«Beyond History...»

Faits et commentaires

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 717

«Beyond History...»


16 décembre 2002 — Un article de The Independent, en date du 15 décembre 2002, présente les armes-miracle qui vont être employées contre l'Irak, dans le conflit imminent qui va évidemment avoir lieu. Évidemment, il s'agit d'armes américaines. Une fois de plus, le conflit va révolutionner l'“art de la guerre”. Ce fut le cas en 1991 (Golfe), en 1995 (Bosnie), en 1999 (Kosovo), en 2001 (Afghanistan). A chaque fois, le monde, évidemment époustouflé, est convié à s'exclamer devant une nouvelle limite repoussée dans la maîtrise quasiment surréaliste de la guerre électronique, technologique et postmoderne. Cette fois ne démentira pas le reste : on nous promet un conflit si rapide que l'ONU aura à peine le temps de ne pas voter ou de voter biebn, selon la “ligne générale”.


« The American weaponry likely to be deployed in any military strike against Iraq is so advanced and hi-tech that some was not even ready to be used in the operation in Afghanistan just 12 months ago.

» With an armoury including satellite imagery that can distinguish a tank from a bus, even through thick cloud, to microwave bombs that can destroy electrical and computer systems without hurting civilians, military planners preparing for war are confident that any strike would be completed in little more than a week.

» “The first Gulf War was fought like the Second World War, with air dominance – pounding their defences, softening up the forces and then going in,” said Daniel Gouré, a military analyst with the Washington-based Lexington Institute think tank. “This will be speedier, more precise – an effects-based operation. It will be much more surgical, both in the use of explosive force and in the overall operation.” »


Suit la description plus précise des nouvelles armes-miracle. Elles sont toutes présentées comme devant instaurer des conditions complètement nouvelles dans le conflit qui se prépare ; des conditions si nouvelles que ce conflit, plus qu'un conflit qui serait un banc d'essai pour de nouvelles armes (une sorte de nième guerre d'Espagne), apparaît comme devant être l'accomplissement d'une supériorité non seulement militaire et technologique, mais quasiment d'une supériorité de civilisation.

L'état d'esprit qui préside à cette présentation laisse augurer du langage qui sera employé et de l'interprétation qui sera donné de ce conflit. Aucune référence n'est faite aux évidents travers de l'emploi de ces armes dans cette sorte de conflits, que ce soit les travers directs, avec les pertes colatérales paradoxalement dûes à la très grande précision de ces systèmes (ce que nous avons nommé “les erreurs de grande précision”) ; que ce soit les travers généraux, avec les tactiques utilisées, qui impliquent d'écarter toute sorte de travail d'engagement terrestre et de pacification. (La guerre d'Afghanistan a vu succéder à une victoire ultra-rapide un désordre larvé qui est maintenant structurel et fait du territoire afghan, à part la “vitrine” de Kaboul, un territoire incontrôlé aux mains de divers groupes de “seigneurs de la guerre”, de chefs locaux, de bandes diverses.)

Le plus intéressant et le plus notable se trouve dans cet état d'esprit sur la guerre “nouvelle” qu'on nous annonce, cette dialectique enivrée et exaltée qui rejoint de facto dans son intensité un autre épisode américain très récent. Le 10 juin 1998, le directeur de la Federal Reserve Alan Greenspan témoignait devant le Congrès sur les questions économiques. Il mentionna explicitement l'existence d'une école d'économistes qui considérait sans la moindre réserve que le boom boursier qui battait alors son plein, ainsi que l'enrichissement qui se poursuivait à un rythme accéléré, ressortaient d'une nouvelle économie qui s'était dégagée des règles (des contraintes) de l'Histoire : une nouvelle économie « beyond history ». Greenspan précisait qu'il ne croyait pas à cette théorie mais sa présentation devant le Congrès lui donnait la caution d'une appréciation de sérieux. C'est effectivement l'impression que donna l'Amérique de Wall Street pendant cette période, d'une Amérique qui s'était installée dans une période “post-historique”, affranchie des règles et de contraintes de l'Histoire, — « beyond history ».

C'est la même impression qu'on éprouve devant le decorum et l'appréciation intellectuelle qui sont en train de s'installer autour du conflit irakien, lequel qui semble être décortiqué, pesé, commenté, élargi, prolongé, etc, avant même qu'il soit fait et avant même qu'on ait trouvé et fabriqué de toutes pièces un casus belli pour le faire. C'est un conflit désormais parfaitement « beyond history ». Cette situation montre que l'exaltation américaniste du temps de Clinton, exaltation quasiment de type métaphysique, s'est accrue et renforcée pour toucher les matières militaires et stratégiques, c'est-à-dire la matières expansionniste et impérialiste par excellence. (L'interprétation économiste de cette fièvre métaphysique pouvait encore être considérée comme intérieure, même si les ramifications de l'économie boursière US sont internationales.) La future guerre contre l'Irak échappe déjà à l'Histoire, pour mettre en évidence, cette fois de façon définitive comme à chaque fois, que l'Amérique exceptionnelle a maîtrisé et brisé l'histoire courante (celle de nous tous) pour s'installer « beyond history » ...

Chacun fera ce qu'il veut de la poursuite à son terme de l'analogie : on sait que la “nouvelle économie” « beyond history » qui devait installer une histoire différente, qui devait être essentiellement une non-histoire après que l'Amérique ait maîtrisée l'histoire commune à tous, s'est terminée brutalement en avril 2000 avec le début de l'effondrement boursier. Aujourd'hui, on n'en parle plus guère.