BHO down, Poutine up

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BHO down, Poutine up

Le rapport inverse des courbes de popularité des deux présidents des deux puissances qui entretiennent un rapport de confrontation dans la crise ukrainienne suffisamment étendue à d’autres domaines pour être qualifiée de “crise haute ultime” dans sa conception théorique (voir le 24 mars 2014) et “crise de confrontation mondiale” dans sa réalisation opérationnelle (voir le 29 mars 2014), ce rapport inverse est plus qu’un événement statistique et beaucoup plus qu’un événement conjoncturel affectant deux personnalités politiques et leurs politiques elles-mêmes. Il s’agit en vérité d’un événement impliquant le principe de légitimité, et donc transcendant la crise qui suscite l’événement, ou bien témoignant de la transcendance de l’événement en question. Sollicitant l’avis de politologues, Daria Chernichova, de RIA Novosti, consacre une analyse (le 28 mars 2014) dont le centre d’intérêt est la position du président Obama à la lumière de sa baisse de popularité et du sentiment hostile dominant du public pour sa politique dans la crise, mais avec une référence à la position de Poutine, et à la popularité de sa politique.

Du point de vue des chiffres, la position d’Obama pour ce qui est de sa politique étrangère, avec le pic d’intérêt pour la crise ukrainienne élargie, à la mesure de l’importance de cette crise, s’est profondément altérée depuis les débuts de sa présidence. Dans les premiers mois de sa présence, fin 2009, 60% des Américains jugeaient qu’avec lui la politique extérieure des USA s’était améliorée. Aujourd’hui, selon un sondage AP/GfK, 57% des Américains désapprouvent sa politique ukrainienne, et 54% désapprouvent les interférences de cette crise sur les relations des USA avec la Russie ; enfin, 43% des personnes interrogées jugent que l’image des USA à l’extérieur s’est détériorée depuis qu’Obama est à la présidence. A côté de cela, comme complément extrêmement intéressant, on doit noter les résultats d’une enquête PEW Research du 20-23 mars (voir le 25 mars 2014) sur la perception du statut de la Russie par rapport aux USA : alors que le statut d’“ennemi des USA” de la Russie passe de 18% en novembre 2013 à 26% pour ce mois de mars 2014, par contre l’option d’une option militaire en Ukraine est encore plus impopulaire qu’elle ne l’était au début du mois (voir le 12 mars 2014) : 6% aujourd’hui, contre 8% pour le début mars.

Au contraire, du côté russe, la popularité de Poutine ne cesse de croitre, elle atteint aujourd’hui 82%. Depuis le lundi 24 mars et son discours annonçant l’intégration de la Crimée dans la Russie, discours marquant par sa dimension historique avec des remarques d’une notion historique spiritualisée, sinon métahistorique, concernant la pérennité de la Russie, sa popularité a augmenté de 8%.

«... Foreign policy has become a drag on Obama's second term... [...] Peter Lavelle, host of the CrossTalk program on the RT network, attributes the slump to a combination of factors. “Obama is a very weak foreign policy president. It's obvious he lacks interest and knowledge of global affairs. In fact, he has delegated his foreign affairs portfolio to a small number of amateurs: Samantha Powers, Susan Rice and Ben Rhodes. They and others have grossly and badly served this president,” Lavelle told RIA Novosti.

»Lavelle noted that media distortions of recent events in Ukraine and relations with Russia have undermined the possibility of a coherent foreign policy coming out of the White House. “Mainstream media is very aggressive and for the most part always anti-Russia and anti-Vladimir Putin,” Lavelle said. “This US president faces a dilemma – react in favor of bellicose media or be seen as weak. Obama, as usual, compromises and in the end dissatisfies virtually everyone.” [...]

»Alexei Mukhin, President of the Center for Political Information, said that Putin's rating will keep growing “under the West's hysteric pressure.” He believes that economic sanctions and other pressure will boost Putin's approval rating in Russia.

