Barbares et Civilisation

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Barbares et Civilisation

07 octobre 2023 (15H40) – D’un côté, il y a le président russe dans son exercice habituel du discours de Valdaï. Jamais Poutine n’ennuie et il y a toujours quelque chose de substantiel à picorer dans ses interventions ; particulièrement, certes, depuis l’intervention en Ukraine, et cette remarque vaut alors pour chaque discours, et plus encore pour celui-ci.

Cette fois, il était question de civilisation, et même du modèle de l’“État-civilisation” à propos desquels nous avons récemment retenu des réflexions du Chinois Zang Weiwei pour les présenter et les commenter. Je rappelle ici de quoi l’on parle, de façon non seulement à avoir à l’esprit une définition importante mais aussi comme référence pour nous signifier à quelle hauteur se développe le propos du président russe :

« C’est un passage intéressant de la notion d’“État-nation” à celle d’“État-civilisation”. L’expression est toute-récente selon la définition qu’en donne “L’Encyclopédie alternative” ‘Metapédia’ :

»  “L'État-civilisation (‘civilization state’) est un concept apparu au cours des années 1990 et décrivant au départ la situation de la Chine et de la Russie. Il vise des États pouvant, en s'appuyant sur leur culture et leur histoire de longue durée, constituer une sphère d'influence allant au-delà de leur territoire national ou de leur groupe ethnolinguistique. L’État-civilisation est présenté comme étant appelé à prendre le dessus sur le modèle occidental de l’État-nation qui serait périmé. Cette notion peut également s'appliquer à l’Inde, à la Turquie et à l'Iran.” »

Je ne ferais certes pas une analyse critique du discours de Poutine (avec questions-réponses), parce que d’autres s’en sont chargés infiniment mieux que je ne pourrais le faire, et en qui j’ai toute confiance. La paire Christoforou-Mercouris a fait une vidéo agités par des rires et des sourires de connivence et de satisfaction. On les sentait sortis du marais courant qui les fait fréquenter les Biden, Scholz, Nuland, Zelenski courants pour éprouver une sorte de béatitude à la fois complète et sans la moindre sollicitation d’une croyance, justifiée par du fait vrai, par une pensée claire et nette, par une fréquentation insolite si inhabituelle de tels sujets, dans les temps qui vont à vau l’eau.

Il y eut un fou-rire général des deux, – chose assez rare, – lorsque Christoforou osa cette comparaison :

« Quand on pense à la réunion des ministres des pays de l’UE, en Espagne, en cours actuellement... »

Enfin, Mercouris exposa longuement le propos du président de la Fédération de Russie, – qui était donc une véritable vision. L’entretien impliquait effectivement que la structure civilisationnelle générale devrait s’articuler désormais autour de l’idée d’ État-civilisation,

«... des États-civilisation devant s’accepter les uns les autres, travailler les uns avec les autres, chacun montrant les productions de son travail avec entre eux le principe absolu de l’égalité... Personne n’est autorisé à décerner des notations et des scores et dire que cet État-civilisation est inférieur à tel autre, et dire aux autres “Vous devez changer cela, faire comme je fais et si vous ne faites pas vous régressez”, vous comprenez.. Mais si vous trouvez chez l’autre  quelque chose qui vous intéresse et que vous ne craigniez pas de l’intégrer, alors vous le faites pour votre compte, sans rien perdre de votre indépendance, vous comprenez ...

» Et vous devez ainsi créer un concert de nations pour que tous travaillent ensemble, – et il [Poutine] mit ainsi clairement en évidence sa vision...C’est une magistrale leçon de tolérance...

» Vous voyez, pas d’égalité forcée, antinaturelle, mais l’égalité des considérations des différences identités, mais respect des différence  sans établir ni supériorité ni compétition, mais la recherche de développements parallèles sans que personne ne bénéficie d’aucun avantage d’appréciation puisque nul ne recherche l’affirmation d’une supériorité civilisationnelle sur les autres... »

Il n’est pas nécessaire d’en dire plus pour rendre compte de la qualité du discours et de l’état d’esprit de son auteur, – constaté sans même se prononcer sur le fond de ces observations. Cela nous conduit à une seconde intervention dans le but d’offrir une comparaison justement de discours et d’état d’esprit.

Il s’agit d’Hillary Clinton. On a déjà signalé qu’elle était comme on dit “de retour” et on a présenté ce retour avec une certaine ironie acerbe qui n’en diminue pas moins le statut important qu’elle occupe aux USA en tant qu’ancienne Première Dame, ancienne sénatrice, ancienne secrétaire d’État et candidate-élue-d’avance malheureuse de Trump... Je veux dire par là qu’elle occupe un rang dans la politique du même niveau que Poutine dans le monde politique russe, donc comparaison acceptable.

