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395L’excellent M K Bhadrakumar, de atimes.com, a une thèse concernant l’attitude d’Obama vis-à-vis de l’Iran, – ou, plus précisément dit et en suivant le raisonnement de M K Bhadrakumar, vis-à-vis de Bahreïn, de l’Arabie et, finalement, vis-à-vis de l’Iran. Il expose la chose dans atimes.com le 24 mai 2011.
M K Bhadrakumar part du discours de BHO donné au département d’Etat, jeudi dernier, et il entend le “décoder” pour ce qui concerne effectivement la chaîne d’analyse Bahreïn-Arabie-Iran. BHO n’a pas dit un mot de l’Arabie mais il y pense sans doute beaucoup, parce que tout président US pense nécessairement beaucoup à l’Arabie. Par contre, il a dit quelques mots précis sur Bahreïn, ce qui revient tout de même à parler de l’Arabie. M K Bhadrakumar “décode” de cette façon ce passage :
«This can be viewed almost as a reprimand of King Hamad Khalifa, a close ally, and a rejection of the violent crackdown on Bahraini protesters. Obama would know that changes in Bahrain would inevitably affect Saudi Arabia. Yet, he never mentioned Saudi Arabia and the US is also “quietly expanding on a vast scale” the US's defense ties with Saudi Arabia.»
Suivent des précisions sur des livraisons d’armes massives à l’Arabie et sur un plan de constitution d’une force de 35.000 soldats saoudiens (ou mercenaires au service de l’Arabie), entraînée sous la supervision du commandement US Central Command, pour protéger les champs pétrolifères saoudiens. Cette initiative n’est nullement une réaffirmation de l’alliance saoudienne des USA dans le sens de l’acceptation des thèses saoudiennes, mais, au contraire, une mesure d’apaisement de l’Arabie pour poursuivre une politique qui irait à l’encontre des thèses saoudiennes. Et nous revenons alors au “décodage” du passage sur Bahreïn.
«Obama's Bahrain puzzle needs decoding. On second thoughts, Bahrain and Iraq have similarities. In both places, democracy is all about Shi'ite empowerment. Clearly, the US pins hopes on the “reformist” crown prince of Bahrain to accommodate the demands of the Shi'ite opposition, while the prime minister, who is apparently a hardliner, is setting the pace for repression - and he is supported by the Saudis.
»The US sees the alchemy of Shi'ite empowerment in Bahrain very differently from the Saudis. For one thing, Bahraini Shi'ite protesters aren't (so far) “anti-American” and the continuance of the US base for its Fifth Fleet is not in jeopardy. Again, Sheikh Issa Qassem, the spiritual leader of Bahraini Shi'ites, is prepared to settle for a constitutional monarchy and is not demanding an overthrow of the Sunni monarchy. What Bahraini Shi'ites are demanding is power-sharing rather than a capture of power.
»More important, the US doesn't subscribe to the conspiracy theory that the Iranians are going to be the “winners” if the Shi'ite majority gets a share of power in Manama. Iran, too, seems to realize its limitations. On the other hand, Bahraini Shi'ites do not want an Iran-type clerical regime – Velayat e-Faqih.
»From the religious perspective, too, they draw inspiration from Najaf in Iraq rather than Qom in Iran. This last point becomes extremely important for comprehending the thinking behind Obama's remarks on Bahrain.»
Les chiites de Bahreïn, selon l’interprétation du plan d’Obama que fait M K Bhadrakumar, rejoignent la branche “démocratique” des chiites irakiens, et il n’y a aucune raison de les craindre. Ils ne sont nullement les relais de l’Iran, d’autant que l’Iran est lui-même plongé dans une bataille d’une extrême intensité pour le pouvoir. Par conséquent, les craintes de l’Arabie sont infondées, et Bahreïn ne doit pas craindre une “démocratisation” qui passerait par une place importante faite aux chiites “démocratique”. Obama plaiderait d’autant plus cette perception qu’il jugerait effectivement qu’il n’y a aucune tension “anti-américaniste” chez les contestataires chiites du pouvoir à Bahreïn, – ce qui est, évidemment, une perception très américaniste de la chose, qui devrait être accueillie avec la plus grande prudence.
