campaign against the world's anti-bribery watchdog, the Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD), which has been investigating the Government's decision to halt the inquiry into the payments. Senior employees at the OECD are understood to have alleged they were put under pressure to drop their probe. Anti-bribery inspectors are expected to travel to London soon to ask ministers why the SFO inquiry was dropped.»