La voici donc avant-hier, passant dans une émission de PBS :

« On a même sorti l’épouvantable Hillary de la naphtaline, elle qui fut la principale inventeuse/inventrice de cette cabale russe pour dissimuler ses propres actes complètement illégaux, véritables  “fautes d’État”, notamment avec l’usage qu’elle fit de ses courriels officiels en tant que secrétaire d’État pour ses besoins personnels, notamment de promotion. Comme les mauvaises herbes, elle est absolument increvable après avoir menti, corrompu et été corrompue, trompé, fraudé, diffamé, etc. Elle parvient même à désigner, dans une nouvelle performance, le propagateur principal de Russiagate, dans le chef du réseau RT ; – ce qui permet à RT de nous offrir une manchette et un long compte-rendu puisque l’occasion est trop belle. »

Le lendemain, elle passe sur CNN, face à la redoutable Christine Amanpour, qui se promène en général avec une proie encore sanglante entre ses mâchoires de crocodile télégénique. Amanpour se montra ravie des propos de Clinton lorsque celle-ci estima qu’il était temps de « déprogrammer les membres de la secte » que sont les partisans de Trump, les MAGA.

« Il est vrai qu'un grand nombre de ces extrémistes, de ces extrémistes MAGA, reçoivent leurs ordres de Donald Trump, qui n'a plus aucune crédibilité, quelle qu'elle soit. Il n'en fait qu'à sa tête. Il se défend maintenant dans des actions civiles et pénales. Et quand rompront-ils avec lui ? Parce qu'à un moment donné, vous savez, il faudra peut-être déprogrammer officiellement les membres de la secte, mais il faut que quelque chose se passe. »

Cette fois-ci, il y a des commentaires, dont certains sont stupéfaits par ces propos. On le voit sur la chaîne ‘Rising’ de la publication ‘The Hill’, où une des présentatrice, Jessica Burbank, fait une longue intervention sur la folie de Clinton, qui ne propose rien de moins que d’envoyer les supporteurs de Trump vers « quelque chose qui n’est pas différent du Goulag » (vidéo à partir de 02’00”).

Jonathan Turley n’a heureusement pas laissé passer l’occasion sans dire ce qu’il pensait de cette étrange et sensationnelle “clintonnerie”, – l’expression désormais affectionnée pour qualifier les sorties de cette vieille dame très propre sur elle et satanique  mesure, et d’une arrogance à couper le souffle. Turley en fait donc un article sévère, où Amanpour est mise dans le même sac, en toute justice :

« Déprogrammer les “déplorables” : Clinton évoque la nécessité d'une “déprogrammation formelle” des partisans de Trump.

» L'ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton a provoqué un nouvel émoi en suggérant que les millions de partisans de Trump pourraient avoir besoin d'une "déprogrammation formelle" lors d'une interview sur CNN. Ce moment a manifestement été apprécié par Christiane Amanpour, de CNN, qui avait précédemment suggéré que le FBI aurait dû empêcher Trump de faire certaines déclarations lors de sa campagne.  Même l'ancien directeur du FBI, James Comey, s’était opposé à la censure suggérée par Amanpour. Aujourd’hui, Amanpour a manifestement trouvé une âme sœur. [...]

» ...Aujourd'hui, Amanpour a trouvé un leader qui est prêt à traiter ses opposants politiques comme des sectaires malades. Ce sentiment de supériorité arrogante est précisément la raison pour laquelle Hillary reste l'une des personnalités politiques les plus impopulaires d'Amérique. Ce qui est ironique, c'est de voir Amanpour et Clinton dénoncer la droite pour sa rhétorique imprudente et ses sentiments antidémocratiques, alors qu'elle exprime des opinions intolérantes et incendiaires. »

Et là, nous arrivons au cœur du propos et à sa conclusion, – tous deux très courts, – qui sont de comparer deux personnalités de même niveau politique, l’une Russe et l’autre américaniste ; l’une faisant partie d’un monde qu’il nous est coutumier de considérer comme barbare, rétrograde, frustre ; l’autre appartenant à la crème des crèmes du fleuron flamboyant de l’humanité, destiné à nous guider vers des lendemains qui chantent et même qui swinguent.

Faut-il lourdement expliquer et s’expliquer ou laisser dire et faire le sens commun ? Plein d’espoir, je laisse dire et faire.