»Political scientist Alexander Konkov believes the same event accounts for both Obama's failure and Putin's success – the situation in Ukraine. He also recalled that Obama entered the White House with the intention to end the country's overseas military campaigns. “But in response to the events in the Crimea, Obama demonstrated a hawkish approach in his rhetoric, in his words and in his actions. I think the Americans are tired of the country's military adventures. And the poll demonstrates their disenchantment in Obama's aggressive stance,” Konkov said.»

Il faut effectivement analyser ces deux tendances d’une façon corrélative, en les plaçant toutes les deux dans le contexte qui les caractérise, qui est la situation en Ukraine et les politiques suivies à cet égard par les deux puissances concernées. Il n’est pas question ici de juger de la justesse de ces politiques ni même de respect de certains “valeurs” humanitaires dont les interprétations varient selon des intérêts politiques et des points de vue divergents ; de tels jugements sont extrêmement aléatoires parce qu’ils engagent des intérêts divergents, qu’ils se placent dans des contextes beaucoup plus larges impliquant des engagements fondamentaux dont les arguments ne se reflètent pas nécessairement dans les questions envisagées, etc. Il est question d’en juger par rapport à des dynamiques principielles, se référant par conséquent à des principes, qui sont seules capables de déterminer des écarts aussi importants et des tendances aussi marquées, et de permettre d’en juger. Une telle position de jugement est d’autant plus importante qu’il n’existe aucun élément conjoncturel, aucun “événement” politique assez important et assez tranché qui permette de fournir l’appréciation que les jugements du public sont déterminés par des notions décisives de “victoire“ ou de “défaite” impliquant l’idée d’une confrontation militaire où leur propre parti (leur propre pays) serait engagé d’une façon décisive. L’affaire criméenne, qui est le seul cas pouvant être apparenté à une telle interprétation, a été ressentie par le public des deux côtés, non comme un affrontement militaire (soit une “victoire” militaire par annexion victorieuse, soit une “défaite” militaire à cause d’une invasion qu’on n’a pu stopper, selon le jugement qu’on porte), mais plutôt comme une initiative politique menée à bien par la coopération d’une population et de la Russie (soit selon une conception légale et internationalement justifiée, soit selon des normes illégales et contre les lois internationales, selon le jugement qu’on porte).

Si l’on adopte effectivement une telle façon de juger, le jugement ne portera donc pas sur la situation ukrainienne, sur les politiques respectives suivies par rapport à la situation ukrainienne, etc. Le jugement portera sur la légitimité des politiques extérieures opérationnalisées à l’occasion de la crise ukrainienne. Cela nous permet alors d’extrapoler un jugement sur les positions respectives des deux opinions publiques par rapport à ce qu’elles perçoivent de la légitimité des politiques poursuivies (et non par rapport à la crise ukrainienne per se, limitée à elle-même). On voit alors confirmées les analyses que l’on a déjà développées sur la perception générale de ces opinions publiques des politiques suivies, du point de vue essentiellement de leur légitimité.

• L’opinion publique russe, dans les circonstances actuelles, juge légitime l’orientation de la politique développée par Poutine, plus que les résultats de cette politique compte tenu du fait que cette opinion publique considère que le cas criméen est moins le résultat d’une politique que l’illustration de la tendance jugée légitime. Pour ce cas, il s’agit donc d’une réaction qui légitime une orientation politique fondée sur la défense du territoire russe, ou de ce qui lui est assimilé (la Crimée). Cela implique que l’opinion publique russe juge la position générale de la Russie et ses manifestations comme légitimes, et par conséquent la probabilité que les Russes jugent qu’ils ont été les cibles de diverses tentatives de pressions et d’intimidation de la part du bloc BAO. L’opinion publique russe est donc dans une attitude à la fois de mobilisation et de défense de ses fondements nationaux et de ses références spirituelles, ce qui est une sorte très acceptable sinon puissante de définition de ce qu’on pourrait désigner comme une légitimité. Dans ce cas, Poutine profite de ce courant d’opinion, parce qu’il incarne cette légitimité avec assez de justesse ; il n’en est pas nécessairement la cause, mais plutôt l’incarnation, ce qui est la plus sûre façon d’affirmer sa propre légitimité. (On observera parallèlement qu’il doit s’en tenir à cette ligne, à cette tendance, notamment en restant ferme sur ses positions, sinon il risque de perdre la légitimité de son action, qui agit comme le “tuteur” d’un arbre qui représenterait la politique à suivre.)

