Barbarossa’-2022

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 5347

Barbarossa’-2022

12 juin 2022 (16H10) – Au départ, la chose paraît éventuellement intéressante quoiqu’étrange, ou quelque chose d’aussi vague, lorsque vous lisez le titre : « L’Ukraine recevra des armes lourdes allemandes à une date symbolique ». Puis le texte, peu de précisions, juste une expression, – « vers le 22 juin », – quelques lignes d’appréciation plus que d’explication, et puis le reste sans importance. Ce texte et son titre sont publiés sur ‘Russia Today’ alias RT, – en général défini comme « un organe de propagande » financé “par l’État” (russe), par les élites européistes et libérales, – et néanmoins ou ‘par conséquent’ censureuses ; et donc institution diabolique, hautement condamnable, d’ailleurs condamnée avant d’être jugée, apostrophée et mise à l’index, relaps et excommuniée dans les bonnes formes, – détestée dit-on par Macron, ce qui est un indice du type ‘start-up’, – “En joue, Feu !”...

Par conséquent, en voici la première partie :

« L’Ukraine recevra le premier lot d’armes lourdes de l’Allemagne vers le 22 juin, a déclaré vendredi l'ambassadeur ukrainien à Berlin, Andrey Melnyk, au journal ukrainien Novoye Vremya. La livraison devrait inclure sept obusiers PzH 2000 promis par la ministre allemande de la Défense Christine Lambrecht début mai, a-t-il ajouté.

» “Nous recevrons ces systèmes vers le 22 juin”, a déclaré M. Melnyk, en faisant référence aux obusiers et en critiquant une nouvelle fois Berlin pour sa lenteur dans la livraison d'armes. La date mentionnée par l'ambassadeur correspond au jour même où l'Allemagne nazie a envahi l’Union soviétique en 1941. À l’époque, l'URSS comprenait l’Ukraine et la Russie, et l’Ukraine a été l'un des premiers territoires soviétiques attaqués par les nazis.

» M. Melnyk lui-même n'a pas commenté le choix de la date. En revanche, il a déclaré que l'Ukraine recevrait 15 systèmes de défense antiaérienne autopropulsés ‘Gepard’ d’ici la fin du mois de juillet et une autre livraison de 15 systèmes ‘Gepard’ un mois plus tard. »

Puis viennent quelques paragraphes pour terminer le texte, et cette deuxième partie plus longue que la première, avec l’historique des livraisons d’armes allemandes, avec quelques précisions sur des relations qu’on peut qualifier de “compliquées” entre les Allemands et l’Ukraine, enfin avec l’habituel deux-paragraphes rappelant les débuts du conflit, selon les mêmes formules, dans chaque texte de RT sur la situation directement liée à Ukrisis. Là-dedans, plus un mot sur le « vers le 22 juin ». Je les transcris pour la clarté de la démonstration, en précisant qu’ils n’apportent rien à l’affirmation initiale et qu’ils sont d’un intérêt par conséquent tout à fait marginal.

« Le ministère allemand de la défense avait précédemment confirmé son intention d'envoyer 15 systèmes ‘Gepard’ à l’Ukraine en juillet. Berlin fournit des armes à Kiev presque depuis le début de l'opération militaire russe, fin février. Pourtant, toutes les livraisons n'ont jusqu'à présent concerné que des armes légères, des missiles antichars et antiaériens portables, ainsi que des munitions et du carburant.

» La politique du gouvernement allemand à cet égard a été fortement critiquée par Kiev, certains pays de l'UE et même les partenaires de la coalition du chancelier Olaf Scholz. M. Melnyk lui-même n'a pas mâché ses mots pour critiquer le gouvernement allemand et a même traité M. Scholz de “saucisse indignée” en raison de son refus de se rendre à Kiev après que les autorités ukrainiennes ont snobé le président allemand Frank-Walter Steinmeier à la mi-avril.

» Vendredi, l'ambassadeur ukrainien a de nouveau accusé le gouvernement allemand de retarder les livraisons d'armes lourdes et a déclaré que Kiev avait déjà conclu des accords avec des fabricants d'armes allemands qui attendent l'approbation du gouvernement depuis des semaines.

» La Russie a attaqué l'Ukraine fin février, suite à l'incapacité de Kiev à appliquer les termes des accords de Minsk, signés pour la première fois en 2014, et à la reconnaissance éventuelle par Moscou des républiques du Donbass de Donetsk et de Lougansk.

» Le Kremlin a depuis exigé que l'Ukraine se déclare officiellement comme un pays neutre qui ne rejoindra jamais le bloc militaire de l'OTAN dirigé par les États-Unis. Kiev insiste sur le fait que l'offensive russe n'a pas été provoquée et a nié avoir l'intention de reprendre les deux républiques par la force. »

Ou bien tout cela, avec son « vers le 22 juin » et le rappel que c’est la date du début de l’Opération ‘Barbarossa’, est pure interprétation de la part des Russes et n’a aucune réalité ; ou bien avec une intention de la part des Ukrainiens ; ou bien une sorte d’étrange (?) choix délibéré et bien imprudent de la part des Allemands ; ou bien n’importe quoi d’autre, que sais-je. La seule chose que l’on peut dire d’assuré est que la précision-imprécise du « vers le 22 juin » est assez étrange, – puisqu’en effet précise et imprécise à la fois.

