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29 avril 2007 — Mis en place et institué en 2005 (première session : 2006), le Brussels Forum est, au cœur du printemps de chaque année (fin avril), une énorme machine de relations publiques, mi-experte, mi-propagandiste. Le BF (pour faire court, — et justifier notre titre) fut institué pour soutenir la soi-disant relance des relations transatlantiques lancée début 2005 (voyage de GW à Bruxelles), après le soi-disant froid transatlantique parallèle à la guerre en Irak. Certes, tout cela est de la catégorie du “soi-disant” car tout cela, — ministres, experts, hauts fonctionnaires, parlementaires, des “soi-disant” deux côtés, — est du même monde, du même système, du même bateau.
Le problème semblerait être que le bateau fait eau de toutes parts. C’est là le cœur de notre propos.
Ceci est en effet la caractéristique de la session 2007. Là où l’on a d’habitude un défilé d’analyses convenues, satisfaites et formidablement ennuyeuses selon lesquelles tout va bien à bord, qu’il suffit de remonter les bretelles à l’un ou à l’autre et à lui resserrer sa jugulaire, on eut au contraire un défilé d’inquiétudes, de préoccupations, de supputations inquiètes. Tout cela reste sur le mode chuchotant et dans les meilleures manières du monde. Il reste également que les chuchotements et les manières sont inquiets.
On trouve sur le site superbement tenu et actualisé du BF certaines nouvelles, en direct, de la conférence, les 27 et 28 avril. Nous ne prétendons certainement pas donner toute la quintessence de cette conférence, à laquelle nous n’assistions pas (pas le même monde) et qui comporta de nombreuses tables rondes dont certaines durent certainement être d’un intérêt réel. Nous donnons ici des indications et des extraits venus du site, donc portant l’estampille “officiel”, assortis de nos commentaires de présentation, en attendant plus loin dans ce texte, des deux journées du FB.
• Orateur “européen” très en vue, le Haut Représentant Javier Solana. Il s’adresse aux Américains pour leur donner quelques conseils de fonctionnement.
«Javier Solana, the European Union High Representative for the Common Foreign and Security Policy, told an audience at Brussels Forum today that the United States should consider opening a line of communication with Iran.
»“We have to see how far the U.S. is willing to engage,” Solana said. “I think at this point in time, to have also the U.S. opening a channel of communication with Iran will be worth thinking about.”
• Intervention de Richard Holbrooke, un “poids lourd” connu pour sa brutalité et toujours en attente d’un rôle plus important (on le dit secrétaire d’État d’une éventuelle future présidente Clinton). Holbrooke a marqué la seconde partie des années 1990, dans les relations transatlantiques, avec son rôle dans la crise de l’ex-Yougoslavie (de l’accord de Dayton à la guerre du Kosovo).
«Richard Holbrooke, former U.S. Ambassador to the United Nations, told an audience today during Brussels Forum that the deterioration of the Karzai government threatens the war effort in Afghanistan.
»Holbrooke praised Canada’s commitment in Afghanistan to his fellow panelist Peter MacKay, the Canadian foreign minister, but criticized the rest of the international community — in particular the United States. “There is a massive waste of money by the international community,” he said. “The U.S. is spending billions of dollars in Afghanistan, none of which is reaching the ground.”»
• Un autre problème est abordé: celui de la situation intérieure des USA, notamment pour ce qui regarde la situation législative fondamentale. La présence d’un juge de la Cour Suprême est, à cet égard, un événement inhabituel dans cette sorte de rencontres.
«U.S. Supreme Court Justice Stephen Breyer told a Brussels Forum audience today that the United States must work hard to ensure civil liberties.
»“We should have a tough law protecting civil liberties,” Breyer said. “And if the President thinks that it has to be broken, to save the country, he’ll break it. I used to rather sympathize with that point of view, but I don’t anymore.” »
• Le même compte-rendu de cette session cite également une intervention du ministre allemand de l’intérieur, qui concerne un autre domaine de nos préoccupations générales. Il s’agit du domaine de la perception de la crise du terrorisme, avec la différence de perception entre les USA et l’Europe.
