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590919 décembre 2018 – Pour une fois, je vous parlerais de la Belgique où je réside, par les étranges chemins de fortune et de l’Histoire, depuis la fin de 1967. J’en ai donc vu des crises, absolument pas intéressé par la chose, les incroyables nœuds gordiens des querelles communautaires. Si je fais le compte du temps où je restais avec une demie-oreille attentive au brouhaha politique, – c’est-à-dire jusqu’à la fin de la décennie des années 1990, – je ne me suis vraiment intéressé qu’à trois reprises aux soubresauts politiques belges :
• lors du choix des avions de combat (deux épisodes que je mets ensemble, 1974-1975 lors du choix du F-16, et 1986-1989 avec l’offre-Rafale de la France, et éventuellement today si on reparle du JSFvs Rafale puisque les partisans jusqu’à l’os de l’avion US, autour du ministre flamand à la défense, ont quitté le vaisseau et que la décision du pseudo-choix n’a été que pseudo-formelle) ;
• en 1979-1983, lors de la crise des “euromissiles”, avec surtout la décision de l’OTAN après un vote sérieux des pays-membres, de la “double-décision” de décembre 1979, et une époque politico-militaire jusqu’à la crise yougoslave des années 1990 où l’on trouvait des gens de très grande qualité chez les diplomates et les généraux belges ;
• en 1996 pour l’incroyable “affaire Dutroux”, son écho, sa puissance de communication, sa révolution pour les causes humanitaires et sociétales.
Depuis le début du siècle j’ai coupé le son et l’image est brouillée jusqu’à paraître entropisée, moi-même complètement étranger à ce qui se passe dans ce pays... Jusqu’à aujourd’hui, où j’ouvre un demi-œil de caïman sur la crise qui éclate sur fond d’agitations-GJ, la Belgique toujours un peu synchro avec la France pour ce qui est du désordre et des déclamations. Pour les nouvelles, lisez les Russes c’est court et parfois drôle, et puis au moins c’est du FakeNewsisme pur-jus, – plutôt que les canards franco-parisiens qui en font des tonnes chez eux, dans le caviardage incroyablement grossier jusqu’à péter de rire, et parlent donc des Belges avec les mêmes accents, avec l’ironie parisienne et persifleuse en plus. Les Français n’ont jamais su parler des Belges, sauf Talleyrand lorsqu’il était à Londres, Baudelaire à Bruxelles lorsqu’il parlait du bourgeois bruxellois, et Bainville lorsqu’il écrivait en 1914 que le Roi-Soldat (Albert the-One) ferait un bon souverain pour la France en guerre (sérieux, dans L’Action Française).
Pour avoir un bon écho, à la fois du style pompeux et moralisateur des éditorialistes (francophones) qui ont toujours un œil vers les salons parisiens ; à la fois, par conséquent, combien tout cela sent son Gilet-Jaune quasi-directement importé, entre les lignes ou droitement écrit cela éclate ; la sorte de frasques que les bourgeois bruxellaires ont en une sainte et laïque horreur... Lisez donc deux extraits des éditos et voyez le ton élevé de la chose, l’alarme constitutionnelle, l’avertissement aux délégitimations, style très-GJ :
• « Quel désastre pour la politique », explique Béatrice Delvaux dans l’édito du Soir.« Après trois semaines en absurdie, le Premier ministre a remis hier soir son sort et celui de son gouvernement entre les mains du Roi. Plus rien sur le pouvoir d’achat, plus rien sur le climat et un budget en douzièmes provisoires : la Belgique se retrouve dans une situation irresponsable. […]À l’heure où l’on pointe la grave déconnexion entre les citoyens et les élites, politiques notamment, à l’heure où les sociétés sont profondément inquiètes, à l’heure où les extrêmes font vaciller nombre de démocraties en Europe, les partis politiques belges étaient donc occupés à gérer leur nombril, leur image et leur court terme : l’élection. […]Mais qui peut croire encore ces gens ? La politique est affaire de tactique, mais elle est d’abord et avant tout affaire d’éthique. Et cela a été cruellement oublié.
