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960Il s’agit certainement de la décision la plus décevante de la part du président Obama, – de la plus médiocre, de la plus injustifiée, de celle qui fait partie en vérité d’une “mauvaise politique”, – celle qu’on pourrait éventuellement qualifier en citant le mot de Fouché à propos de l’exécution du duc d’Enghien («C'est pire qu'un crime, c'est une faute»). Il s’agit de la décision d’Obama de revenir sur sa première décision (déjà, le processus agace) de fermer la prison de Guantanamo, lieu fameux de détention illégale et de torture “légalisées”, conformément à ses promesses électorales, et de poursuivre au contraire l’existence de ce système avec des aménagements de circonstance.
Une très courte analyse du Times de Londres, ce 16 mai 2009, rapporte, d’ailleurs sans satisfaction particulière, la décision du président US en replaçant le problème dans son contexte.
«A week that began with the Pentagon sacking the top US military commander in Afghanistan ended yesterday with President Obama announcing plans to bring back a form of military tribunal for trying Guantánamo Bay terror suspects.
»Between these two events we have also seen Mr Obama reverse a decision to publish photographs of detainee abuse because he feared the backlash would endanger US troops; the House Speaker Nancy Pelosi accuse the CIA of lying to Congress over harsh interrogation techniques she now denounces as torture, and more than 50 Democrats vote against a $97 billion (£64 billion) war-funding Bill.
»The theme running through all of this is the President’s struggle to balance a set of liberal campaign promises with the priorities as a commander-in-chief who has inherited two wars from the Bush Administration. A swift improvement in Afghanistan is needed if the Democrats — many of whom were elected on a “bring the troops home” mandate — are to be persuaded that his decision to escalate the conflict does not risk turning the war into his Vietnam.»
…Le contexte, dans ce cas, c’est l’héritage: «…a commander-in-chief who has inherited two wars from the Bush Administration». Nous dirions même: “un commandant-en-chef qui est prisonnier des deux guerres de l’administration Bush”. C’est effectivement dans ce contexte de la continuité forcée que devrait pouvoir être expliquée cette décision concernant Guantanamo; Obama peut avoir pensé qu’en agissant de la sorte, il serait beaucoup moins vulnérable aux attaques des républicains sur la question de la sécurité nationale. Cela ne rend pas pour autant cette décision habile, ni tolérable. Il y a dans cette démarche une maladresse politique complète qui implique une absence d’intuition, ce qui est assez étonnant de la part d’Obama.
(Bien sûr, il y a aussi l’explication qu’Obama croit réellement à l’importance de Guantanamo et de ce qu’on y fait pour la sécurité nationale des USA. Ce serait, de loin, l’explication la plus consternante.)
Guantanamo et la question de la torture, c’est une affaire de symbole. Quoi qu’y fassent l’habileté politique, le calcul, la préoccupation de sécurité nationale, il reste que cette question est le reflet d’une folie, celle qu’illustre si parfaitement un Cheney, et le signe d’une perte complète du sens de la mesure. (En plus, l’inefficacité du processus, surtout lorsqu’il est institutionnalise et pratiqué de cette façon systématique, est avéré.) C’est ainsi qu’au bout du compte, cette pratique officialisée de l’illégalité la plus complète, cette légalisation de l’illégalité est le plus lourd fardeau qu’ait imposé l’équipe Bush-Cheney aux USA. Le recul dramatique de l’influence des USA dans le monde, le ternissement intense de leur réputation et de l’image qu’on s’en fait depuis 2001, ont été fortement renforcés à cause de cet ensemble de pratiques douteuses et contestables dont Guantanamo et la torture forment l’aspect le plus visible et le plus virulent. Si l’on prend en compte ces divers éléments, on arrive aisément à la conclusion qu’effectivement la décision d’Obama est également une faute politique d’un grand poids.
Bien entendu, les réactions sont vives parce qu’il s’agit justement d’un symbole de cette force. Elles le sont également, et c’est plus inquiétant pour Obama, au sein du parti démocrate, où se manifestent également des tensions très fortes par rapport à l’orientation donnée à la guerre en Afghanistan. Où est, dans ce cas, l’“habileté” d ‘Obama? On espère tout de même qu’il n’espère pas, en ayant pris de telles mesures qui satisfont un parti républicain en complète désintégration et un Cheney plus aliéné mental que jamais, obtenir en échange des soutiens pour les axes les plus ouverts (Russie, Moyen-Orient et Israël, Iran) de sa politique? Au contraire, ses dernières décisions sur Guantanamo mettent justement en danger cette politique, puisque le résultat net sera de réduire le soutien des démocrates les plus à gauche à sa politique en général, et à ses initiatives, fussent-elles d’ouverture, – bien entendu, sans gagner quoi que ce soit du côté républicain.
Quoi qu’il en soit, il existe une vision politique objective de la situation après la décision d’Obama, sans pour autant émettre un jugement précisément sur le sens de son engagement. Plus qu’être forcé d’assumer l’héritage de Bush, plus qu’être prisonnier de cet héritage comme nous l’exprimions plus haut, Obama, avec de telles décisions, s’emprisonner lui-même à cet héritage, avec des politiques qui constituent en plus des poids morts, des freins importants contre toutes les initiatives nouvelles. S’il existe un domaine où il devrait affirmer spectaculairement une rupture, c’est bien celui-là; de cette façon, il réaffirmerait une légitimité nouvelle pour le gouvernement US au sein du système, légitimité dont il bénéficierait directement; lui-même en sortirait légitimé, à un moment d'une situation particulièrement délicate pour les USA. Il ne le fait pas, et c’est évidemment une faute politique.
Mis en ligne le 16 mai 2009 à 13H20
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