• L’opinion publique américaine affirme de plus en plus, au travers de ses prises de position concernant la politique extérieure opérationnalisée par l’administration Obama, une attitude correspondant très précisément à la définition de l’isolationnisme, qui est stricto sensu le refus d’engagements politiques extérieurs et d’alliances contraignantes. (Dans ce cas, on parle symboliquement d’“isolationnisme” et non de “neo-isolationnisme”, car l’on en revient à la définition fondamentale de cette tendance.) Le plus impressionnant, du côté US, est le refus de tout engagement militaire en Ukraine, et ce refus ne faisant qu’augmenter jusqu’à approcher les 100%. Cette augmentation du refus de l’intervention militaire, de 92% à 94% entre le début mars et le 20-23 mars, alors qu’entretemps il y a eu l’affaire criméenne, alors que la perception de la Russie comme “ennemi” augmente, est particulièrement significatif. (La perception, – justifiée ou non, là n’est pas le problème, – en augmentation de la Russie comme “ennemi” n’entraîne absolument pas une mobilisation contre cet “ennemi”, comme du temps de la Guerre froide, mais, au contraire, une tendance au repli.) C’est un mouvement très sérieux de délégitimation de la politique extérieure US, qui, comme dans le cas russe, dépasse la seule personne (et la seule politique) du président impliqué. C’est toute une orientation, une tendance politique de l’establishment à l’interventionnisme, dont la légitimité est mise en cause. Il s’agit bien d’isolationnisme dans le fait même que ce refus de l’interventionnisme constitue une délégitimation de la grande politique interventionniste US, le wilsonisme ou la doctrine du président Wilson des années 1916-1920, qui est la référence antagoniste directe de l’isolationnisme. (En 1919-1920, avec la défaite de Wilson et le refus de ratification du Traité de Versailles entraînant le refus de participer à la SND, les USA passèrent directement du wilsonisme à une “grande politique” isolationniste, faisant effectivement de l’isolationnisme la politique contradictoire archétypique du wilsonisme.) On peut même avancer à la lumière de ces résultats statistiques que même l’alliance de l’OTAN, avec la possibilité de ce qui serait jugé comme une nécessité d’engagement militaire en Europe tout à fait concevable dans les circonstances actuelles, pourrait poser un très grave problème aux USA. (Certains voient dans la crise ukrainienne étendue en “crise de confrontation globale” une occasion unique de régénérer l’OTAN ; cela pourrait être aussi bien au contraire un risque sans précédent de confronter l’OTAN à une crise intérieure ultime, en posant le problème d’une intervention à l’aide d’un allié [Article 5] à une Amérique qui n’a sans aucun doute jamais été aussi isolationniste dans sa psychologie, depuis les années 1920 et les années de la Grande Dépression.)

Cette question de la légitimité est tout simplement fondamentale, pour les deux puissances concernées d’un point de vue structurel qui va de soi, et particulièrement pour les USA d’un point de vue conjoncturel immédiat dans la perspective désormais très rapprochée des élections mid-term de novembre prochain. Cette proximité d’une consultation électorale importante aux USA, où les problèmes de sécurité nationale vont jouer un rôle important puisque la question autour de la crise du NSA est déjà au centre des arguments électoraux, pourrait interférer notablement dans la crise ukrainienne, ou plutôt contribuer à lui donner encore plus son caractère de “crise haute ultime”. Il ne fait aucun doute qu’en profondeur les deux tendances illustrées ici statistiquement sont liées par une corrélation, une complémentarité antagoniste. L’isolationnisme de facto de l’opinion publique US, lui-même de plus en plus légitimée par la position des USA telle que l’opinion publique l’exprime à un moment où cette opinion publique compte (élections mid-term), renforce les conceptions de l’opinion russe et la légitimation de la politique approuvée par cette opinion.


Mis en ligne le 31 mars 2014 à 05H56