Dire “vers le”, c’est affirmer l’imprécision ; ajouter le 22 juin, c’est compléter par une précision contradictoire à cette affirmation d’imprécision. Dans un cas semblable, s’il y a effectivement imprécision, on dirait “vers le 20 juin”, ou “vers le 25 juin”, ou “d’ici la fin du mois”, ou “dans les dix jours”, ou “dans la semaine”, etc. Mais le 22 d’un mois est une date complètement inadéquate pour se référer à une période de plusieurs jours de ce mois où existe la possibilité de l’acte qu’on décrit.

Par contre, c’est incontestablement une date-anniversaire du grand événement de 1941, qui a pour certains une forte parenté symbolique avec Ukrisis. Cette “parenté symbolique” conduirait, sans esprit soupçonneux excessif dans le contexte où l’on se trouve, à suggérer que celui qui l’établi porte un regard plutôit positif sur l’événement, donc sur les actes de l’Allemagne nazie, donc sur l’Allemagne nazie, donc sur le nazisme. Cela est d’autant plus concevable que l’on sait bien, lorsqu’on a le regard hors de la boue collante de la gluante et puante propagande (la vraie, mon Dieu !) américaniste-occidentaliste, combien cette affaire d’Ukrisis repose sur un fond bruyant, sonore, et parfois cruel, du rappel de l’Allemagne nazie et du nazisme, selon une géographie allant des pays baltes à l’Ukraine.

On comprend ce que je veux dire, et l’on doit aussi comprendre qu’il ne m’importe guère de trancher entre les différentes interprétation proposées. Ce qui m’intéresse, c’est l’interprétation aussitôt symbolique, que ce soit celle de RT seul, ou bien de RT et du ou des protagoniste(s) de la chose. Ce qui m’intéresse encore plus, c’est l’inscription de ce fait improbable ou aléatoire dans un contexte de plus en plus écrasant où traînent les fantômes terribles de la Deuxième Guerre mondiale et du nazisme.

Certes, cela n’est pas une découverte, mais la persistance du symbole et sa multiplication marquent combien les principaux acteurs de cette Ukrisis sont marqués par le poids formidable de l’affrontement inouï qui eut lieu (les « trente millions de morts » de Finkelstein), dans ces régions, au cœur de la Deuxième Guerre mondiale ; et combien ce qui était depuis1945 considéré comme la marque du Diable lui-même (le nazisme) est devenu quelque chose d’assez fréquentable, au prix d’à peine quelque effort de maquillage, je veux dire de propagande.

On a déjà dit de quel renversement inouï il s’agit (sur ce site, dès 2014, ici et ici) et dans quelle effroyable contradiction il nous met, propagande d’hier contre propagande d’aujourd’hui, mensonges pour mensonges et combien ce qui vous lapide dans ce cas vous fait vertueux dans cet autre, – comme l’exprimait Régis de Castelnau le mois dernier :

« On retiendra en particulier, l’exemple de la volonté furieuse de minimiser la présence et l’influences néonazies en Ukraine, et ce contre des évidences admises en Occident il y a encore quelques mois. Disparus les emblèmes nazis, les retraites aux flambeaux, les grands portraits de génocidaires dans les rues, les rapports des organisations internationales de défense des droits de l’homme, les rapports parlementaires français et américains, les vidéos des exactions etc. etc. Non le danger fasciste, il était en France avec la présence de Marine Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle. »

Devant cette persistance symbolique, devant cette symbolique qui ne cesse de vous saisir dans ses griffes, je ressens plus qu’en aucune autre occurrence l’extraordinaire importance et la colossale puissance des événements mystérieux et sacrés qui nous entraînent. Je mesure cela, comme d’une bien plus grande signification que les diverses circonstances, même si cruelles et déchirantes, caractérisant les différents échelons et domaines de la crise nommée Ukrisis. Le retour, sans épisode méta-hystérique des habitués du domaine, sur la scène du monde d’une séquence métahistorique si démoniaque et absolument définie comme telle par les plus hautes instances (c’est leur responsabilité), et sous les applaudissements à peine contenus et certainement pleins d’aboiements convaincus de la valetaille du Système, ce retour absolument stupéfiant est sans aucun doute un signe de l’exceptionnalité de la séquence, de sa puissance métahistorique.

Ainsi, dirai-je, ce « vers le 22 juin » est peut-être, en termes rationnels, le fruit d’un hasard de propagande, d’un hasard d’interprétation, ou d’un hasard tout court. Mais il est aussi pure création métahistorique dont le vertige nous dépasse, par les pensées et les suppositions qu’il fait naître ici, par le silence voire l’indifférence qu’il suscite là. Voyez-vous la différence étonnante de la couleur de la vision et de l’humeur de la plume, entre les références concernant nos dirigeants-grotesques et leurs humeurs-censureuses, avec leurs amitiés-particulières et leurs narrative touchantes à force de mensongeries nigaudes et fort mal rasées, et les perspectives vertigineuses auxquelles nous conduisent les simples traces que nous avons suivies dans notre ascension, à partir