Bernanke face au Sénat, avec un brin de contestation

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Quatre sénateurs ont décidé de tenter de s’opposer à la décision de Barack Obama de prolonger Bernanke pour un deuxième mandat à la tête de la Federal Reserve. Ces quatre parlementaires forment une étrange “coalition”, bon reflet de la situation de désordre à Washington. On y trouve trois républicains, en général plutôt classés à droite et pourfendeur de tout ce qui ressemble au “socialisme” et un indépendant, et le seul sénateur à se réclamer de l’appellation de “socialiste”.

Les trois républicains sont Jim Bunning, du Kentucky, Jim DeMint, de la Caroline du Sud, et David Vitter, de la Louisiane (le dernier à avoir rejoint le groupe). Le quatrième est Bernie Sanders, du Vermont, un indépendant qui vote en général avec les démocrates et qui s’intitule lui-même “socialiste démocrate”. (Sanders a lancé au Sénat un mouvement pour obtenir une loi proche de celle que Ron Paul a lancé à la Chambre, pour la mise à jour du fonctionnement et des décisions de la Fed.)

RAW Story, notamment, rapporte, le 4 décembre 2009 les divers détails de cette initiative. Voici quelques déclarations de trois de ces quatre sénateurs.

• Sanders: «The American people overwhelmingly voted last year for a change in our national priorities to put the interests of ordinary people ahead of the greed of Wall Street and the wealthy few. What the American people did not bargain for was another four years for one of the key architects of the Bush economy.»

• Bunning a publié une déclaration écrite adressée directement à Bernanke pour expliquer sa décision (le terme “moral hazard” désigne l’attitude des banques prenant n’importe quel risque parce qu’elle se savent couvertes par l’aide du gouvernement en cas de besoin). «You are the definition of moral hazard. Instead of taking that money and lending to consumers and cleaning up their balance sheets, the banks started to pocket record profits and pay out billions of dollars in bonuses. Because you bowed to pressure from the banks and refused to resolve them or force them to clean up their balance sheets and clean out the management, you have created zombie banks that are only enriching their traders and executives.»

• Vitter a lui aussi publié une déclaration écrite: «Over the past year or so, the Fed has doled out several trillion dollars to any number of troubled institutions through a series of programs that were supposed to turn our economy around. These programs have worsened our economic crisis by making “too big to fail” a permanent government policy and created further debt that will now be the burden of our children and grandchildren. His endorsement of these unsound fiscal policies gives me great pause.»

Bien entendu, il est généralement admis qu’il n’y a aucune chance pour que la confirmation de la nomination de Bernanke soit repoussée par le Sénat. Mais l’activisme de ces quatre “dissidents”, qui peuvent être soutenus par d’autres, va rendre le processus plus long et plus difficile et, surtout, susciter des questions et des polémiques dans son cours, qui mettront un peu plus à jour les turpitudes diverses du processus de lutte contre la crise, et du rôle de la Fed. Pour l’instant, la réponse standard de Bernanke lorsqu’on lui demande si la Fed a commis des fautes est “tout le monde a commis des fautes” («There were mistakes made all around»).

Notre commentaire

@PAYANT Alors que la Chambre des Représentants a la position qu’on sait vis-à-vis de la Fed (voir Ron Paul), le Sénat est une citadelle du conservatisme standard à cet égard. A cette lumière, la manifestation des quatre sénateurs est intéressante (en plus du fait de l’activisme anti-Fed de Sanders, parallèle à celui de Paul, et qui n’a pas été complètement étouffé bien que cela se passe au Sénat). L’intérêt est d’abord de constater l’hétéroclisme d’une si petite coalition, qui réunit ce qui est pour les USA un “extrémiste de gauche” et trois républicains de la droite plutôt radicale, sinon extrémiste, puisque nettement d’orientation populiste, et d’avoir ainsi le rappel qu’on peut trouver au Sénat de telles positions, malgré le filtre impitoyable de l’appareil des partis et du système lui-même. (Même remarque, bien sûr, pour Ron Paul et la Chambre des Représentants. Le mouvement y est certes beaucoup plus vaste, tenant à la structure et à la tradition beaucoup plus “populaire” de la Chambre.)