Pour l’essentiel du raisonnement de M K Bhadrakumar, cela nous conduit finalement à l’appréciation d’Obama sur la situation iranienne. Cette situation voit une opposition aujourd’hui ouverte entre le président iranien Ahmadinejad et le pouvoir conservateur religieux, selon une position du président iranien ainsi résumée :
«Ahmadinejad is a staunch follower of Ali Shariati, the brilliant non-cleric Iranian revolutionary and sociologist who propagated “red Shi'ism” in the tumultuous years leading up to the revolution in 1979 – a curious amalgam of Marxism, Third Worldism and Islamic puritanism – which opposed the unrevolutionary “black Shi'ism” or Savafid Shi'ism of the Iranian religious establishment. Shariati was trained in Sorbonne in France and was a friend of philosopher and author Jean-Paul Sartre; he was murdered in 1975 and in the event the clerics hijacked the revolution from its Marxian moorings.»
Finalement, la vision d’Obama, selon M K Bhadrakumar, serait que ce qu’il recommande pour Bahreïn (“démocratisation” avec participation des Chiites), contre l’avis passionné des Saoudiens, permettrait de faciliter une “démocratisation” à l’occidentale de l’Iran. Ainsi le problème iranien serait-il élégamment résolu à l’avantage de la “démocratisation”… C’est le plan de BHO selon M K Bhadrakumar ; reste à savoir si cela marchera, ou si cela marcherait.
«Actually, Obama has been surprisingly mild in his rhetoric on Iran - as if he were keenly following events there. Such an approach makes sense, as any manifest attempt to muddy the waters of the power struggle in Iran could be counter-productive. The growing disarray within the Iranian regime and contradictions in Iran's political economy are best exploited if Bahrain emerges at this juncture as another democratic society (like Iraq) where Shi'ites are empowered but have opted for a modern, forward-looking society seeking integration with the West in the present era of globalization.
»Obama's approach is diametrically opposite the Manichean vision of the Saudi establishment, which is frantically rallying the Sunni Arab world. Obama distanced himself more than once from the Saudi tirade against Iran stoking the fires of Sunni sectarian passions. He would rather prise open the 30-year-old house that Iran's Shi'ite clerics built by climbing through an unshuttered balcony window that Bahraini Shi'ites could hold open for him in the dead of the night.
»Will it work? The hope is audacious since there is the real risk that persecuted Shi'ites in Saudi Arabia will also clamor for the empowerment that the Bahraini Shi'ites may secure under Obama's watch. If that happens, a reluctant Obama may come face to face with the imperative of reforms in Saudi Arabia, which would be the mother of all reforms.»
Ce “décodage” du plan de BHO par M K Bhadrakumar a au moins l’avantage de nous suggérer que la situation en Iran est moins simple que nos esprits simples d’Occidentaux imbus d’eux-mêmes le supposent. On se demande si, effectivement, le président US pourrait avoir assez d’audace et de poids pour imposer à sa bureaucratie et au Système en général une politique qui, pour une fois, n’accorde pas 150% d’importance au poids de la puissance et rien qu’à cela. La question est ouverte mais l’on sait que M K Bhadrakumar travaille d’habitude avec des sources diplomatiques, notamment dans ces pays du Moyen-Orient, du Caucase, du sous-continent indien, etc. Peut-être, effectivement, certains diplomates US, ou l’un ou l’autre envoyé du président, sont-ils en tournée de consultation sur cette question.
