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100322 novembre 2010 — Le titre du court billet de Howard Fineman, de Huffington.post, du 19 novembre 2010, en dit long… «Lame Duck Bird Of Prey» («This Lame Duck, it turns out, is a Bird of Prey») ; le “canard boiteux” (Lame Duck), c’est ce Congrès à forte majorité démocrate qui vit ses dernières semaines, avant l’arrivée du nouveau Congrès, le 1er janvier 2011, lequel amènera une situation beaucoup plus à l’avantage des républicains. Pourtant le “canard boiteux”, – surnommé ainsi parce qu’en principe sans pouvoir, parce qu’en principe un Congrès de la sorte dont ce président ne devrait faire qu’une bouchée, – semble au contraire devenir un “oiseau de proie” (Bird of Prey) qui pourrait ne faire qu’une bouchée d’Obama, en bloquant la plupart des initiatives que le président voudrait encore lui soumettre, en le paralysant paradoxalement alors qu’il a la majorité… Que dire de ce que sera la situation quand le nouveau Congrès arrivera ?
Parmi les points de blocage que les républicains veulent verrouiller, la ratification de START-II, bien sûr. C’est le débat essentiel et c’est devenu le grand débat du jour à Washington. Ce débat stupéfie, – non, “mystifie” les Russes… Le mot est de Washington Post, le 18 novembre 2010 : «Russians are mystified. They can't quite believe the U.S. Senate might fail to ratify the nuclear arms treaty…» L’article enchaîne à propos des causes de cette mystification, dans les divers commentaires… Retenons celui de Sergei M. Rogov, directeur de l’Institut des études des Etats-Unis et du Canada, – «[Rogov] said he had difficulty believing Republicans are serious about killing the New START treaty, even though Republican Sen. Jon Kyl of Arizona said Tuesday there was not enough time to consider it in the lame-duck session. […] “The fact that America can't deliver on its promises would harm its standing around the world,” he said. “And if START is not ratified, the [2009] Nobel Peace Prize would look very funny indeed.”»
Il y a une mobilisation générale des experts US de tendance modérés en faveur de la ratification (voir AFP, via Spacewar.com le 21 novembre 2010), ainsi qu’un appel de Medvedev à partir de Lisbonne, au sommet de l’OTAN. Le climat est incertain : «James Collins, a former US ambassador to Russia who now heads the Carnegie Endowment for International Peace's Russia and Eurasia program, said it's too early to predict what will happen to the treaty. “But I do think that there's no question that a failure to ratify START in the (current) lame-duck session is going to be seen as a setback for US-Russia relations,” Collins said.»
Du côté des républicains et de la droite interventionniste US, c’est aussi la mobilisation, dans le sens du durcissement. Le ton est polémique et renvoie à nouveau à l’affrontement direct entre républicains et Obama, suggérant que l’affaire START-II tend à entrer dans la guerre politicienne en cours à Washington depuis 2009. Par exemple, James Carafano, de Heritage Foubndation, dans un court billet dans la rubrique Arena de Politico.com, le 21 novembre 2010 : «The White House gone wild has done everything but address the significant concerns raised about flaws in the treaty. May be there is a ground swell of opposition to the treaty because the treaty is flawed? May be its the White House that is playing politics?... In resorting to Chicago-style politics to ram the treaty through the Senate the White House is sending a signal that plans to govern for the next two years just like it did for the first two.»
@PAYANT Ainsi soit-il, et l’inévitable, comme toute chose de cette sorte (inévitable), est survenu… En quelques jours, la ratification de START-II est devenue une énorme affaire, qui menace à peu près tout, – les relations USA-Russie, le processus de dénucléarisation, les relations OTAN-Russie, la sécurité européenne, – et, bien entendu, la position et l’autorité de Barack Obama à l'intérieur, à Washington, – une fois de plus, dirait-on à propos de ce pauvre BHO déchiqueté. Le ton est en train de virer brutalement à la polémique politicienne, à cette “guerre civile” institutionnelle qui fait rage à Washington depuis deux ans. Les mots de Carafano sont significatifs à cet égard : “une politique style-Chicago”, “imposer la ratification au Sénat”, “continuer la forme de gouvernement exercée depuis deux ans”… Inutile de s’attarder au fondement de ces accusations qui ressortent de la pure rhétorique polémique et partisane.