«...Breyer spoke as part of a panel with German Interior Minister Wolfgang Schäuble and Georgetown Law Center Professor Viet Dinh, the principle author of the U.S.’s Patriot Act, which expanded U.S. law enforcement agencies’ authority to fight terrorism around the world as part of the U.S.’s “War on Terrorism.”
»“We don’t use the word war, therefore, we don’t like the word, the American words, ‘War on Terrorism,’ and I always try to explain [to] American colleagues that the word “war,” in the ears of Europeans, doesn’t mean 3,000 victims, it means millions of victims,” Schäuble said.»
D’abord, nos précautions. Comme nous l’avons indiqué, nous ne savons pas tout, loin s’en faut, de la session 2007 du BF. Nous en avons la vitrine officielle. Connaissant l’état du monde, on se doutera que l’officieux, derrière, n’était pas d’une allure beaucoup plus pimpante, qu’il l’était même beaucoup moins. C’est en effet ce qui nous intéresse ici : les quelques interventions rapportées, qui constituent l’“agenda” du BF autant que, selon le choix des organisateurs, la marque et l’esprit de cette réunion, nous signalent un ton et un contenu des choses absolument caractéristiques.
Résumons et synthétisons, si possible en termes plus directs que ceux qui furent employés…
• La politique iranienne des USA est fondamentalement dans l’erreur, selon les Européens. En refusant de “parler” avec l’Iran, les USA suivent une politique étriquée ou brutale, c’est selon, mais, dans tous les cas, une politique improductive et profondément impuissante. Il est temps de changer, conseille fermement le représentant de la diplomatie européenne qui, en cette circonstance, doit avoir l’aval des trois principaux pays européens (Allemagne, France, UK) négociant avec l'Iran.
• L’OTAN joue son va-tout en Afghanistan (alors que les nouvelles continuent à être moins que bonnes, qu’elles spéculent désormais sur une possible défaite de l’OTAN). Ce message de Holbrooke mesure le désenchantement et l’inquiétude de l’establishment transatlantique, — et particulièrement washingtonien lorsque, ô surprise, Holbrooke précise qu’un seul pays (le Canada) fait l’effort nécessaire tandis que les autres, y compris les USA, sont inefficaces. La mise en cause de l’effort US dans ce conflit est inhabituelle pour un homme qui est presque un “officiel” US. La mise en cause de l’OTAN est du type catastrophe universelle pour le système.
• La mise en cause de l’évolution législative interne des USA, par un homme du prestige d’un juge de la Cour Suprême, représente aussi une mise en cause inédite de la situation US. Elle alimente les craintes latentes d’une évolution des USA vers un régime proche d’être policier, voire un régime fasciste.
• L’affirmation crue de la différence de conception de la lutte contre le terrorisme est également importante dans une réunion de cette sorte, venant en plus d’un ministre allemand. C’est mettre en cause indirectement le cimier essentiel de la communauté transatlantique, — la communauté de “valeurs” qui s’exprime naturellement par une communauté de perception du monde.
Cela fait beaucoup pour un BF dont le rôle officieux est évidemment l’exaltation des valeurs communes et de l’idéologie transatlantique. Même si le ton est policé, le débat académique, les sourires et les clins d’yeux amicaux, il reste que les échos de cette session nous montrent surtout l’étalage des différences et des différends entre US et Europe. L’année dernière, le thème était surtout celui de la mobilisation sous l’impulsion américaniste (John McCain en tête, qui avait été la vedette de cette première édition du BF, en avril 2006). Cela signifiait que les dirigeants de l’establishment washingtonien n’avaient aucun doute sur leur propre situation de puissance, et sur le suivisme automatique des Européens.
Le thème, cette année, est surtout celui du doute et de l’inquiétude. Les dirigeants US semblent commencer à se demander quand s’arrêtera cette spirale infernale des enchaînements, d’erreurs, de catastrophes, de prévisions erronées. C’est un signe qu’il faut prendre pour ce qu’il est. S’il est lancé de cette façon si éclatante, vu le prestige de cette manifestation, c’est une indication de la profondeur de ce doute et de cette inquiétude, et qu’ils existent essentiellement à Washington.