BHO face à l’Afghanistan

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D’une façon très explicitée officiellement, on sait que le président Obama est engagé dans un processus fondamental d’examen et de détermination de sa stratégie en Afghanistan. Ce n’est pas la première fois qu’une telle démarche est annoncée. Cette fois, elle se place directement en fonction de la demande pressante qui a été faite par le général McChrystal, commandant US et OTAN en Afghanistan, d’un renforcement considérable des forces combattantes (US) dans le pays. Il s’agit du chiffres de 40.000 hommes avec lequel BHO ne semble guère être à l’aise, non plus qu’avec certains de ses généraux.

Obama est confronté d’autre part à une hostilité grandissante à la guerre, aussi bien dans l’opinion publique que de la part de son propre parti, le parti démocrate. Cette hostilité est alimentée par des nouvelles en général assez mauvaises, venues des combats en Afghanistan, aussi bien que par la perception également hostile de la réélection du président Karzaï. Sur ce point, pourtant, il semble bien que l’accord se soit fait entre alliés pour ne pas tenter de contester cette réélection, ou de faire pression sur Karzaï dans ce domaine. L’idée est simplement qu’on a bien assez de difficultés en cours, pour rajouter celle d’un conflit avec la soi-disant “marionnette”.

The Independent rapporte, ce 30 septembre 2009, les conditions de cette réappréciation stratégique de la situation en Afghanistan, qui prendrait plusieurs semaines. Il y a eu une réunion stratégique hier au sein de l'administration Obama sur ce sujet, ainsi que la première rencontre du président US avec le nouveau secrétaire général de l’OTAN Rasmussen.

«Barack Obama has begun a series of meetings with his top national security team on a pivotal re-assessment of US strategy in Afghanistan. He essentially faces a choice between scaling back the increasingly unpopular war or agreeing a request by his top commander in the country to send up to 40,000 more American troops into the eight-year conflict. […]

»Yesterday's meeting was only a start and no final decision is likely for several weeks. General Stanley McChrystal, the commander of US and Nato forces in Afghanistan, is believed to be seeking a force increase of between 30,000 and 40,000 men, but that request has not been formally handed to the President.

»“This isn't going to be finished in one meeting, it's not going to be finished in several meetings,” said Robert Gibbs, the White House spokesman. Anders Fogh Rasmussen, the Nato secretary general, made the same point after talks with Mr Obama yesterday. Overall strategy was the most important element, Mr Rasmussen said; “the first thing is not numbers.”»

@PAYANT S’il est difficile d’affirmer que cette série d’entretiens sur la stratégie en Afghanistan est décisive en elle-même et va aboutir à un choix également décisif, on peut observer qu’on approche effectivement d’une nécessité dans ce sens, notamment en raison des événements du conflit en Afghanistan même. Cette série de réunions va elle-même renforcer le sentiment de la nécessité d’une évolution décisive, à la lumière des événements qui ont précédé.

L’épisode du rapport McChrystal a bien entendu été à la fois révélateur d’une situation et un révélateur pour Obama des conditions de cette situation à l’intérieur de son système de sécurité nationale, et éventuellement – c’est tout l’enjeu de ces réunions – pour la suite en Afghanistan. La nomination de McChrystal, à la mi-mai n’aurait été supervisée que de très loin par Obama, très préoccupé par les questions intérieures. Obama n’aurait rencontré le général qu’une fois, d’une façon formelle, cérémoniale, qui n’a certainement pas permis au président de le connaître et de sonder ses intentions. Cette inattention d’Obama, même si elle fut forcée par les circonstances, est un facteur non négligeable dans l’aggravation de la situation du débat sur l’Afghanistan au sein de l’exécutif, et d’une façon générale à Washington. On voit ici l’interaction destructrice des crises, puisque, dans ce cas, les crises intérieures interfèrent sur l’évolution de la perception de la crise afghane chez Obama.

En fait, c’est à l’occasion du rapport McChrystal de la fin août demandant les renforts et des conditions polémiques qui ont entouré la “fuite” du rapport vers Bob Woodward et le Washington Post qu’Obama a véritablement “pris contact” avec McChrystal. Ces conditions ne sont pas idéales, tant s’en faut. La “fuite” fait croire à Obama, avec bien des arguments, que McChrystal veut lui forcer la main, pour un chiffre de troupes supplémentaires qu’Obama juge considérable, même si McChrystal se défend de telles manœuvres. Il n’est pas assuré que d’autres chefs militaires dans lesquels Obama a plus confiance, comme l’amiral Mullen, démentent sa méfiance à l’encontre de McChrystal. On sait que les rapports entre généraux et amiraux, notamment sur l’Afghanistan, ne sont pas idylliques.