Il y a une logique complètement bloquée dans cette situation, une logique de cercle vicieux. Pendant six mois, Obama n’a rien fait pour pousser à la ratification du traité signé en avril dernier avec Medvedev, parce qu’on se trouvait en campagne électorale où se dessinait la défaite démocrate, et que le président US, avisé et fin stratège politicien comme on le connaît, ne voulait pas rajouter un dossier qui serait immédiatement devenu objet de polémique. Les élections faites et la déroute démocrate effectivement consommée, il apparaît au même fin stratège politicien de la Maison-Blanche qu’il faut forcer à la ratification avec l’actuel Congrès parce que le suivant (à partir du 1er janvier 2011), sera bien pire.
Du coup, la manœuvre est dénoncée pour ce qu’elle est effectivement, et quoi qu'on pense de la bonne foi (késako ?) des uns et des autres : on veut nous forcer à ratifier le traité, clament les républicains ! Et les soupçons naissent aussitôt, toujours les mêmes, avec toujours la même rhétorique de l'insinuation clairement formulée et de l’affrontement : le président Obama veut aller vite parce qu’il craint qu’on examine le traité de trop près et qu’on y découvre des dispositions dommageables pour la sécurité nationale ! L’argument est à la fois solide et complètement spécieux, comme tout ce qui caractérise les échanges haineux entre républicains et Obama depuis deux ans... Là-dessus, les flanc-gardes de l'activisme républicain enchaînent sur l'“antiaméricanisme” de BHO, qui fait bon marché de la sécurité des USA pour s'assurer une mini-stature internationale, qui soignerait quelques-unes des plaies ouvertes dans le flanc des démocrates le 2 novembre.
Grand événement, par conséquent, confirmant ce que l’on sait du considérable bordel qu’est devenu Washington. In illo tempore, quand le système fonctionnait encore d’une façon acceptable, la logique bipartisane fonctionnait également, et c'était certainement l'une des plus grandes réussites du mécanisme. Sur les matières d’intérêt national et de sécurité nationale, on parvenait à former une coalition des deux partis, ou des deux ailes du “parti unique”, pour assurer une assise stable à la politique extérieure et de sécurité nationale dans ses domaines les plus importants. Si une seule chose devait faire partie de cette catégorie bipartisane, ce serait un traité sur l’armement nucléaire stratégique, l’acte le plus important pour la sécurité nationale. Même lorsqu’il y avait désaccord, comme pour le traité SALT-II dans les années 1979-1980, on examinait la chose posément, calmement, avec un débat minutieux et policé au sein de l’establishment, entre rapports, analyses, auditions au Congrès, etc., parfois interminablement mais sans aucun doute dans l'apaisement et le meilleur esprit de coopération ; et une décision commune s’en dégageait de facto (SALT-II ne fut pas ratifié, et remplacé par le projet de traité START-I, finalement signé et ratifié en 1991). Aujourd’hui, rien de semblable, mais aussitôt la polémique, l’invective, le soupçon, etc.
Cela ne signifie pas que START-II ne sera pas ratifié d’ici le 31 décembre, ni qu’il sera ratifié d’ailleurs. (Tout de même, nous avouerons que, dans cette atmosphère qui ne pourra que s’électriser davantage dans les jours et les deux, trois semaines qui viennent, une ratification nous paraît pour le moins improbable.) Cela signifie simplement la confirmation, dans le sens de l’habituel dynamique d’aggravation constante, que le processus du pouvoir et de la décision à Washington, au sein du système de l’américanisme, est brisé.