L’action des “dissidents” n’a donc guère de chance, non, plutôt aucune chance d’aboutir – cela jugé et écrit pour l’état actuel de la situation. Mais, effectivement, elle permet d’alimenter la polémique autour de la Fed et du rôle de Bernanke, elle accentue le mouvement général de contestation larvée des institutions telles qu’elles se sont révélées durant la crise. Mais le mot “révélé” est inapproprié, sinon pour les circonstances. La crise a simplement confirmé l’esprit et le fonctionnement des institutions et l’originalité de la situation est la poursuite de cette contestation, sur le terme durable, alors que les conditions dramatiques de la crise n’existent plus, et cette contestation au cœur même de ces institutions (et, dans ce cas, le Sénat, la plus “institutionnelle” de toutes ces institutions). La contestation n’est pas ridiculisée, elle n’est pas marginalisée, même quand elle vient d’un très petit nombre. Elle correspond évidemment à un climat de malaise général, répondant à la perception diffuse mais puissante de la crise du système.

Encore une fois, notre hypothèse est qu’il ne faut rien attendre de “constructif” dans cette contestation. Cette appréciation continue à être la nôtre même dans le cas d’un Ron Paul, certainement l’élément le plus puissant, le mieux armé et appuyé sur une incontestable popularité dans ce mouvement de contestation. Il nous paraît que la puissance du système, son caractère monolithique, sont trop grands pour permettre une pénétration constructive de la contestation, jusqu’à une réforme fondamentale. Par contre, ni cette puissance, ni ce monolithisme ne sont garantes de l’absolue solidité, ni de l’étanchéité de ce même système. Les machines les plus puissantes et les plus monolithiques, dès lors qu’elles sont de la complexité de ce système, présentent des points de vulnérabilité, qu’il est d’ailleurs en général impossibles de déterminer par avance et le plus souvent avec des surprises à cet égard. La contestation actuelle, dont la Fed est un objectif évident pour toutes les raisons du monde, est un mouvement disparate et peu coordonné mais remarquable par sa durée et son alacrité, dans un système qui s’y entend pour faire disparaître sous les pressions de l’actualité, de la communication et des intérêts divers cette sorte de réaction.

L’effet de la contestation, considéré objectivement et sans considération des intentions des contestataires, même si ces intentions sont honorables et constructives, est de poursuivre un travail de sape contre le système, d’une certaine façon aveuglément (même si l’objectif est identifié dans un cas ou l’autre), simplement pour maintenir une pression déstructurante contre ce système lui-même déstructurant (la pression devenant ainsi indirectement structurante). Le résultat possible est qu’à un moment, quelque chose cède, un de ces “points de vulnérabilité” dont on ne sait rien pour l’instant. Le résultat objectif est l’élargissement du désordre à l’intérieur du système; le résultat objectif, si un de ces “points de vulnérabilité” est touché, sera un désordre plus grand encore, mais surtout devenant plus grand avec une telle brutalité et une telle rapidité que sa substance changera. Le désordre encore rampant deviendra soudain éclatant et tonitruant, et cette hypothèse justifie effectivement que l’on parle d’un “changement de substance”. C’est alors que les choses ne seront plus ce qu’elles étaient jusqu’alors, et ce qu’elles sont encore. Elles ne seront pas prévisibles pour autant, et même au contraire, mais il nous semble impossible que la possible destruction de ce système ne passe pas par des phases de très profonde incertitude dans un désordre généralisé par rapport aux normes de ce système. (Cela ne signifie pas nécessairement un “désordre” au sens commun où on l’entend, impliquant par exemple la violence; il s’agit d’un “désordre” par antinomie avec l’“ordre” du système, donc plus déstructurant que violent – la déstructuration d’un système lui-même déstructurant n’impliquant pas nécessairement la violence, tant s’en faut)


Mis en ligne le 7 décembre 2009 à 08H12