Benjamin Griveaux et le problème mondial du logement 

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Benjamin Griveaux et le problème mondial du logement 

Cet obscur porte-parole du pouvoir (on n’ose dire du gouvernement) qui avait déjà fait rire pour des démêlés portiers avec les gilets jaunes, vient de rendre publics ses problèmes de logement parisien. J’ai récemment abordé ce problème bien mondial de l’ogre immobilier, mais l’exemple vaut son pesant d’or.

Le drôle gagne huit mille euros net par mois et il ne peut donc s’acheter d’appartement dans une capitale où le mètre carré dépasse les dix mille euros, soit dix fois le prix du début des années 80, quand les socialistes prirent le pouvoir dans l’hexagone. Depuis que les bobos ont viré la droite dans les arrondissements tendance de la capitale festive, le prix du mètre carré a simplement quadruplé. Nos élites mondialisées vivent bien chichement.

Le porte-parole ne peut donc s’acheter pour un million d’euros ou plus un modeste trois pièces dans le quartier germanopratin, où le maîtres’échange à quinze mille. Il lui faut donc louer mais, même à ce tarif, il ne peut guère espérer mieux qu’un soixante mètres carrés pour lequel il devra banquer entre deux et trois mille euros, suivant la situation.La vérité, c’est que les deux-tiers des parisiens vivent comme des rats, simples locataires, sans voiture et même sans espace.

Je suis passé à Paris ville festive deux fois en dix ans, les deux fois logé par des amis. Dans le septième j’eus droit à un 160 mètres carrés, qui en location vaudrait cinq ou six mille euros, et dans le quinzième arrondissement cette année, à un soixante mètres carrés que mon ami pourra peut-être revendre 700 ou 800 000 euros, soit quatre-vingt années de gilet jaune au travail. Les Français ont arrêté de voter communiste au début des années 80, et le bon capitalisme ne les a pas ratés, ici comme chez les voisins.

Je précise que ces millionnaires en euros n’ont pas de vie de milliardaire ; et que ma grand-mère retraitée dans son dix-neuvième arrondissement était mieux attendue en domesticité que ces drôles de nouveaux riches qui font leurs course chez Ed ou tremblent à l’idée de se payer un modeste steak tartare… Il leur reste deux semaines à Avoriaz ou en Thaïlande pour décompresser.

Je suis allé voir Jean Raspail qui est non plus le seul Français de son immeuble mais de son bloc. Car les vieux Français se font remplacer, pas forcément par ceux que l’on croit, mais par ces bourgeois itinérants, européens, américains, chinois, qui ont fait de cette planète leur résidence secondaire en attendant un départ dans l’espace qui ne vient pas… On est en 2019, alors un petit clin d’œil à Blade runner qui s’est trompé sur tout comme tous les films d’anticipation qui espéraient un futur à la hauteur, dont on n’a eu que les restes ; au final le seul film d’anticipation jamais réussi est et restera Alphaville de Godard : la cybernétique invisible des nazis contrôle les esclaves gris que nous sommes devenus. La prostitution explose dans les grandes villes et, comme dans le film de Godard, les étudiantes londoniennes cherchent un « sugar daddy » pour les entretenir. L’autre film à revoir serait Rollerball (dictature du capital bureaucratique et abrutissement sportif).

