BAE veut l’accord de Washington autant que celui de Londres pour vendre des armes à la Chine

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BAE veut l’accord de Washington autant que celui de Londres pour vendre des armes à la Chine


24 février 2005 — La journée du 22 février 2005 à Bruxelles nous a indiqué de façon extrêmement marquée que la question de la levée de l’embargo des armes européennes vers la Chine est désormais centrale au débat, — à l’affrontement ? — transatlantique. Cette question a dominé les entretiens de GW Bush avec les dirigeants de l’UE, dans l’après-midi du 23. Bush a clairement laissé entendre que l’UE devrait affronter le Congrès pour des sanctions inévitables si l’embargo était levé. Le président US a ainsi montré qu’il considérait que le Congrès occupait, par rapport à sa propre position, une position radicalisée.

L’attention américaine sur cette question s’est révélée tardivement, mais elle a très vite acquis une intensité sans précédent en même temps qu’elle élargissait radicalement le champ de la querelle. Pour les Américains, les Européens mettent en cause les relations stratégiques avec les USA en voulant établir des relations stratégiques fondamentales avec la Chine. Les Européens ont une réaction très vive devant les attaques américaines, ce qui mesure les différences d’approche en même temps que l’activisme américain (le journaliste Pepe Escobar, de Atimes.com, rapporte à ce sujet: « EU diplomats are unanimous in stressing that the Americans are leading a “disinformation campaign” because “Israel sells more weapons to China than anyone else” »).

Un fait important est que cette crise vient de prendre une dimension pratique inattendue, mesurant à la fois ses ambiguïtés et sa gravité. Il s’agit d’affirmations officieuses et d’une prise de position officielle du groupe britannique BAE, — en principe intéressé au premier chef dans cette affaire puisqu’il est le principal producteur de systèmes d’armes britannique. La chronologie de cette décision est elle-même intéressante: elle confirme l’intensité grandissante de cette crise et, surtout, mesure l’intensité radicale de la position américaine.

D’abord, le Times de Londres du 22 février indique que « Britain’s largest defence company, BAE Systems, will not sell arms to China if the European Union lifts its arms embargo, for fear of jeopardising its extensive American interests. [...] The suggestion by BAE Systems that it would prefer to protect its huge US investments rather than pursue new markets in China suggests that the American threats are biting. BAE Systems has greater potential to sell arms to China than any other British company, but senior sources said that there was no question of taking any action that might imperil the company’s relationship with America. »

Le lendemain, soit le 23 février, Le quotidien Scotsman détaille une prise de position officielle de BAE, qui est actuellement le 12ème fournisseur du Pentagone. Cette prise de position nuance l’information du Times, d’un point de vue formel dans tous les cas, et selon l’interprétation que donne le journal (« Britain’s biggest defence contractor BAE Systems said yesterday it would need backing from Washington and London before joining a European push to lift an arms embargo on China. »). Sur le fond, bien entendu, l’annonce de BAE revient au même résultat que ce qu’annonce le Times.


« A spokesman for BAE said: “All licensing is a matter for the UK government and not for BAE Systems. Individual countries could have different responses [if embargo is lifted].” He added that each arms deal would have to be licensed by the country concerned.

» The spokesman added: “As a company we are of course concerned about the impact of these measures on the US. We very much hope the British government does everything it can to ensure the US government feels that we are supportive of their point of view.” »


Il s’agit d’un cas extraordinaire si l’on s’en tient à l’estimation officielle et à la croyance générale que BAE, anciennement British Aerospace, est évidemment une société britannique, productrice d’un bien stratégique par excellence, et d’un bien qui, par le biais des technologies développées et utilisées, constitue un des composants modernes essentiels de la souveraineté. Cette même société BAE annonce que, sur cette question vitale de la vente d’armes à la Chine, elle se place volontairement sous la dépendance des décisions d’autorisation de Londres et de Washington. Peu importe les arguments développés par BAE, qui ont leur valeur, le fait essentiel est que BAE s’estime dépendre, pour une décision de cette importance, autant de Washington que de Londres (et certains interrogeraient: plus de Washington que de Londres?). Il s’agit évidemment d’un cas de souveraineté partagée, produit évident de la politique de Tony Blair, où l’Angleterre perd ce qui fait la substance d’une nation (car la souveraineté ainsi partagée, évidemment, est au départ exclusivement britannique).

Dans la pratique, plus encore qu’une “souveraineté partagée”, il s’agit bel et bien, de facto, d’une remise complète de la souveraineté dont dépend BAE dans les mains de Washington. En effet, la position de Londres est connue dans cette affaire, puisque le gouvernement britannique est partisan de la levée de l’embargo: son autorisation, son soutien à BAE dans ce cas est une forme de style; tout est mis dans les mains de Washington, à qui est donné un droit de veto et dont on peut être sûr qu’il en usera et abusera. Bien entendu, la seule façon de résoudre ce problème est de répondre à la fameuse question évoquée depuis deux ans, et d’y répondre par la négative: non, BAE n’est plus britannique.

L’on voit que cette affaire des armes européennes pour la Chine est porteuse de tous les cas possibles de déstabilisation pour les rapports transatlantiques, alors qu’elle constituait au départ une démarche anodine. D’ores et déjà, la crise de l’embargo peut être illustrée par trois remarques.

• Elle va complètement exacerber les difficultés et les contradictions du Royaume-Uni, avec la politique de Blair à la fois européenne et pro-américaine. L’évolution de BAE ces dernières années est une application pratique évidente de cette politique de Blair (y compris au niveau de sa substance même, avec son évolution vers l’actionnariat privé et la dépendance grandissante de cet actionnariat pour sa politique, avec la recherche de rapports immédiats et le sacrifice d’une stratégie à long terme). Le cas BAE montre la situation de blocage où conduit la politique britannique, avec les affrontements qui en découlent.

• La crise de l’embargo va interférer massivement dans les affaires industrielles transatlantiques, aussi bien du point de vue de la coopération et des transferts de technologies que du point de vue des structures industrielles. La présence du Congrès dans cette affaire va renforcer encore cette tendance (le Congrès a un très grand pouvoir d’action, quasiment autonome et discrétionnaire, dans les questions industrielles, de coopération, de transfert de technologies). Quelques programmes en cours vont être secoués, notamment le JSF.

• L’industrie américaine va saisir ce biais pour tenter d’attaquer l’industrie européenne, soit en cherchant la limitation de l’action de cette industrie européenne par un interventionnisme US qui mettra en cause le principe de souveraineté (le cas de BAE étendu à d’autres domaines), soit en bloquant toute tentative de pénétration du marché US (cas de EADS cherchant à figurer comme fournisseur du Pentagone pour un grand contrat d’avions ravitailleurs en vol), soit en remettant en cause le statut et les conditions de certains programmes de coopération (cas du JSF), soit en tentant de susciter des regroupements et des achats de sociétés européennes.