…Cela signifie que, quoi qu’il arrive (ratification ou pas), cette affaire est désormais promise à devenir un point d’affrontement de plus entre le Congrès (les républicains) et Obama. Hier, une source européenne indépendante en poste à Washington observait ceci, à partir d’une remarque que nous faisions selon laquelle même les républicains de tendance Tea Party qui envisagent des réductions du budget militaire, comme Rand Paul, sont défavorables à une ratification accélérée du traité : «C’est vrai qu’il existe un fort courant de convergence entre les interventionnistes anti-russes qui entretiennent un soupçon systématique à l'encontre de tout accord de cette sorte et ceux qu’on nomme “neo-isolationnistes”, qui tendent à refuser par principe des engagements internationaux contraignants, ou dans tous les cas trop contraignants...» Et cette source confirmaient certaines rumeurs spéculatives selon lesquelles, si START-II était ratifié d’ici le 31 décembre par ce Congrès type “canard boiteux“, les républicains du nouveau Congrès pourraient juger cette ratification quasiment illégitime, puisque votée par un Congrès discrédité par le vote du 2 novembre, et dans une urgence suspecte qui rendrait bien incertain son examen ; et ces mêmes républicains du nouveau Congrès pourraient aller jusqu’à l’attitude impensable en temps normal de remettre la ratification en question dans son esprit, de tenter de contourner le traité par des dispositions diverses, qui auraient un effet peut-être pire qu’une non-ratification d’ici le 31 décembre.
…Et l’on retrouve toujours le pauvre Obama dans la même position, dans son habituelle posture, entre marteau et enclume… Il y a le marteau de ses obligations internationales, de ce qu’il reste de “sérieux” dans la politique extérieure US, considérée par ses partenaires, de ce qu'il reste à protéger de toutes les façons possibles, sous peine de sombrer dans le ridicule sans fond et l’impuissance institutionnalisée, et à se retrouver dans le domaine international aussi affaibli que dans le domaine intérieur ; d'autre part, il y a l’enclume de l’attaque politicienne permanente, du désordre washingtonien, de la paralysie du processus du pouvoir, de la vindicte des républicains, des mises en cause de son attitude vis-à-vis des questions de sécurité nationale…
START-II est une affaire importante en elle-même, certes, mais elle est aussi et d’abord une démonstration de la situation washingtonienne. Notre conviction est d’ailleurs que, ratifié ou pas, START-II est d’ores et déjà un nouvel artefact de polémique à Washington, selon les idées énoncées plus haut à propos de ce que sera l’attitude du nouveau Congrès. Par conséquent, START-II a, dans l’absolu, moins d’importance qu’on ne lui en prête, et il importe surtout comme un champ d’expérimentation de plus de la paralysie et de l’impuissance du pouvoir dans le système de l’américanisme. Son originalité est que les effets de cette affaire auront évidemment des répercussions extérieures profondes, qu’on peut tenir d’ores et déjà pour acquises même dans le meilleur des cas d'une ratification si l’hypothèse de manœuvres contre l’esprit de la ratification de START-II se vérifie, comme nous le croyons sans la moindre hésitation. Dans tous les cas de figure, c’est l’influence US à l’extérieur qui en sera encore plus réduite.
Vue de cette façon, qui est à notre sens la façon adéquate et correspondante au climat des choses et des circonstances en cours, l’affaire START-II apparaît comme une tentative déjà échouée de tenter de maintenir un semblant d’ordre dans les relations internationales malgré l’effondrement du système, et l’effondrement du système washingtonien en particulier. Nous en revenons à notre constat général, qui vaut également pour le sommet de l’OTAN, que nous sommes bien dans cette nouvelle époque où la crise eschatologique générale domine tout le reste, et influence tout le reste.
Nous observions, le 20 novembre 2010, combien la crise de la psychologie jouait un rôle essentiel dans le désordre américaniste, et combien ce désordre est également celui du pouvoir à Washington, de même origine, également issu de la tension formidable que cette crise eschatologique désormais dominante et écrasante, et mettant en cause tout le système lui-même jusque dans ses fondements, exerce sur cette même psychologie. Là aussi, nous avons un cercle vicieux, chaque crise nourrissant l’autre, la crise eschatologique affectant le système nourrissant la crise psychologique, laquelle crise psychologique nourrit à son tour la crise du pouvoir washingtonien en “organisant le désordre” d’une façon systématique et selon des lignes inattendues toutes marquées par l’obstructionnisme et le nihilidsme, et ainsi de suite avec cette dominante implacable de la première (la crise eschatologique), comme une pression irrésistible.
Plus rien ne résiste à cela, même pas l’importance et la pompe institutionnelle d’un traité de l’importance de START-II. Quel que soit le destin de START-II, il nous renverra dans le bouillon du désordre Washingtonien à l’intérieur et débouchera à l’extérieur sur une nouvelle phase d’incompréhension, de tensions diverses, – de désordre là aussi…
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