Et comme je parlais encore de Paris, je peux encore préciser que la festive ville-lumière est sombre (j’ai les photos) et qu’à minuit on se croirait dans un bled, écolos obligent. Dans le Carrefour City, j’ai pu voir même aussi que les yuppies efflanqués qui logent dans cette métropole carbonisée en prétendant, comme ce porte-parole, faire partie desélites mondialiséesne s’achètent presque rien. Ils grignotent, n’ayant plus les moyens de se nourrir. Tant mieux pour les statistiques de l’obésité. Un ami andalou de passage dans le sud de la France a été frappé par la tristesse de ses gens et de ses fêtes. Et dire que la presse espagnole voudrait faire de Madrid l’égale de Londres ou de Paris, Londres où l’on ne cesse de signaler, en marge des trente mille livres le mètre carré, une centaine de morts par an - soit plus qu’à New York -, des attaques au couteau et à l’acide. Mais quand on est la capitale du monde mondialisé et anglicisé, on ne compte pas… Une émission de la télé française vient de décrire les conditions apocalyptiques de survie des jeunes colocataires dans cette capitale insalubre et devenue digne de la dystopie décrite dans Blade runner. On paie royalement une chambre de bonniche mille euros et on y vit à deux, à dix bornes du centre… A Dublin, m’écrit un lecteur exilé, les agences immobilières demandent 500 euros pour visiter un espace. La demande est telle, n’est-ce pas…

Je ne crois plus qu’il s’agisse là d’un mal propre aux capitales. Mon témoin de mariage, qui est anglais, a envoyé son aîné étudier à Newcastle. La plaisanterie lui coûte vingt mille livres par an (à ce prix-là on réussit ses examens) et la chambre mille livres par mois, plus qu’à Paris. Il y a en effet cinquante mille étudiants à Newcastle, comme dans une centaine de villes anglo-saxonnes à travers le monde, cités adonnées à cette extorsion de fonds qui avait jadis le nom d’éducation. Sous la forme de locataires ou d’étudiants coûteux, les jeunes sont devenus la vache à lait du système. Ce dernier a bien su leur vendre le nomadisme, et les voilà partis (relisez Gilles Chatelet).

Mais les ingénieurs ainsi fabriqués, que deviennent-ils au monde ? Un ami espagnol a deux enfants à Madrid qui, brillants ingénieurs Airbus tous les deux, ne trouvent pas à se loger. Les prix ont doublé en trois ans grâce à la « récupération » économique. Vive les crises, décidément. Et Barcelone est devenue une ville sale, triste, laide, hors de prix avec ses problèmes politiques et sociaux (mairesse communiste et « okupas » bolchéviques aux affaires) ; mais ce n’est pas cela qui la videra. 

Je laisse de côté le mètre carré de Pékin (dix ou vingt mille pour vivre avec un masque sur la gueule), de Perth (90% des australiens vivent dans cinq villes ; je répète : 90% des australiens vivent dans cinq villes hors de prix, dans un pays qui fut immense), de Toronto, de Vancouver, de Séoul et du reste. Mon autre témoin de mariage, qui est chinois et grand voyageur d’affaires, revient de Luanda (en Angola) où me dit-il le mètre carré est au niveau de Monaco (entre cinquante et cent mille euros, alors, Kevin ?), et où surtout, cerise sur le gâteau, la pomme coûte six euros l’unité. On comprend qu’ils viennent à la nage bouffer ici.

Pour New York je suis content de lire que l’on vous indique comment tirer parti de vingt-huit mètres carrés d’espace sur Yahoo.es ; sauf qu’on oublie de vous rappeler que ces vingt-huit mètres carrés vous coûteront 900 000 dollars. C’est Mnuchin, le secrétaire au trésor de Trump, qui vient de mettre en vente son appartement pour la modique somme de trente-six millions de dollars. Avec les baisses d’impôts qu’il a consentis aux seuls milliardaires, on se doute qu’il trouvera rapidement preneur. Tout ce qu’on souhaite à ce charmant pays, c’est l’élection d’Ocasio-Cortez pour quadrupler enfin les impôts des grossiums ; mais elle aura été achetée d’ici là par les lobbies et les oligarques.

Ce monde moderne qui n’a rien de futuriste est une escroquerie qui vire à la crade ânerie sur fond d’effondrement technique, de chute de l’intelligence, d’écroulement du jugement. Plus il s’étend, plus il étend sa forfanterie aux quatre coins d’une planète violée, devenue laide, petite et chère.  

Le désert croît, disait un certain Nietzsche.