Barroso, l’UE et Washington: on a les coups de force qu’on peut

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Barroso, l’UE et Washington: on a les coups de force qu’on peut

Un lecteur, “Xaxax Xaxax”, nous soumet une dépêche d’AFP de Bruxelles, du 22 février 2010, et nous demande: «Ambassade UE aux US, qu’en pensez-vous?» Bien que ce lecteur ne soit pas abonné alors qu’il s’agit d’une condition pour participer à la rubrique Ouverture libre, nous faisons une exception en laissant notre commentaire, effectivement, en “lecture libre”, pour qu’il puisse y avoir accès. Nous comprenons que la prise d’abonnement à dedefensa.org est pour l’instant peu aisée, – ce à quoi il sera remédié sous peu…

Voici donc la dépêche, puis notre commentaire.

«Controverse autour de la nomination de l'ambassadeur de l'UE à Washington

»Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et la chef de la diplomatie de l'Union européenne Catherine Ashton se sont retrouvés lundi mêlés à une controverse sur la nomination du nouvel ambassadeur de l'UE à Washington, critiquée par certains pays.

»La semaine dernière, M. Barroso a désigné son ancien chef de cabinet, Joao Vale de Almeida, un haut fonctionnaire européen, Portugais comme lui, au poste très convoité de chef de la délégation de l'Union européenne dans la capitale américaine. Une fonction revue en hausse par le traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre.

»Le haut fonctionnaire remplace à ce poste un ancien Premier ministre irlandais, John Bruton, qui avait quitté ses fonction en octobre 2009.

»Le ministre suédois des Affaires étrangères, Carl Bildt, a ouvertement critiqué la procédure, regrettant que M. Barroso ait agi de son propre chef, sans que Mme Ashton consulte au préalable les Etats de l'UE, et laissant entendre qu'on aurait pu trouver une personnalité d'un plus grand calibre.

»“Il y a eu clairement une décision de la Commission européenne de revoir en baisse” le profil du poste, s'est plaint lundi M. Bildt devant la presse, en marge d'une réunion avec ses homologues de l'Union européenne, après avoir écrit une lettre à ce sujet à tous ses collègues.

»“Je ne suis pas vraiment certain que cela soit en conformité avec les ambitions du traité de Lisbonne” et que cela ait été “la bonne chose à faire”, a en outre estimé M. Bildt.

»La Suède juge en effet que M. Barroso et Mme Ashton auraient dû respecter l'esprit du traité de Lisbonne prévoyant que les Etats de l'UE soient consultés pour ces postes prévus dans le tout nouveau service diplomatique européen, le Service d'Action Extérieure, en cours de création.

»Une trentaine de postes importants doivent être pourvus prochainement en son sein. Ils sont l'objet d'une âpre compétition entre la Commission européenne et les Etats, mais aussi entre les différents Etats. Les nouveaux pays membres de l'UE notamment, en Europe de l'Est, redoutent d'être laissés pour compte.

»La procédure choisie pour la désignation de l'ambassadeur à Washington n'a pas été non plus du goût de la France.

»Le secrétaire d'Etat français aux affaires européennes, Pierre Lellouche, l'a fait savoir lundi à Mme Ashton. Il a annoncé qu'il écrirait lui aussi une lettre pour préciser que la France souhaitait “l'application de tout le traité, mais rien que le traité” et donc “que les Etats soient consultés”.

»Mme Ashton a reconnu que “deux ou trois Etats auraient aimés être plus impliqués” dans la nomination, tout en affirmant avoir suivi la “bonne procédure”: elle argue que le poste était vacant depuis octobre 2009, soit avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

»Mme Ashton a aussi rejeté les critiques sur le profil du futur ambassadeur. “C'est moi qui ai pris la décision”, a-t-elle dit, et les Etats-Unis sont “tout à fait enchantés”.

»Une manière pour elle de chercher à dissiper le soupçon selon lequel elle se serait vu imposer ce choix par un José Manuel Barroso soucieux de placer un proche à ce poste diplomatique sensible, alors qu'elle peine elle-même à s'imposer sur la scène européenne, trois mois après sa désignation.»