Il y a bien une sorte de “montée aux extrêmes”, des militaires du clan Petraeus-McChrystal certes avec le rapport de McChrystal, mais du côté d’Obama également, qui semble percevoir ou croire que les militaires, dans tous les cas Petraeus-McChrystal, veulent le pousser à un engagement massif. Ce climat augure assez mal des conversations stratégiques qui s’ouvrent, véritablement dans un climat de crise interne du système de sécurité nationale US. Il y a donc cette crise interne s’ajoutant à la crise de la stratégie – s’il y a une stratégie – de la guerre en Afghanistan. Cela signifie que l’issue de ces délibérations est loin d’être assurée, qu’elle l’est même de moins en moins. Il y a deux mois d’ici encore, on pouvait être assuré qu’Obama était tout acquis à une stratégie d’engagement agressive, sinon massive (mais certainement pas jusqu’à envisager 40.000 hommes de plus). Aujourd’hui, cela est beaucoup moins assuré, et les divers événements qu’on a mentionnés ont installé un doute fondamental chez Obama. Il s’agit d’un doute conjoncturel, sur les intentions éventuelles de certains acteurs, qui nourrit désormais un doute structurel, sur la viabilité de la guerre, sur la possibilité, non seulement de la gagner, mais même de la poursuivre. L’observation de The Independent est donc à prendre au-delà du sens que lui donne le journal, mais bien dans un sens beaucoup plus radical qu’on pourrait croire, surtout pour l’option de la “réduction de l’engagement” face à l’option de l’augmentation massive: Obama «essentially faces a choice between scaling back the increasingly unpopular war or agreeing a request by his top commander in the country to send up to 40,000 more American troops into the eight-year conflict.»

Le précédent du BMDE a montré qu’Obama, malgré son caractère extrêmement mesuré, son goût du compromis, etc., pouvait tout de même être conduit à une décision qui est proche d’une décision de rupture (dans ce cas, rupture avec la politique agressive contre la Russie, ce qui est bien l’interprétation essentielle de la décision). Mais le cas était plus facile, dans la mesure où une décision complémentaire de charger l’U.S. Navy de ce système BMDE dissimule l’aspect de rupture (même si cette dissimulation est, à notre sens, une erreur pour la force de la politique ainsi décidée). Le cas afghan est différent parce que les options sont plus tranchées, et qu’il y a une situation de guerre en pleine évolution, parce qu’il y a des alliés sur le terrain également. Il est difficile de trouver une option qui parvienne, par sa cohérence et sa puissance, à dissimuler ce qui serait une décision de rupture si Obama, allant contre McChrystal, décidait effectivement de rompre avec la politique d’engagement suivie jusqu’ici, et qui constitue le fondement de sa stratégie initiale en Afghanistan.

Il apparaît assez probable que, depuis deux ou trois moins, Obama a entrepris le chemin d’une révision déchirante sur l’Afghanistan, d’ailleurs avec l’aide de certains de ses conseillers qui vont dans ce sens (le vice-président Biden et, surtout, le directeur du NSC James Jones). Il est désormais possible que le président US soit conduit effectivement à une décision de rupture, à un renversement de son intention stratégique qui substituerait une logique de désengagement à sa logique d’engagement initiale. Si cela était le cas, il est évident, selon ce qu’on sait de son caractère, qu’il voudrait le faire en ménageant le plus possible tous les groupes de pression en cause, en camouflant cette décision sous un faux semblant, ou bien avec des demi-mesures, voire de l’attentisme. Cette voie, qui est celle du BMDE, paraît extrêmement complexe, comme on l’a dit, voire impossible pour l’Afghanistan, dans ce cas aussi bien sur le plan politique washingtonien qu’en Afghanistan même. Il y a donc un enjeu capital qui s’installe avec ce débat sur l’orientation stratégique en Afghanistan, parce que cette fois les termes de l’alternative sont proches des extrêmes, entre l’engagement dans le piège afghan et la rupture avec le piège afghan, et toutes les précautions prises pour camoufler l’une ou l’autre option extrême ne suffiraient sans doute pas à dissimuler qu’effectivement une option extrême a été choisie. D’une façon ou l’autre, dans un sens ou l’autre (engagement renforcé ou rupture vers le désengagement), l’Afghanistan a tout pour susciter une crise majeure à Washington. La question de la rupture d’Obama avec la politique d’engagement en Afghanistan dissimule, à la différence du cas du BMDE, une autre question beaucoup plus grave: la question de la rupture d’Obama avec sa propre politique privilégiée jusqu’ici du gradualisme et de la dissimulation d’actes de changement sous l’apparence du compromis.


Mis en ligne le 30 septembre 2009 à 09H45