Bernanke, ou l’info en continu

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D’une façon générale, nous sommes à l’époque de la communication, où l’information est largement diffusée, donnant au citoyen l’accès à la connaissance. Cela dit, passons à l’essentiel: savez-vous que le président de la Fed, Ben Bernanke, vient de nous faire une révélation sensationnelle? La crise est quasiment finie, terminado, wiped out…Une revue de détails s’impose, dans laquelle nous sommes loin de prétendre donner tous les détails; disons que ceux que nous donnons sont modestement présentés comme exemplaires.

Dans cette revue de quelques détails, le Times de Londres tient une place elle-même exemplaire. Les références sont: une conférence de Bernanke au Council of Foreign Affairs (CFR) le 8 mars et une interview du même à CBS, émission 60 Minutes du 15 mars, exceptionnelle, recomposée en hâte à la demande des autorités (Obama-Bernanke), suite à l’écho du discours du CFR.

• Le 10 mars, le Times de Londres, avec quelques autres confrères de la plus belle encre, annonce, sous la plume de Elizabeth Judge, que Bernanke nous annonce la bonne nouvelle… «US shares soar on hopes downturn will end in 2009 […] Shares surged in New York today after Ben Bernanke, the Chairman of the US Federal Reserve, declared that the recession could end this year. In a speech to the Council on Foreign Relations, a Washington think-tank, Mr Bernanke gave the most upbeat assessment yet of the global economic meltdown, saying that the gloom could be nearing a close.»

• Le 16 mars, c’est Christine Buckley qui nous annonce, grande nouvelle, la bonne nouvelle: «Bernanke raises hopes for recovery next year […] Fed chief sees recession ending this year but warns political will to fix financial system must stay strong.»

• Le 17 mars, c’est Jim Young, avec l’aide de Reuters, qui publie un texte dans The Times, pour nous signaler, première nouvelle, la bonne nouvelle: «Ben Bernanke: US recession could end in 2009. […] Efforts to nurture the first “green shoots” of economic recovery, led by an upbeat Federal Reserve Chairman forecasting that America’s recession will end “probably this year”, helped to spur a fragile rally yesterday in global markets.»

Maintenant, voyons d’autres appréciations latérales, ou bien multilatérales, ou encore collatérales, concernant ces déclarations de Ben Bernanke.

• D’abord, Irving Stelzer, dans le même Times de Londres (tiens?), dans son édition Sunday Times du 15 mars. Stelzer a manifestement assisté à la conférence de Bernanke au Council of Foreign Affairs et il termine son billet en y faisant référence de cette façon: «Even Fed chairman Ben Bernanke, who ventures a guess that the recession will end later this year or early in 2010, is quick to add that his record is no better than that of Washington’s dismal, last-place baseball team.»

• Le 16 mars, l’International Herald Tribune, reprenant une dépêche Reuters, reprend la même information (vous savez, la bonne nouvelle) en la présentant curieusement, sans doute ignorant de la consigne, sous un aspect bien négligemment peu optimiste: «Bernanke fears lack of will to end crisis. […] The U.S. recession could last most of the year, said Ben Bernanke, the Federal Reserve chairman, warning that the biggest risk was that the political will needed to fix the fractured financial system could be lacking.» Il s’agit bien de la même référence, qui est l’interview à CBS: «…“This decline will begin to moderate and we'll begin to see a leveling off,” Mr. Bernanke said when pressed during an interview on the CBS television program ‘60 Minutes’ about whether he sees the recession ending this year.»

• Dans le même article IHT/Reuters, il nous est précisé que Bernanke avait donné la même estimation devant le Congrès en janvier 2009 et que, depuis, les conditions se sont détériorées mais il maintient tout de même cette estimation: «Mr. Bernanke told Congress in January that the Fed believed there was a reasonable prospect that the recession that took hold in December 2007 would end this year and that 2010 would be a year of recovery. In the rare on-the-record interview, shown Sunday, he largely stuck to that view, while suggesting that recent developments might have dimmed the outlook a bit.» Que se passe-t-il, alors que le Times de Londres nous dit bien, le 10 mars, que l'affirmation de Bernanke le 8 mars est «the most upbeat assessment yet of the global economic meltdown...»?

Curieuse sensation, n’est-ce pas… L’information-prévision du 8 mars, dont on s’est aperçu qu’elle était prise comme une dose d’ecstasy par les marchés, est reprise et réutilisée avec un luxe de fifres et de tambourins, alors qu’elle constitue en réalité une pondération (c’est-à-dire, un peu moins optimiste) d’une estimation déjà donnée en janvier devant le Congrès, et qui avait laissé les susdits marchés, la presse libre et indépendante et Bernanke lui-même (il n’avait pas réalisé ce qu’il disait, après tout) complètement indifférents. Cette estimation de janvier 2009 recommencée en mars 2009, d’ailleurs, prend en compte la récession comme ayant commencé en décembre 2007 alors que, jusqu’en novembre 2008, la version officielle était que les USA n’étaient pas en récession.

Quelque part dans l’entretemps de tous ces exaltants développements, les déclarations de Bernanke devant le CFR, qui ne consistaient en aucune nouveauté mais s’inséraient dans un courant de pression politique contre Obama, se sont révélées être une formidable gâterie pour la fragile et perspicace psychologie des marchés. La décision a été prise, cette fois en concertation avec Obama plutôt que contre Obama, de renouveler l’affirmation du 8 mars, cette fois dans les conditions solennelles d’une interview à CBS, la première par un président de la Federal Reserve depuis 1987. La chose nous est présentée dans l’article du Times du 17 mars, exactement selon les conditions que nous décrivons: «Ben Bernanke, giving the first interview by a Fed Reserve Chairman since 1987, appeared to reinforce a concerted effort by President Obama to talk the economy up. He emphasised that the prospect of America entering its first depression in seven decades had been averted, saying: “I think we’ve gotten past that.”»

L’expression “to talk the economy up” est jolie. (Comment dirait-on? “Relever l’économie par le verbe”? “…par la parole”?) De même, il est affirmé implicitement, c'est-à-dire explicitement, qu’il y a eu concertation entre Bernanke et Obama. Tous les ingrédients d’une action sérieuse contre la crise sont réunis, puisqu’il est avéré désormais que l’incantation est à cet égard l’arme la plus sûre. Il est possible que le G20 “senior” du 2 avril, un jour après le 1er avril, annonce dans son communiqué final que l’accord unanime a été fait sur la décision péremptoire et irrévocable de la fin de la récession, fixée officiellement au 24 décembre 2009 à minuit moins une, histoire de montrer en passant aux islamistes de quel bois se chauffent l’Occident de Wall Street et sa “main invisible”. Ainsi soit-il.


Mis en ligne le 17 mars 2009 à 11H38