Effectivement, l’intérêt de l’Iran est qu’il s’agit, au Moyen-Orient, peut-être avec la Turquie, d’un des pays les plus complexes au niveau du pouvoir. Il ne s’agit nullement d’une dictature ou d’une théocratie plus ou moins corrompue plaquée sur un pays, comme l’était un Moubarak en Egypte, et comme l’est le pouvoir en Arabie. Il y a en Iran des tendances extrêmement élaborées, sinon sophistiquées, dans un pays qui s’appuie sur une très vieille culture et qui est un des réceptacles importants (avec la Turquie, justement) des courants traditionnalistes qui transcendent les religions et reflètent des préoccupations métaphysiques particulièrement aigues dans ces temps de crise systémique terminale. L’actuelle querelle entre le président Ahmadinejad et la hiérarchie religieuse se fait notamment au rythme d’accusations de “sorcellerie”, d’appel aux djinns (esprits), et par rapport aux conceptions d’Ahmadinejad sur l’hypothèse (considérée en la circonstance, et selon les circonstances, comme sacrilège par la hiérarchie religieuse) de l’imminence du retour du Prophète.
(Le 5 mai 2011, le Guardian observait : «But the feud has taken a metaphysical turn following the release of an Iranian documentary alleging the imminent return of the Hidden Imam Mahdi – the revered saviour of Shia Islam, whose reappearance is anticipated by believers in a manner comparable to that with which Christian fundamentalists anticipate the second coming of Jesus. Conservative clerics, who say that the Mahdi's return cannot be predicted, have accused a “deviant current” within the president's inner circle, including Mashaei, of being responsible for the film. Ahmadinejad's obsession with the hidden imam is well known. He often refers to him in his speeches and in 2009 said that he had documentary evidence that the US was trying to prevent Mahdi's return.»)
On voit que la sophistication supposée du plan de BHO, selon M K Bhadrakumar, rencontre une sophistication encore plus affirmée dans le chef du pouvoir iranien. Ces vaticinations diverses, si elles ne suscitent pas, ou pas encore, d’effets politiques, montrent par contre une réelle évolution en profondeur de la situation au Moyen-Orient. Quoi qu’on dise et quoi qu’on affirme e fort manichéen à propos des événements du Moyen-Orient depuis les débuts de la chaîne crisique, le 19 décembre 2010, en se référant à une vision binaire classique entre dictatures conservatrices et mouvements populaires démocratiques, il existe en profondeur des déplacements beaucoup plus importants, des mises à jour de situations beaucoup plus complexes, dont, le plus souvent, le bloc américaniste-occidentaliste n’a absolument aucune idée. Effectivement, comment demander aux représentants du bloc, fussent-ils diplomates par exemple, de considérer avec quelque souci du détail et des complexités éventuellement spirituelles l’évolution d’un pays comme l’Iran, alors que la politique qui est développée à son encontre s’appuie sur une vision strictement manichéenne, elle aussi, et appuyée sur une morale strictement formatée aux normes et vertus occidentales, aux références de puissance habituelles, avec d’un côté la civilisation et de l’autre la barbarie (cela, agrémenté de quelques accommodements de traduction lorsque le président iranien fait un discours sur Israël) ? Les événements, depuis décembre 2010, et cela quelle que soit l’évolution politique et stratégique immédiate et apparente, contribuent d’une façon extrêmement appuyée à brouiller les “grilles de lecture” occidentales, – c’est-à-dire les analyses intéressées et faites pour conforter nos propres conceptions, – et conduisent à la confusion des actes et des initiatives politiques. La situation de la crise libyenne est un exemple de cette confusion, où il est impossible de distinguer les intérêts et les proximités des uns et des autres, même en s’appuyant sur la dialectique cynique en cours chez nos experts et nos commentateurs. Le plan prêté par M K Bhadrakumar à Obama, – et, bien entendu, beaucoup plus le fait qu’on puisse envisager qu’un tel plan soit effectivement conçu que la réalité finale de ce plan, – tout cela relève d’une évolution similaire.
Mis en ligne le 25 mai 2011 16H32