» On ne peut pas instrumentaliser un problème pour “chauffer” l’électeur et semer une division dangereuse », conclut Béatrice Delvaux.
• « Les élections anticipées de fin janvier ne sont plus à exclure », avertit La Capitale. Demetrio Scaglio, dans son édito, « Réinventer notre démocratie d’urgence », écrit que d’impression qu’elle était, « la crise s’est officiellement ouverte avec la démission du gouvernement minoritaire et éphémère de Charles Michel. […] Ce qui saute aux yeux, désormais, c’est cette furieuse envie de l’opinion publique de se passer des pouvoirs classiques et de pouvoir écrire elle-même sa propre histoire. Bien sûr, cette aspiration radicale peut pousser le pays vers des chemins aventureux voire dangereux. Mais la démission du gouvernement de Charles Michel et le petit ballet convenu autour du Palais royal ont pris un fameux coup de vieux, comme ringardisés par les Gilets jaunes, les marches pour le climat et autres formes de mobilisation populaire. Si notre pouvoir démocratique veut renouer avec sa légitimité, il doit impérativement s’ouvrir à ces nouvelles formes de démocratie directe et participative : votations, comités citoyens, référendums, consultations régulières. Si cette petite crise en chambre aura permis à nos gouvernants d’ouvrir les yeux et de réinventer notre système démocratique, elle n’aura, pour une fois, pas été vaine. »
Tout cela écrit, moi je n’ai rien dit. Je ne fais aucune prévision, encore moins de prédiction... Simplement, je crois que rarement sinon jamais, une crise tordue et embrouillée comme quasiment seuls les Belges savent faire, n’est intervenue dans ce pays dans un moment de tension européenne et française si extrême, et tension descendue dans la rue du grand voisin du Sud si souvent imité. La Belgique est un pays sage et bien rangé qui s’enflamme avec régularité d’une façon extraordinairement rapide et furieuse.
Je n’ai vécu, vu mon grand âge, ni la question royale de 1950 ni les “Grandes Grèves” de 1960-61 où un André Renard voulait faire de la Wallonie un petit coin de paradis soviétique socialiste, mais on m’a raconté ces deux crises de témoignages vécus, comme deux épisodes d’une vraie guerre civile continuée d’une décennie l’autre. Par contre, j’ai vécu l’“affaire Dutroux” et j’ai vu un formidable et immense incendie assorti d’une crise psychologique paroxystique et d’élans sociétaux-McCarthystes embraser ce pays alors que personne, absolument personne n’avait rien vu venir. (Cela ne vous rappelle-t-il rien, ô vous-autres, braves Gilets-Jaunes ?)
La Belgique est un pays comme-il-faut et politiquement-très-très-correct, au centre de l’Europe, n’existant que par et pour l’Europe, mère tutélaire et fille prodigue de l’UE. Le désordre à Bruxelles et alentour, c’est un projet tentant, et tout le monde le sait si l’on en juge par la férocité incroyable des flics pour cogner et mater les manifestants “anti-Marrakech” qui voulaient prendre d’assaut l’un ou l’autre bâtiment de l’UE samedi dernier. Une entrée au son d’une mésentente majeure et de type-idéologique sur le “traité de Marrakech” ONU-migration, dans une période type-“affaires courantes” avec un pouvoir réduit aux acquêts de l’instant qui passe, ou type-“élections anticipées”, sans aucune garantie majoritaire, avec l’antagonisme Flamands-Wallons toujours au beau fixe, sur un arrière-plan furieux où la Grande Crise d’Effondrement du Système atteint son rendement maximum, c’est un risque-gros. Ces derniers temps, il y a eu vraiment beaucoup d’“agitation-citoyenne”, des GJ-belges aux climato-alarmistes. La région où j’habite est un terrain fertile pour les survivalistes, qui apprennent à tenter de vivre en autarcie, ou en circuit fermé.
Les anglo-saxons, très maritimes, disent uncharted waters ; les latinistes, qui ont le sens de l’espace et de la civilisation, parlent d’une terra incognita. Moi je ne dis rien mais, ayant consulté le Grand Sachem, je vous conseille de garder une oreille collée au sol, au cas où la marée grondante se mettrait à gronder.
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