Notre commentaire

Pour rappel (pour ceux qui savaient), l’Article 13bis du traité de Lisbonne indique:

«Dans l'accomplissement de son mandat, le haut représentant s'appuie sur un service européen pour l'action extérieure. Ce service travaille en collaboration avec les services diplomatiques des États membres et est composé de fonctionnaires des services compétents du secrétariat général du Conseil et de la Commission ainsi que de personnel détaché des services diplomatiques nationaux. L'organisation et le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure sont fixés par une décision du Conseil. Le Conseil statue sur proposition du haut représentant, après consultation du Parlement européen et approbation de la Commission.»

L’exposé du dossier de cette tempête dans un verre d’eau bureaucratique est assez bien vu. Barroso a effectivement transgressé l’esprit du traité (de Lisbonne), et l’argument formel d’un poste à pourvoir depuis octobre 2009, avant l’entrée en vigueur du traité, est évidemment complètement spécieux. Les réactions des Etats-membres sont extrêmement fermes. La lettre circulaire de Carl Bildt exprimant son mécontentement est une procédure complètement exceptionnelle, qui marque sans aucun doute une réelle tension au sein des institutions européennes, avec les Etats-membres.

D’une façon plus précise et moins diplomatique, on peut dire qu’il s’agit là d’un acte du “Barroso nouveau”, tel que nous le décrivions succinctement dans l’avant-dernier paragraphe de notre Bloc-Notes du 24 février 2010. Traité de tous les noms pour son immobilisme bureaucratique, vexé, furieux, Barroso se lance dans l’activisme également bureaucratique. Il fait des coups d’Etat qui sont à peine des coups d’éclat, qui sont de la pure sauce bureaucratique, qui vont attiser une belle tension à l’intérieur des institutions européennes.

Il semble que personne n’était averti de la décision de Barroso. Les Etats-membres l’ont apprise en général par la presse. Ashton, qui défend ce choix jusqu’à affirmer sans rire qu’il a été fait par elle-même, agit selon le principe qu’on est obligé d’embrasser celui qu’on ne peut étouffer. Elle aussi, nous dit-on, n’était sans doute pas informée et a du consulter la presse pour apprendre ce qui se passait dans les services qui dépendent nominalement d’elle (bien qu’elle n’ait pas encore été officiellement intronisée par le Conseil, n’ayant pas encore présenté aux Etats-membres son équipe et ses ambitions). Cette décision de Barroso constitue d’abord un empiètement sur ses pouvoirs à elle, toujours selon la même logique de l’antagonisme évoqué dans le Bloc-Notes déjà cité.

Joao Vale de Almeida venait d’être nommée à la direction générale de la DG Relex (Relations Extérieures), qu’il quitte aussitôt en y laissant un complet désarroi. Barroso n’en a cure puisqu’il ne veut en l’occurrence qu’apparaître actif et défendre son pouvoir bureaucratique. Il a choisi l’ambassade de Washington à cause du prestige du poste et parce qu’on connaît bien son tropisme transatlantique. Pour le reste, ce gâchis place un ignorant des affaires washingtoniennes à la place d’un homme (John Bruton) connu pour ses analyses fines et sans fard du chaos washingtonien. Qu’importe d’ailleurs puisque personne à la Commission, sauf quelques oiseaux rares, ne tient compte de la réalité washingtonienne dans les analyses qui sont faites de la situation là-bas et des relations transatlantiques, et donc personne (sauf les oiseaux rares) ne tenait réellement compte des analyses de Bruton. Celles de Joao Vale de Almeida, qui seront probablement des “copiés-collés” de la presse-Pravda du coin, feront bien l’affaire

Le “coup d’Etat” de Barroso est à la mesure du personnage. A l’immobilisme médiocre succède l’activisme médiocre dans lequel il ne faut voir nulle intention politique de la moindre envergure. Simplement une bataille assez piètre pour les pouvoirs des uns et des autres, puisqu’ils s’imaginent avoir quelque pouvoir. Le seul résultat tangible sera de discréditer un peu plus l’institution européenne et d’inviter les Etats-membres à la contourner un peu plus. C’est la meilleure chose qu’on peut souhaiter.

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